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Auto-Reverse

Publié le 24 janvier 2008 par Stéphane Kahn
<< (RWD) C’était la boutique d’un photographe. Il l’avait toujours connue. Enfant, adolescent, quand il passait ses vacances – à Pâques, l’été – dans cette petite ville bourgeoise où habitaient ses grands-parents. Les appareils photo, le matériel, il ne s’y intéressait pas le moins du monde, mais cette boutique était pourtant comme un phare. Pour une raison très simple : on y vendait des cassettes. Et c’était le seul endroit, en ville, où il pouvait repaître son goût balbutiant pour le rock’n’roll.
(PLAY) >
Or, ce présentoir, dehors, à l’entrée, il n’avait pas bougé. Il le retrouvait comme tel en ce jour de décembre 2007. Lui avait vingt ans de plus, mais le présentoir trônait toujours là, anachronique présence au seuil d’une boutique désormais dévolue aux accessoires numériques dernier cri. Jaquettes délavées pour photo mentale jaunie. Tel Marty McFly débarquant dans un Hill Valley fifties, il constata que rien ne semblait avoir bougé depuis cette première cassette achetée là-bas. Il s’en souvenait, ça avait dû être à l’été 1986, A Kind of Magic de Queen. Déjà une question de temps puisque pas mal de morceaux dudit album avaient été utilisés pour Highlander, film périssable sur l’immortalité, l’un de ses préférés à l’époque. Cette cassette, il avait passé tout l’été à la jouer et la rembobiner sur son Walkman pour s’enquiller Princes of the Universe ou Don’t Lose Your Head ad libitum. Il y en avait eu d’autres. Quelques unes. Pas trop. C’était toujours à regret qu’il achetait une cassette. Pour les albums, il préférait déjà les vinyles, tellement plus pratiques quand il souhaitait écouter un morceau en particulier. Mais en vacances, il n’avait pas son tourne-disque, celui sur lequel se succédaient les 45 tours qu’il achetait chaque semaine dans ce Prisunic, rue du Poteau. Les cassettes, c’était bon pour les trop longs trajets en voiture, tout au plus…
(FWD) >>
Ce jour de décembre, donc, tandis que la nuit tombait déjà, il s’approcha du présentoir. Les jaquettes l’ornant lui furent d’emblée étrangement familières. La plupart des cassettes dataient des années 90, pas mal aussi des années 80. Comme si le temps s’était arrêté au seuil de cette échoppe. Il y avait de très bonnes choses, là où on aurait plutôt attendu quelques chanteurs populaires aux idées faciles d’accès. Blur et Pulp, fleurons britpop, côtoyaient INXS, A-Ha, Prince et Terence Trent d’Arby. Plus improbables, au milieu de tout ça, d’autres cassettes d'un goût douteux jaillies d’un passé révolu par on ne sait quelle faille temporelle. À portée de main, présence incongrue, la bande originale d’un obscur film de science-fiction français mettant en scène une ex-idole des jeunes aux cheveux blanchis. À treize ans, il avait même brièvement eu une affiche de ce sous-Mad Max dans sa chambre. La cassette avait beau s’être échouée là il y a plus de vingt ans, on avait quand même changé l’étiquette lors du passage à l’euro. Elle en valait six ce jour-là.
(PLAY) >
Troublé, il continuait de parcourir le présentoir quand une musique retentit. Un truc inconnu. Médiocre forcément. À l’intérieur, ils avaient dû le voir. On lui avait mis de la musique. Là, à l’entrée, rien que pour lui. Il songea à Rod Serling, à La Quatrième dimension, et plus particulièrement à cet épisode où un homme pressé retourne dans la ville où il a grandi et la retrouve telle qu’elle était trente ans auparavant, inchangée. La chanson qui, telle une sirène enjoleuse, voulait le retenir là n’était heureusement pas d’époque. Cela le rassura un peu. Un peu seulement. Il ne valait mieux pas, c’était le cas de le dire, s’éterniser ici…
(STOP EJECT)

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