Le livre des nuages

Publié le 14 février 2011 par Urobepi

En 1986, au cours d’un voyage en Europe qu’elle effectue avec sa famille, une jeune mexicaine connaît une expérience des plus troublantes. Elle a en effet la certitude d’avoir reconnu Adolf Hitler déguisé en vieille femme dans le Métro de Berlin. Que, selon l’histoire officielle, le führer se soit enlevé la vie dans son bunker en 1945, ou que, fut-il vivant, il aurait eu plus de 97 ans au moment de cette rencontre, tout cela n’altère en rien la conviction de Tatiana.

La jeune fille à l’imagination fertile reviendra à Berlin en 2002, seule cette fois, à la faveur d’une bourse d’étude obtenue pour parfaire son allemand. Elle y restera 5 ans. La capitale germanique semble convenir parfaitement à sa sensibilité. De fait, les échos du passé récent de Berlin se mêlent dans son esprit à la pulsation actuelle de la ville. Cette prédisposition intellectuelle fait donc de Tatiana la candidate rêvée pour assister un vieux savant, le professeur Weiss, à rassembler des souvenirs de l’histoire de la ville.

Les lieux adhèrent à leur passé disait-il, et parfois le présent trouve moyen de recueillir ce passé et parfois non. Au mieux une coexistence pacifique s’installe entre ces plans temporel, mais le plus souvent c’est une lutte continuelle pour la domination. (p. 41)

Tatiana transcrira des entrevues réalisées par le professeur Weiss auprès de berlinois ayant vécu le déchirement de la capitale en deux parties. Elle fera elle-même une incursion dans les zones souterraines de la ville lors d’une descente inquiétante qui la conduira dans un lieu sombre et glauque que les initiés nomment familièrement le ‘bowling de la Gestapo’. Tout cela dans une atmosphère onirique qui n’est pas sans rappeler celle que l’on retrouve dans L’ombre du vent de Carlos Ruiz Zafón. La palpitation de Berlin est aussi perceptible dans le roman de Chloe Aridjis que celle de Barcelone dans l’œuvre de Zafón.

Où tout cela conduit-il le lecteur? Peut-être nulle part. Mais ce nulle part est beau. Laissons Tatiana nous décrire la pièce d’un appartement:

Je pourrais décrire la pièce de différentes manières. Je pourrais évoquer les faisceaux obliques du soleil de l’après-midi entrant par les fenêtres, ou le nombre infini de motifs sur les murs recouverts de stuc. Je pourrais mentionner la curieuse juxtaposition de meubles — un tabouret en bois, une table à trois pieds et un poêle en faïence plein de morceaux de charbon non brûlés — ou le jeu global de formes, un puzzle géant avec quelques pièces manquantes. Je pourrais évoquer  plutôt la rumeur lointaine de la rue, le silence que troublait parfois un bruit insistant de klaxon (…). (p. 133)

Et ça continue comme ça.

Chloe Aridjis aborde tout avec le même regard poétique, jusqu’aux activités solitaires de Tatiana qu’elle décrit avec, dirions-nous, beaucoup de chic, sans recourir au langage cru auquel ses contemporains nous ont, hélas, habitués.

Parfois je ne me donnais pas la peine de remplir la baignoire et prenais tout de suite la pomme de douche détachable dont le jet d’eau chaude faisait toujours merveille, et quand tout était fini le miroir de la salle de bain était trop embué pour que je puisse m’y voir, un rectangle brumeux qui suspendait sa promesse de reflet, et même si je prenais plaisir à ces moments de petite extase fugitive, il serait sûrement agréable, me disais-je, que quelqu’un d’autre s’en occupât pour une fois. (p. 162).

Le livre des nuages est le premier roman de Chloe Aridjis. Sans doute a-t-il des relents autobiographiques puisque la quatrième de couverture du livre nous indique que l’auteur, « de père mexicain et de mère américaine, a longtemps vécu en Allemagne ». Elle compterait, nous apprend-on également, l’écrivain Paul Auster au nombre de ses admirateurs. Voilà qui, à la réflexion, n’est guère surprenant, la modernité de l’œuvre de Aridjis ayant une certaine parenté avec celle du célèbre auteur new-yorkais.

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ARIDJIS. Chloe. Le livre des nuages, Mercure de France, 2009, 215 p. ISBN: 9782715229198 (traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean-Pierre Aoustin).

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