J'ai souvent expliqué que les niches fiscales et autres dispositifs du type bouclier fiscal conduisaient à rendre l'impôt sur le revenu de moins en moins juste, en ce sens que ce dernier pèse de plus en plus sur les classes moyennes et moins sur les très hauts revenus. Dit en langage économique, l'IRPP perd de plus en plus son caractère progressif et tend à devenir régressif.
Officiellement, on nous explique que c'est un mal nécessaire pour retenir les plus riches sans qui l'économie ne pourrait croître. C'est évidemment un argument fallacieux puisqu'il faudrait déjà que leur argent s'investisse dans des entreprises productives, et non dans des fonds financiers destinés à en faire des rentiers ! Qui plus est, tous ces mécanismes n'ont vraiment pas l'air de retenir nos riches en France, si on en juge par le fait que le nombre de départs de redevables de l'ISF s'est établi à 821 en 2008 contre 719 en 2007, alors que le nombre de retours est passé de 246 en 2007 à 312 en 2008...
Bref, il est temps de revenir à une fiscalité plus juste et plus transparente. C'est précisément ce que proposent Camille Landais, Thomas Piketty et Emmanuel Saez dans leur livre Pour une révolution fiscale. Ces 3 économistes proposent en plus un site internet gratuit qui permet à chaque citoyen de s’approprier la question fiscale. En effet, l'internaute peut y simuler les conséquences en termes de recettes d’une variation du taux d’imposition ou du barème. Ce simulateur repose sur une base de 800 000 profils fictifs, reproduisant la répartition constatée des revenus et patrimoines des Français et, cerise sur le gâteau, prend en compte la totalité des prélèvements obligatoires (impôts sur le revenu, sur le capital, sur la consommation et cotisations sociales !).
Le Nouvel Observateur a publié certaines pages de ce livre dans son édition du 20 janvier. Les auteurs commencent par nous présenter un panorama de la situation fiscale française : si l’on prend en compte le revenu individuel total avant impôt (travail et capital), notre système fiscal est tout juste progressif jusqu’aux classes moyennes (avec des taux effectifs d'imposition s'étalant de 41 à 50 %), mais est clairement régressif au sein des 5 % les plus riches (avec des taux effectifs d'imposition déclinant jusqu'à 35 %) ! Pire, contrairement à l'idée reçue selon laquelle les pauvres sont des assistés, si l’on prend en compte l’ensemble des prélèvements obligatoires (impôts sur le revenu + cotisations sociales + impôts sur la consommation), les plus modestes supportent des taux effectifs d’imposition de l’ordre de 45% à 50%, quand les plus riches ne dépassent pas 35%...
Leur idée de départ est que la régressivité du système fiscal français s'explique en partie par le poids excessif des cotisations sociales pesant sur le travail, ces dernières ne touchant pas le capital qui reste aux mains des plus riches (et qui bénéficie en plus d'exonérations multiples...). Ils proposent par conséquent une réforme basée sur un nouvel impôt sur le revenu, qui remplacerait la CSG, l’actuel IRPP, le prélèvement libératoire, la prime pour l’emploi et le bouclier fiscal. Il serait individualisé et prélevé à la source sur les revenus du travail et du capital, et prendra dès lors la forme d'une extension de l’actuelle CSG, mais avec un barème progressif (exprimé en taux effectif applicable à la totalité du revenu, et non en taux marginal), puisque c'est tout l'enjeu de cette réforme. Pour financer la Sécurité sociale, il est prévu qu'une partie des recettes de ce nouvel impôt sur le revenu lui soit affectée, sur la base d'un pourcentage de la base fiscale afin de garantir son financement par l'État et de pallier de la sorte à toute éventuelle réduction de taux du nouvel impôt sur le revenu.
Au final, je cite leur livre, "seuls les 3 % les plus aisés (au-delà de 8.000 euros de revenu mensuel brut individuel) paient davantage d’impôts. Autour de 7.000 euros, la réforme est neutre. A 6.000 euros de revenu mensuel, et au-dessous, la réforme proposée représente une réduction d’impôt certes modeste, mais qui est loin d’être négligeable en ces temps de pouvoir d’achat stagnant et de surtaxation des revenus du travail".
Certes, tout n'est pas parfait dans leur système (effets de seuil notamment), mais ce remarquable travail permet d'avoir une base solide pour débattre cette fois d'une vraie réforme fiscale dans notre pays, et pas d'une mesurette injuste à l'image de ce que nous avons eu le droit pour les retraites. C'est peut-être pour cette raison que leur livre s'intitule pour une révolution fiscale, le changement proposé étant tellement conséquent que le mot réforme, tant galvaudé depuis des années, ne trouve plus à s'appliquer dans ce cas...