Chronique du lundi 14 février 2011.
L’équipe de France a battu l’Irlande à Dublin. En année normale, cette victoire, quelles que soient les conditions, serait la bienvenue et donnerait du crédit aux bleus. En année de Coupe du Monde, les choses sont bien différentes et, seul, la mesure du potentiel de cette équipe et sa marge de progression intéressent les observateurs. Et, après ce que l’on a vu en Irlande, ce dimanche, les questions sont nombreuses…
Retour un an en arrière :
Cette équipe de France a retrouvé des qualités de solidarité d’une manière générale et d’organisation en termes de conquête et de défense, ce qui lui a permis de remporter cette rencontre. C’est rassurant, après la tempête de novembre et les impressions d’incompréhension entre le staff et les joueurs. Cette équipe de France a du corps, elle est capable de s’appuyer sur les bases indispensables pour bâtir les grandes équipes : solidarité, courage, forte structure autant en conquête qu’en défense et, surtout, opportunisme ce qui lui a permis de marquer des points à chaque fois qu’elle en a une l’occasion grâce à la botte de Morgan Parra et à une pénétration d’Aurélien Rougerie.
Le problème de l’équipe de France est qu’elle est revenue un an en arrière. Mais ce qui est inquiétant, c’est qu’elle est revenue au même point que l’an dernier, au moment d’attaquer le Tournoi. Si encore, Marc Lièvremont avait remis son équipe au niveau de la fin du Tournoi, au moment de battre l’Angleterre et de réaliser le Grand Chelem, il serait possible d’être positif et de se dire que l’équipe de France a perdu 6 mois mais, au moins, qu’elle possède un collectif et un système de jeu qui lui donnent une base de sérénité. Non. L’impression que dégage cette équipe est qu’elle doit se reconstruire, qu’elle est en chantier alors qu’elle devrait s’appuyer sur les enseignements des 3 dernières années pour se donner des certitudes en s’appuyant notamment sur une ossature forte. Ce n’est malheureusement pas du tout le cas.
Un jeu de ligne catastrophique :
Le pire est, bien sûr, derrière. Notre ligne de trois-quarts a, par moment, montré d’inquiétants signes. Les joueurs ont eu de grandes difficultés à se passer le ballon, ne sachant pas se trouver les uns, les autres, certains recevant la balle arrêtée parce qu’ayant trop anticipé, d’autres ne la passant pas parce que ne sachant pas si leur partenaire se trouvait à leur côté. Les 2 seules fois où le jeu de ligne français s’est montré à son avantage l’ont été sur des attaques en première main, grâce à Aurélien Rougerie et surtout des fautes défensives Irlandaises. Sur la 1ère des deux, l’ailier Irlandais oublie de glisser et va se fixer sur le centre français, ce qui permet de décaler Clément Poitrenaud et de se montrer dangereux. La 2ème fois survient sur une pénétration du Clermontois et un plaquage manqué de D’Arcy. C’est peu, mais c’est, en même temps, normal. Dans les conditions d’un match de haut niveau où tout va plus vite, les trois-quarts français, qui n’ont qu’une semaine d’entraînement dans cette configuration de jeu, ont juste été capable de reproduire les bases de leur entraînement, c’est à dire des lancements de jeu après phase statique. Tout autre type d’action, après plusieurs phases de jeu, où les replacements individuels sont plus aléatoires, où la communication collective doit être optimale ne sont pas actuellement possibles, puisque ces joueurs n’ont encore aucun repère commun.
Il faut du temps pour construire un jeu de ligne sophistiqué. Non seulement Marc Lièvremont en a peu mais, en plus, il recommence à zéro à chaque fois. Le plus dramatique, hier, a été la performance de Damien Traille. Alors qu’il évoluait enfin à son poste habituel, le centre Biarrot a semblé perdu sur le terrain. Très souvent dans le mauvais timing avec le reste de la ligne, souvent arrêté et surtout incapable de se servir de ses qualités naturelles, Damien Traille a semblé plus déstabilisé de jouer au centre qu’à l’arrière. C’est pour moi la meilleure démonstration des errements de la méthode Lièvremont. Et ce d’autant plus que cette contre-performance intervient après une sorte de déclaration d’amour du sélectionneur pour ce joueur. Au vu d’une telle contre-performance au centre, et, d’une certaine manière, obligé de ne pas se déjuger totalement, il faut s’attendre à ce que Damien Traille se retrouve… arrière à nouveau contre l’Angleterre. Dommage pour Poitrenaud qui ne se sera, du coup, jamais complètement remis de son KO de début de match et tant mieux pour Yannick Jauzion qui, en quelques minutes, a fait preuve d’une puissance salvatrice. Mais quel gachis, à nouveau, de devoir composer avec une troisième ligne de trois-quarts qui ne sera pas la copie conforme des précédentes. Le cabotage continue, au détriment d’une capacité de jeu collectif alors que, justement, Marc Lièvremont ne nous parle que de cela…
Un manque de puissance qui crève les yeux en défense :
Tout le monde critique aujourd’hui la défense française à cause des 3 essais encaissés. Mais, si l’on y regarde de plus prés, le problème en soi n’est pas défensif. Les Irlandais ont marqué sur leurs temps forts en multipliant les temps de jeu et en étant capable de conserver le ballon. De ce côté là, il n’y a rien à dire. Le problème de chacune de ces actions, c’est que les français ont subi les impacts de l’attaque et ont progressivement reculé jusqu’à se retrouver à défendre la ligne. Il n’y a eu, à aucun moment, la capacité à repousser les assauts adverses et à mettre cette équipe sur le reculoir. Ou plutôt si, il y a eu un moment où cela est arrivé, c’est en fin de match et cela a permis à la France de l’emporter. C’est le seul moment où la défense française a pris le dessus sur les attaques Irlandaises et cela s’est fait uniquement sur sa capacité, à ce moment-là, de remporter le combat, la lutte homme à homme, pour repousser des Irlandais alors incapables de marquer. Et qui ont été les détonateurs capables d’inverser la tendance ? Yannick Jauzion et Sébastien Chabal qui, par leur plaquage et leur puissance ont fait reculer les charges adverses. Ces 2 joueurs avaient un avantage, ils n’avaient que quelques minutes dans les jambes mais la puissance reste néanmoins une de leurs qualités premières, ce qui n’est pas le cas de beaucoup de leur coéquipiers.
Marc Lièvremont a fait l’impasse sur la puissance dans sa composition d’équipe. En se passant de Sébastien Chabal ou Louis Picamoles en 3ème ligne, de Bastareaud, Fritz et même Jauzion au centre, il oblige l’équipe de France a subir le combat, plus qu’elle ne l’impose. Seuls dans cette équipe, la 1ème ligne et Thierry Dusautoir sont capables de prendre le dessus sur leur adversaire direct dans cette dimension purement physique ( et Aurélien Rougerie, lorsqu’il prend la balle lancée, comme sur son essai ). Tant que l’équipe de France gagne, l’entraîneur a raison, mais il faut s’attendre à encaisser des essais. Par la composition d’équipe telle qu’elle est faite actuellement, nous n’avons pas la capacité d’arrêter des équipes capables de multiplier les temps de jeu et de tenir la balle. Heureusement pour nous, l’Irlande a montré ses limites mais, logiquement, l’Angleterre doit produire un niveau de performance supérieur, ce qui va poser problème.
Les limites de notre deuxième ligne :
Notre 8 de devant devrait être la vraie satisfaction de ce match. Bon en mêlée et en touche, avec notamment des contres décisifs de la part d’Harinordoquy, il a permis à l’équipe de rester dans le match au plus fort de la tempête. Néanmoins, il montre aussi certaines limites qui pourraient être mises à nue contre les Anglais. Si notre première ligne est au sommet de son art, il n’en est pas totalement de même de notre 2ème ligne. Julien Pierre et Lionel Nallet forment un attelage solide, mais pas totalement complémentaire. Ces 2 joueurs sont dynamique, ils offrent une mobilité indispensable dans le jeu de mouvement, ils assurent leurs prises de balle en touche, mais ils ne pèsent pas sur un match autant que certains de leurs adversaires, notamment en ce moment où Lionel Nallet semble moins bien physiquement qu’il y a quelques mois. Ces 2 joueurs ont pourtant bien passé le test de la 2ème ligne Irlandaise étant capable d’assurer leurs prises correctement. Mais leur profil tout terrain va à l’encontre de ce que les autres équipes essayent de bâtir avec l’association d’un grand léger, imprenable dans les airs, Palmer pour les Anglais, Matfield, Whitelock, Sharpe associé avec un joueur compact, fort dans la lutte au près, style Botha pour les Sud-Africains, Shaw ou Thorn.
Cette fois les options prises par Marc Lièvremont sont aussi dépendantes de ses possibilités. Il n’y a pas de choix évident pour jouer le rôle du grand léger incontournable dans les airs. Le seul qui semble se rapprocher de ce profil c’est Yoann Maestri, le 2ème ligne Toulousain. Mais ce joueur est encore jeune et ce serait un risque que de l’imposer en tant que titulaire. Titulaire peut-être pas, mais remplaçant ? La question devrait se poser pour offrir plus d’options à l’équipe et pouvoir se poser la question de renforcer la puissance de la 3ème ligne en choisissant entre Bonnaire et Harinordoquy. D’un coup, l’équipe de France pourrait y gagner en puissance donc en capacité de mieux défendre.
L’équipe de France reste invaincue dans ce Tournoi. C’est le signe de la qualité des joueurs qui la composent et de la qualité du Top14 qui fait que ceux-ci ont été capables de réagir à la tempête qu’ils ont subi pendant les premières minutes. C’est le signe que le potentiel des chances françaises de bien figurer à la Coupe du Monde reste intact. Néanmoins, il est maintenant certain qu’il faudra mettre les bouchées doubles entre le 1er juillet et le 7 septembre pour mettre en place un jeu de ligne digne de ce nom…