La sculpture britannique moderne, rien que ça, c’est le sujet de cette exposition à la Royal Academy jusqu’au 7 avril. On dit parfois que l’Angleterre a dominé la sculpture du XXème siècle (face à la peinture américaine) : je ne suis pas certain que cette exposition vous en convainque. Les premières salles, historiques, sont organisées par thèmes assez flous : le choix entre figuration et abstraction s’incarne dans une maquette du cénotaphe de Whitehall, immense structure géométrique écrasante, et des photos de hauts-reliefs de Jacob Epstein pour l’immeuble de l’ordre des médecins (imaginez l’allégorie de la Recherche Clinique). Passe encore; la seconde salle est dédiée à l’imitation de l’antique, juxtaposant objets grecs, pascuans, amérindiens et autres, avec des sculptures qui pourraient s’en être inspirées, mais cela reste très sage, sans folies à la Picasso ou à la Rodin. On commence à être plus intéressé dans la salle suivante face à un ‘Adam‘ d’albâtre de Jacob Epstein, rosâtre et sensuel, et même sexuel en diable, notre ancêtre primal, sauvage (c’est la meilleure image que j’ai trouvée, mais que fait donc la jolie blonde au sourire coincé sur cette photo ?), mais passer de là à “The Establishment Figure”, en l’occurrence la Reine Victoria sur un trône majestueux, est un anti-climax déturgescent de première catégorie. Il faut ensuite s’ennuyer avec quelques céramiques pour parvenir enfin aux trois seules salles d’envergure où se fait vraiment sentir le souffle de la grande sculpture britannique.
On a d’abord droit à la magnifique confrontation Henry Moore - Barbara Hepworth : de lui ‘Reclining Figure’, horizontale, anthropomorphe, arrondie, sensuelle, pleine de vides et de torsions, au fond; d’elle, au premier plan, ’Single Form (Memorial)’, verticale, massive, imposante, plate et concave, percée d’un trou tragique, béant. La première est un symbole de la reconstruction du pays après la guerre, la seconde un hommage à Monsieur H.
L’étonnement dans la salle suivante face à l’installation ‘an Exhibit‘ de Victor Pasmore et Richard Hamilton (c’est une reconstruction, l’original a disparu), faite de formes rectangulaires suspendues à des hauteurs différentes, en plastique de diverses couleurs (parfois ornées d’un signe élémentaire, cercle rouge, barre bleue), plus ou moins transparentes, et entre lesquelles on circule, l’étonnement vient de la date mentionnée sur le cartel : 1957. C’est sans doute une des premières oeuvres ’sculpturales’ avec lesquelles le public puisse interagir, où il soit invité à déambuler, à pénétrer au sein même de l’installation : un autre exemple de la précocité des Britanniques dans ce domaine, à la naissance de l’installation et de l’esthétique relationnelle, si on peut dire (disons plutôt de l’art participatif).
‘Early One Morning’ d’Anthony Caro (1962) est l’étape suivante, assemblage de formes industrielles en acier d’un rouge vif, sans piédestal, mais là on ne peut pas s’approcher, pas expérimenter, seulement regarder, comme le point final d’une histoire sculpturale.
Les salles suivantes sont consacrées à la sculpture contemporaine : il n’y a rien d’Anthony Gormley, rien d’Anish Kapoor, un simple Stack de planches et de briques de Tony Cragg, plusieurs pièces de sculpteurs américains (Carl Andre, Jeff Koons), et des coupures de journaux (la 3ème page du Sun, toutes mamelles dehors) -en fait une sculpture de Gustav Metzger-. Le pauvre visiteur, en mal d’une orientation quelque peu historico-esthétique, n’en retiendra sans doute que le déjeuner sur l’herbe, alias ‘Let’s Eat Outdoors Today’, de Damien Hirst et son concert de mouches à viande promises à l’électrocution, et peut-être cette photographie jubilatoire de Rose Finn-Kelcey, ‘The Restless Image - A Discrepancy between the Felt Position and the Seen Position - Self-portrait” (pas d’autre image disponible que celle de la brochure de visite), où l’artiste à trente ans fait le poirier sur la plage : sa jupe plissée s’envole, son visage est invisible, ses jambes fines dressées vers le ciel nous séduisent, mais ce qu’on voit n’est pas ce qu’on ressent, nous rappelle-t-elle…
Dans la cour de Burlington House, siège de la Royal Academy, a été reconstruite la maison de pierres plates de Kurt Schwitters, Merz Barn, prolongement anglais de ses Merzbauten; l’original est à Cylinders, Elterwater, Cumbria. Peut-être, pour avoir une belle expérience sculpturale le jour de votre visite, vous suffira-t-il de la voir (gratuitement), de marcher autour, de vous y mesurer, d’en éprouver la rugosité et la finesse (mais on ne peut pas y entrer, et le mur n’est pas là), plutôt que d’acheter un billet pour cette exposition trop partiale, trop partielle et décevante (et très controversée dans la presse britannique).
Photo Hirst courtoisie du service de presse de la Royal Academy; photos Hepworth-Moore, Pasmore-Hamilton et Caro provenant du site de la Royal Academy; photo Schwitters de l’auteur. Damien Hirst et Kurt Schwitters étant représentés par l’ADAGP, les photos de leurs oeuvres seront ôtées du site à la fin de l’exposition.
- Damien Hirst, Let’s Eat Outdoors Today, 1990-91 Glass, steel, cow’s head, flies, maggots, sugar, water, insect-o-cutor, resin, table and chairs, tableware, condiments and food. 221 x 411.5 x 216 cm. Photo Prudence Cuming Associates. © Hirst Holdings Limited and Damien Hirst. All rights reserved, DACS 2010.
- Hepworth and Moore Installation view showing Barbara Hepworth’s ‘Single Form (Memorial)’ (1961-62) in the foreground and Henry Moore’s ‘Reclining Figure’ (1951) in the background. Photo: John Bodkin/DawkinsColour.
- Epstein Photo by Christopher Furlong / Getty Images Europe, November 9, 2010.
- Pasmore-Hamilton Installation view showing Victor Pasmore and Richard Hamilton’s ‘an Exhibit’ (1957). Photo: John Bodkin/DawkinsColour.
- Anthony Caro, ‘Early One Morning’, 1962. Painted steel and aluminium, 289.6 x 619.8 x 335.5 cm. Tate: Presented by the Contemporary Art Society, 1965. © Barford Sculptures Ltd/The artist Photo: John Bodkin/DawkinsColour.