Chercher le courant et la démocratie au Québec

Publié le 13 février 2011 par Espritvagabond
Après avoir récemment visionné plusieurs excellents documentaires, sur des sujets aussi variés que les arts, les gaz de schistes ou la crise économique mondiale, je suis allé voir un documentaire québécois qui révèle au grand public des informations rien de moins que scandaleuses. Vous croyez ne pas être concerné? Avez-vous un compte chez Hydro-Québec? Alors vous êtes concerné.
C'est très simple: Si vous voulez savoir pourquoi - et au profit de qui - votre compte augmentera significativement d'ici 10 ans, voyez ce film. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si la phrase qui apparaît en haut de l'affiche du film est «Si vous payez un compte d'électricité, vous devez voir ce film».
Le film en question, c'est Chercher le courant, de Nicolas Boisclair et Alexis de Gheldere.
Les deux cinéastes sont accompagnés de deux environnementalistes lors d'une descente en canot de 46 jours de la source de la rivière La Romaine, jusqu'à son embouchure. Ils veulent documenter cette rivière et son écosystème, avant la réalisation du projet hydroélectrique d'Hydro-Québec. Parallèlement à leur aventure, les cinéastes s'informent sur le projet d'Hydro-Québec. Car le projet d'harnacher la rivière La Romaine n'est pas rentable mais Hydro-Québec ira tout de même de l'avant. Le film explore les effets de ce projet sur le Québec, ses origines et les alternatives qui sont ignorées par Hydro-Québec et le gouvernement du Québec.
Le film est bien documenté, présenté clairement, avec une série de faits pertinents, et est narré par Roy Dupuis, qui est allé rejoindre l'équipe en cours de route avec un groupe concerné par l'impact environnemental du projet.
J'ai particulièrement apprécié Dupuis qui, dès le début, mentionne que ce n'est ni à lui ni aux environnementalistes de décider ce qui se fait ou ne se fait pas au Québec, mais bien aux citoyens du Québec. Par contre, pour se faire, il faut que ces citoyens soient bien informés (ce que le film contribue à faire) et qu'ils soient écoutés. Par l'historique de ce projet et des orientations prises par Hydro-Québec depuis 10 ans, le film explique en quoi on ne tient pas compte de l'opinion des citoyens dans le dossier énergétique au Québec.
Le film Chercher le courant est présenté au moins jusqu'à jeudi 17 février au Cinéma du Parc à Montréal. Je vous invite à aller le voir, ainsi qu'à visiter le site officiel du film. (Un blogue permet de suivre les aventuriers au jour le jour lors de leur expédition en 2008). Sinon, ailleurs en province, d'autres représentations sont listées sur une section spéciale du site. Suite à la présentation du film, Hydro Québec a répondu par court communiqué, qui n'est pas sans rappeler le genre de réplique suffisante et sans sources vérifiables que fournissent les entreprises privées lorsqu'elles sont acculés au pied du mur face au grand public.
La réponse des créateurs du film à cette réplique d'Hydro-Québec est à l'image de ce dernier; posée, documentée, complète et sérieuse (*). Hydro-Québec a refusé toutes les demandes d'entrevue des cinéastes lors de la préparation du film.
Sinon, les grands médias en parlent: Cyberpresse, le Devoir ont chacun un article sur la question. Chercher le courant a aussi une page sur Facebook si vous êtes plus du genre médias sociaux.
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Après coup, on ne peut s'empêcher de faire le lien entre ce dossier et celui des gaz de schiste, avec cette implication des mêmes acteurs dans les affaires gouvernementales et le dossier énergétique du Québec (je parle d'André Caillé et de Lucien Bouchard). Pour le gouvernement actuel, on connait déjà la position du premier ministre Jean Charest sur l'importance du privé dans les priorités de l'État.
D'ailleurs, à qui profite cet entêtement d'Hydro-Québec et du gouvernement libéral dans le dossier de la Romaine, sinon aux compagnies privées qui seront les sous-traitants d'Hydro sur ces chantiers? Sans vouloir faire des liens où il n'y en a pas, est-ce vraiment un hasard, de retomber dans le cercle de la construction, et des liens entre cette industrie avec le gouvernement actuel? Une fois de plus, impossible d'ignorer les nettes préférences du premier ministre et du parti libéral du Québec envers les profits des entreprises privées au détriment de l'état, au détriment de la société québécoise, au détriment de l'environnement québécois.
On peut donc se demander quel genre de démocratie nous avons si Hydro-Québec, qui est une société d'état, adopte un comportement identique (et socialement irresponsable) à celui des grandes corporations privées. De la part du privé, on comprend que les intérêts de celles-ci les poussent à des décisions sans aucune éthique sociale, mais de la part d'une société d'état, c'est scandaleux et inacceptable.
On est donc en droit de se demander: Qui gouverne actuellement le Québec (et Hydro-Québec), si ce ne sont les représentants du peuple que sont les élus?
La devise des premiers grands projets d'Hydro après la nationalisation de l'électricité était Maîtres chez nous. Malheureusement, nous devons maintenant comprendre que ce n'est plus le cas.
Je vous laisse sur cette citation, reproduite dans un article du Devoir et partiellement reprise en introduction au film Chercher le courant:
C'est à propos du projet Grande-Baleine que Jean Charest a écrit dans son autobiographie: «Je dis souvent qu'il ne faut jamais sous-estimer la capacité des gouvernements de se tromper. S'il y a une chose qui me fait frémir, c'est quand j'entends des gens dire: "Après tout, c'est le gouvernement, ils doivent savoir ce qu'ils font". Il ne faut jamais présumer qu'ils savent ce qu'ils font.» (Cité par Michel David, "Le Rouleau Compresseur", Le Devoir, 31 août 2010).--
(*) Je ne veux pas dévoiler le contenu du film et m'y substituer, mais j'attire votre attention sur le sérieux scientifique du projet: On ne parle pas d'un projet d'hurluberlus ici, on parle de citoyens québécois intelligents et fiers des réalisations passées d'Hydro-Québec, fiers du "Maître chez nous" de la belle époque, mais conscient du fait que des puissantes rivières à harnacher à bas coût, au Québec, il n'y en a plus et qui se questionnent sur les motivations d'Hydro-Québec et du gouvernement du Québec.