“Les heureux doivent avoir pour malheur les malheureux; l’égoïsme social est un commencement de sépulcre.” V. Hugo dans “Le Droit et la loi et autres textes citoyens”
L’impôt est une extorsion, un joug que l’État liberticide ordonne aux citoyens de payer. Une charge indue supportée par le peuple qui s’évapore après perception. À peu de chose près, comme une litanie, les gouvernements, eux-mêmes percepteurs, ressassent ce type d’idée. Dans un mouvement de désarmement unilatéral, la puissance publique préfère s’employer à sa propre neutralisation plutôt qu’à expliquer l’impérieuse nécessité des ressources fiscales. Que, plus que la frénésie libératoire du modèle d’individualisation libérale, ce qui libère c’est l’individuation par les mécanismes de solidarité des services publics. Le consentement à l’impôt devrait tomber sous le sens, en particulier pour les plus pauvres. Un consentement raisonné par l’explication des transferts de richesses, des uns, les plus nantis, vers les autres les plus nécessiteux, dans une gradation progressive des situations qui permet à la fin des fins, la cohésion sociale.
Complexité intrinsèque et à dessein
Qui est capable en France de prévoir combien il paiera d’impôts ? Mis à part une minorité d’agioteurs qui se plaisent à l’égaiement dans les arcanes fiscaux. Le modèle d’imposition sur le revenu s’avère un chef-d’œuvre de complexité et établi comme tel, pour être compréhensible par le minimum des citoyens. Une approche élitiste, et qui nécessite généralement l’assistance d’experts pour tirer le meilleur parti d’une science absconse. Plus le contribuable est fortuné plus il mobilise les moyens pour le défaire de sa contribution. Par le biais de niches fiscales et de remises que seuls les férus de la matière savent décoder. Une prime au plus riche en somme.
D’ailleurs, l’expression répandue “passer une tranche” reflète parfaitement la méconnaissance du système d’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP), puisque l’on ne passe jamais de tranche, l’impôt est progressif et surtout marginal. On ne paie sur la tranche supérieure que la partie marginale (du dit dépassement). Une complexité perçue, intégrée, que l’on généralise pour se perdre et surtout perdre de vue la philosophie générale du système. Un système réputé progressif, mais qui en réalité génère de fortes inégalités. Un système hérité de Vichy qui supplanta les taux effectifs (du Front populaire) dont le principal défaut résidait dans sa « transparence », et l’homogénéisation des groupes sociaux par revenus. Absolument indicible pour les réactionnaires de droite.
Dégressivité, « régressivité » et flat-tax
Le système fiscal n’est pas progressif. Il ne fait pas peser la charge fiscale en proportion sur les plus fortunés. Tout au plus, le système peut être considéré comme “flat”. Que cela soit la CSG ou la TVA, ils ont un taux unique* quels que soient les revenus du contribuable. Politiquement non neutres, ces impôts “flat” privilégient les plus nantis. Sortis de l’imaginaire libéral, ils seraient la quintessence de l’équité, puisque frappant tous les contribuables (du milliardaire au smicard) de la même façon. Que l’on soit bien portant ou souffreteux, c’est dans les mêmes proportions que l’on contribuera aux subsides de l’État, au fonctionnement du bien commun. Pour l’IRPP réputé progressif, c’est l’inverse, il est in fine plus inégalitaire que les “flat” taxes. Non pas par philosophie, mais par application. Le maquis fiscal foisonne de telle manière que les hauts revenus (0,1% supérieur) bénéficient d’avantages (niches) fiscaux, les situant à un taux d’imposition moyen inférieur à la classe moyenne ou inférieure. Les Français qui gagnent entre 1 000 et 2 200 euros par mois (50% de la population) ont un taux effectif d’imposition (toutes taxes confondues) qui s’étage entre 41% et 48%. Les 1% les plus fortunés (plus de 14 000 euros mensuels) ont un taux effectif d’environ 35%. Au total le système fiscal français, réputé progressif du fait de la pression supérieure exercée sur les hauts revenus s’avère être dégressif, voire régressif socialement et symboliquement. Dans le sens où il n’atténue pas les inégalités de situation et de revenus, mais au contraire, les accentue.
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Pour une révolution fiscale
T. Piketty, C. Landais et E. Saez proposent une révolution fiscale. Face au magma abstrus du déchiffrage fiscal, ils proposent une simplification radicale du calcul de sa participation au fonctionnement de l’État. En l’occurrence l’abandon des tranches progressives et marginales en faveur d’un taux effectif (non marginal) par tranche de revenu. Un revenu brut mensuel individuel comprenant les salaires, revenus non salariés, retraite, chômage, revenus du capital dont plus-values. Devant le maquis des déclarations et des effets asynchrones des revenus et du paiement, ils proposent la retenue à la source sur la base de l’assiette élargie de la CSG. C’est-à-dire fondre l’IRPP (qui disparait) dans une CSG (plus élargie) devenue progressive. Un impôt payé mensuellement au moment des versements du salaire. Pour aboutir à un prélèvement global similaire (147 milliards d’euros en 2010) et surtout à une réelle progressivité de l’impôt. À éléments constants cette nouvelle configuration permet mécaniquement une augmentation du pouvoir d’achat (thème central de la présidentielle de 2007) pour plus de 80% des contribuables les moins fortunés.
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Des solutions marquées politiquement. En refondant un impôt “flat”, la CSG en impôt (vraiment) progressif, on lance un signal fort en matière de justice sociale. Cette “petite révolution” consiste à renforcer la contribution des plus nantis, rendre progressif sans exception l’impôt, mais surtout clarifier l’effort consenti par les citoyens. L’objet n’est pas de réconcilier le contribuable avec l’impôt, mais d’obtenir le consentement au financement des services publics nationaux. Jusqu’à présent, la participation à l’effort national s’obtenait en renâclant, l’impôt étant perçu comme, au mieux un gaspillage, au pire un vol. La cohésion sociale nécessite un consentement que seules la transparence, la simplicité et la justice peuvent arracher. Il est nécessaire pour enrayer la stratégie d’étranglement de l’État social : baisse des subsides, constat de déficit, privatisation. Une autre façon de voir la justice, telle que le philosophe américain J. Rawls l’évoquait “la justice est la première vertu des institutions sociales comme la vérité est celle des systèmes de pensée”.
* En fait deux taux pour TVA, mais ne tenant pas compte des revenus de celui qui la paie
Vogelsong – 13 février 2011 – Paris