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Abrégé du capital de Karl Marx de Carlo Cafiero (Critique de l'économie capitaliste, 1878)

Publié le 13 février 2011 par Florian @punkonline

Abrégé du capital de Karl Marx de Carlo Cafiero (Critique de l'économie capitaliste, 1878)Cet abrégé est idéal pour connaître l'essentiel des idées du livre 1 du Capital de Karl Marx. Le livre de Marx décode un à un les rouages du système capitalisme. Très long et assez complexe, il n'était pas destiné à tout le monde. Devant ce constat, Carlo Cafiero, militant libertaire - sa biographie est faite dans l'avant-propos -, a décidé d'en proposer une version plus simple afin de diffuser les idées de l'oeuvre de façon plus large. Il a pour cela repris contact avec Marx dont la correspondance est incluse en annexe, malgré certaines divergences. En effet, Carlo Cafiero va suivre Bakounine lorsque celui-ci est exclu de l'Assemblée internationale des travailleurs (AIT) en 1872. L'internationale socialiste devait se muer en entité politique. Marx voulait un centre de décision, basé à Londres. Bakounine voyait en cette idée un "socialisme autoritaire".  Il va préférer un « socialisme libertaire"  qui s'affranchirait du capitalisme et des instances étatiques. Cafiero a rédigé cet abrégé en prison après une tentative d'insurrection pendant l'hiver 1877-1878.

Quatrième de couverture :

« Le capitalisme n’est et ne sera pas là de toute éternité. »
Cet Abrégé, rédigé en 1878 nous livre l’essentiel de l’analyse contenue dans le Livre I du Capital de Karl Marx.
Ce compendium de la critique du système capitaliste – « où ce ne sont pas les moyens de production qui sont au service du travailleur, mais bien le travailleur qui se trouve au service des moyens de production » – a été rédigé à destination d’un public populaire.
Écrit dans un style simple et sans l’appareil scientifique qui rend parfois ardue l’approche de l’œuvre originale, ce résumé a d’ailleurs été approuvé par Marx en personne.
L’auteur, Carlo Cafiero (1846-1892), communiste libertaire italien, n’était pourtant pas un disciple du théoricien allemand auquel il s’était opposé lors de la scission de la Première Internationale en 1872.
L’avant-propos de James Guillaume nous rappelle le parcours de Cafiero et les tendances qui s’affrontèrent à l’époque au sein du mouvement ouvrier.
En Annexe, la correspondance entre Carlo Cafiero et Karl Marx.

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Quelques extraits :

I. Marchandise, monnaie, richesse et capital

« La marchandise est un objet qui a deux sortes de valeur : la valeur d'usage, et la valeur d'échange ou valeur proprement dite ».
« La valeur d'usage de la marchandise est fondée sur les qualités propres de cette marchandise, laquelle est, en vertu de ses qualités, destinée à satisfaire tel de nos besoins, et non tel autre ».
« La base de la valeur d'échange, ou valeur proprement dite, c'est le travail humain nécessaire pour la production ».
« La substance de la valeur est donc le travail humain, et la grandeur de la valeur est déterminée par la grandeur de ce travail est humain. La substance de la valeur est la même dans toutes les marchandises : il n'y a donc qu'à en égaliser la grandeur, pour que les marchandisent soient, comme expression de la valeur, toutes égales entre elles, c'est-à-dire toutes échangeables les unes contre les autres ».
« Les marchandises, donc, s'échangent entre elles ; c'est-à-dire que l'une se présente comme l'équivalent de l'autre. Pour la plus grande commodité des échanges, on convient de se servir toujours, comme équivalent, d'une certaine marchandise donnée : celle-ci sort, par là, du rang de toutes les autres pour se placer en face d'elles comme équivalent général, c'est-à-dire comme monnaie ».
« Quand nous nous trouvons en possession d'une certaine accumulation de marchandises, ou de monnaie, ce qui est la même chose, nous sommes possesseurs d'une certaine richesse. Si à cette richesse nous pouvons faire prendre un corps, c'est-à-dire un organisme capable de se développer, nous aurons le capital ».

II. Comment naît le capital

« [...] On constate qu'en dernière analyse la question de la naissance du capital revient à ceci : trouver une marchandise qui rapporte plus qu'elle n'a coûté ; trouver une marchandise qui, entre nos mains, puisse croître en valeur, de façon qu'en la vendant nous recevions plus d'argent que nous en avions dépensé pour l'acheter. Il faut que ce soit en un mot, une marchandise élastique, qui, entre nos mains, étirées quelque peu, puisse agrandir le volume de sa valeur. Cette marchandise si singulière existe réellement, et elle s'appelle puissance de travail, ou force de travail ».
« Le prix de la force de travail se calcule de la manière suivante. Qu'on prenne le prix des aliments, des vêtements, du logement et de tout ce qui est nécessaire au travailleur, en une année, pour maintenir constamment sa force de travail dans son état normal ; qu'on ajoute à cette première somme le prix de tout ce dont le travailleur a besoin en une année pour procréer, entretenir et élever, selon sa condition, ses enfants ; qu'on divise le total par 365, nombres de jours de l'année, et on aura le chiffre de ce qui est nécessaire, chaque jour de l'année, et on aura le chiffre de ce qui est nécessaire, chaque jour, pour maintenir la force de travail : on en aura le prix journalier, qui est le salaire journalier du travailleur ».
« Les éléments du travail sont au nombre de trois : 1° la force de travail ; 2° la matière première de travail ; 3° le moyen de travail. Notre possesseur d'argent, après avoir acheté sur le marché la force de travail, y a acheté aussi la matière première du travail, à savoir du coton ; le moyen de travail, c'est-à-dire l'atelier avec tous les outils, est tout préparé ; et par conséquent et il ne lui reste plus qu'à se mettre en route pour faire commencer tout de suite la besogne ».
« Il [le bourgeois] sait très bien qu'il existe une grande différence entre le prix de la force de travail et le produit de cette force de travail. Le salaire d'une journée de travail ne représente pas du tout ce que l'ouvrier produit en une journée de travail. Notre possesseur d'argent sait très bien que les 3 francs de salaire payés par lui représentent l'entretien de son ouvrier pendant vingt-quatre heures, mais non pas que celui-ci a produit pendant les douze heures qu'il a travaillé dans son atelier ».

III. La journée de travail

« Le temps pendant lequel l'ouvrier travaille est le temps pendant lequel le capitaliste consomme la force de travail qu'il a acheté. Si le salarié consomme pour lui même son temps disponible, il vole le capitaliste ».
« Le capitaliste ne f'ait qu'exercer son droit d'acheteur, lorsqu'il cherche à prolonger le plus possible la journée de travail, lorsque d'une journée de travail il en fait deux ».

IV. La plus-value relative

« Quelque minime, en effet, que soit le temps laissé par le capitaliste à l'ouvrier pour la satisfaction de ses plus indispensables besoins, la journée de travail sera toujours inférieur à vingt-quatre heures ».
« Représentons une journée de travail par la ligne AB :
A-----------------------D-----C -----------------------B
La lettre A indiquera le commencement, la lettre B la fin, c'est-à-dire ce terme naturel au-delà duquel il n'est pas possible d'aller. Soit AC la partie de la journée pendant laquelle l'ouvrier produit la valeur équivalente au salaire reçu, et CB la partie de la journée pendant laquelle il produit la plus-value.[...] Le travail AC, par lequel on reproduit la valeur du salaire, est dit travail nécessaire, tandis que le travail CB, qui produit la plus-value, s'appelle surtravail. Le capital est altéré de surtravail, parce que c'est le surtravail qui engendre la plus-value. Le surtravail prolonge la journée de travail ; et celle-ci finit par rencontrer sa limite naturelle B qui présente un obstacle insurmontable au surtravail et à la plus-value.
Que faire alors ? Le capitaliste a vite trouvé le remède. Il observe que le travail à deux limites : l'une B, terme de la journée de travail ; l'autre, C, terme du travail nécessaire ; or, si la limite B est immuable, il n'est pas ainsi de la limite C. Si on réussit à transporter la limite C au point D, on aura accru le surtravail CB de la longueur DC, et en même temps diminué d'autant le travail nécessaire AC. La plus-value aura trouvé ainsi le moyen de continuer à croître, non plus de façon absolue comme précédemment, c'est-à-dire en prolongeant toujours davantage la longueur de la journée de travail, mais en accroissant le surtravail par une diminution correspondante de temps de travail nécessaire. La première était la plus-value absolue, la seconde est la plus-value relative. La plus-value relative se fonde sur la diminution du travail nécessaire ; la diminution du travail nécessaire se fonde sur la diminution du salaire ; la diminution du salaire se fonde sur la diminution du prix des choses nécessaires à l'ouvrier : donc la plus-value relative est fondée sur l'abaissement de la valeur des marchandises dont l'ouvrier a besoin ».
« Le capitalisme a besoin de faire naître une raison pour que ses articles se vendent au marché en quantité double de sa marchandise ; et cette raison il la fournit à l'acheteur par une baisse de prix ».
« Mais le capitaliste, s'il n'a plus le gain provenant de la différence entre la valeur de la marchandise et le prix de vente, conserve toujours l'intégrité de la plus-value : celle-ci est répartie sur douze articles, au lieu de l'être sur six seulement ; mais comme les douze articles sont produits dans le même temps que l'étaient les six, c'est-à-dire en douze heures de travail, la plus-value est restée la même [...] ».

V. Coopération

« Le capital s'est énormément accru, et pour satisfaire à ses nouveaux besoins, le capitaliste a établi le travail coopératif, qui est le travail exécuté par l'union des forces ».
« Premièrement, c'est dans la coopération que le capital réalise la notion de travail social. La force sociale du travail étant la moyenne prise dans un centre donné de production, sur un nombre d'ouvriers qui travaillent avec un degré moyen d'habileté [...] ».
« Le second avantage est l'économie des moyens de travail. Le même atelier, les mêmes calorifères, etc., qui ne servaient qu'à un seul, servent maintenant à beaucoup d'ouvriers ».
« Le troisième avantage de la coopération est l'augmentation de la force du travail ».
« Le quatrième avantage est la possibilité de combiner les forces de façon à pouvoir exécuter des travaux qu'avec des forces isolées il eût été impossible d'accomplir, ou qui n'eussent été accomplis que d'une manière très imparfaite ».
« La coopération est le mode fondamental de la production capitaliste ».

VI. Division du travail et manufacture

« Quand le capitaliste réunit dans son atelier les ouvriers qui exécutent les diverses parties du travail nécessaire à la fabrication d'une marchandise, il donne alors à la coopération un caractère spécial : il établit la division du travail et la manufacture, laquelle n'est autre chose qu'un organisme de production dont les membres sont des hommes ».
Bien que la manufacture soit toujours fondée sur la division du travail, elle a néanmoins une double origine. En effet, dans quelques cas, la manufacture a réuni dans le même atelier les diverses opérations requises pour la confection d'une marchandise, opérations qui, à L'origine, restaient distinctes et séparées L'une de L'autre, comme étant des métiers différents ; dans d'autres cas, elle a divisé, mais en les conservant dans le même atelier, les diverses opérations du travail, qui autrefois formaient un tout dans la confection d'une marchandise ».
« La manufacture multiplie les forces et les instruments de travail, mais les rend éminemment techniques et simples, en les appliquant constamment à une seule et unique opération élémentaire ».
« Storch dit : L'ouvrier qui porte dans ses mains tout un métier peut aller partout exercer son industrie et trouver des moyens de subsister ; L'autre (celui des manufactures) n'est qu'un accessoire qui, séparé de ses confrères, n'a plus ni capacité ni indépendance, et qui se trouve forcé d'accepter la loi qu'on juge à propos de lui imposer ».
« L'ignorance dit Ferguson est la mère de L'industrie comme de la superstition. La réflexion et L'imagination sont sujettes à s'égarer ; mais L'habitude de mouvoir le pied ou la main ne dépend ni de L'une ni de L'autre. Aussi pourrait-on dire que la perfection, en ce qui concerne les manufactures, consiste à pouvoir se passer de L'esprit, de manière que L'atelier puisse être considéré comme une machine dont les parties sont les hommes ».
« Adam Smith dit : L'esprit de la plupart des hommes se développe nécessairement en conformité de leurs occupations de chaque jour. Un homme dont toute la vie se passe à exécuter un petit nombre d'opérations simples n'a aucune occasion d'exercer son intelligence. Il devient en général aussi stupide et ignorant qu'il est possible à une créature humaine de L'être. Après avoir dépeint L'abêtissement de L'ouvrier parcellaire, Smith continue ainsi : L'uniformité de sa vie stationnaire porte aussi atteinte, naturellement, à sa hardiesse d'esprit ; elle détruit même L'énergie de son corps et le rend incapable d'appliquer sa force avec vigueur et persévérance à autre chose qu'à L'opération accessoire qu'il a appris à exécuter. Sa dextérité dans L'occupation spéciale à laquelle il est voué paraît ainsi avoir été acquise aux dépens de ses vertus intellectuelles, sociales et guerrières. Et dans toute société industrielle et civilisée, c'est là L'état où doit tomber nécessairement le pauvre, c'est-à-dire la grande masse du peuple ».
« La division du travail, dans sa forme capitaliste, n'est qu'une méthode particulière de produire de la plus-value relative, c'est-à-dire d'accroître aux dépens du travailleur le rendement du capital, ce qu'on appelle richesse nationale. Aux dépens du travailleur, elle développe la force productive sociale du travail au profit exclusif du capitaliste. Elle crée des conditions nouvelles pour la domination du capital sur le travail. Si, d'une part, elle apparaît comme un progrès historique et comme une phase de développement économique de la société, elle est en même temps, d'autre part, un moyen civilisé et raffiné d'exploitation ».

VII. Machines et grandes industries

« Le but des applications capitaliste des machines, d'ailleurs, n'était pas de soulager la fatigue des travailleurs. Comme tous les autres développements de la force productive du travail, leur emploi est simplement destiné à diminuer le prix des marchandises, de façon à raccourcir la portion de la journée de travail dont l'ouvrier a besoin pour payer son entretien, et à allonger l'autre partie de cette journée, celle qu'il donne pour rien au capitaliste. C'est un moyen de produire de la plus-value ».
« Il [le capitaliste] voit maintenant que, par les machines, il peut obtenir dans le même temps un produit deux fois, quatre fois, dix fois plus grand qu'auparavant ; et il adopte les machines. La coopération, la manufacture, se transforment ainsi pour devenir la grande industrie, et l'atelier devient la fabrique ».
« Le capital se distingue en capital constant et en capital variable. On nome capital constant celui qui est représenté par les moyens de travail et les matières premières. Les bâtiments, les calorifères, les outils, les matières auxiliaires, comme le suif, le charbon, l'huile, etc., les matières premières, comme le fer, le coton, la soie, l'argent, le bois, etc. ».
« Le capital variable est celui qui est représenté par le salaire, c'est-à-dire par le prix de la force de travail ».
« Le premier est appelé constant, parce que sa valeur reste constante dans la valeur de la marchandise dont elle fait partie ; tandis que le second est appelé variable, parce que sa valeur augmente en entrant comme partie composante dans la valeur d'une marchandise. C'est le capital variable qui seul crée de la plus-value ; et la machine ne peut faire partie que du capital constant ».
« L'usure matérielle des machines se présente sous un double aspect. Elles s'usent, d'une part, en raison de leur emploi, comme les pièces de monnaie par la circulation ; et, d'autre part, par le non-emploi, comme une épée qui se rouille dans le fourreau ; ceci est la destruction par les éléments. Le premier genre d'usure est plus ou moins en raison directe, et le dernier, à un certain degré, en raison inverse de leur emploi. La machine est en outre sujette à ce qu'on pourrait appeler l'usure morale. Elle perd de sa valeur d'échange à mesure que des machines de même construction peuvent être fabriquées à meilleur marché ou que des machines perfectionnées viennent lui faire concurrence ».
« Pour réparer ce dernier dommage, le capitaliste a besoin de faire travailler sa machine le plus possible, et il commence, avant tout, par prolonger le travail quotidien, en introduisant le travail de nuit et le système des relais. [...] le système de relais consiste à faire exécuter le travail par deux équipes de travailleurs qui se rechangent toutes les douze heures, ou par trois équipes qui se rechangent toutes les huit heures, de façon que le travail soit continué sans aucune interruption pendant la totalité des vingt-quatre heures ».
« Le capitaliste, donc, supprime grâce aux machines tous les obstacles de temps, toutes les limites de la journée, qui dans la manufacture étaient imposés au travail. Et quand il est arrivé aux limites de la journée naturelle, c'est-à-dire, à l'absorption intégrale des vingt-quatre heures de celle-ci, il trouve le moyen de faire, d'une seule journée, deux, trois, quatre jours et davantage, en intensifiant le travail deux, trois, ou quatre fois ».
« Les machines du maître représentent en réalité un facteur bien plus important de la production que le travail et l'habileté de l'ouvrier, que six mois d'apprentissage peuvent enseigner, et que le moindre travailleur peut apprendre (Rapport du Comité du Fonds de défense des maîtres filateurs et manufacturiers, Manchester, 1854.) ».
« Le fouet du conducteur d'esclaves est remplacé par le livret de punitions du contre-maître, punitions qui se résolvent naturellement en amendes et en retenues sur salaire ».

VIII. Le salaire

« Le travailleur ne peut pas vendre le travail déjà sorti de lui, c'est-à-dire la chose qu'il a produite, la marchandise, car elle appartient au capitaliste, et non à lui ».
« Les deux formes principales du salaire sont le salaire au temps et le salaire aux pièces ».
« Le salaire au temps est celui qui est payé pour un temps donné : pour une journée, pour une semaine, pour un mois, etc., de travail ».
« Le salaire aux pièces n'est pas autre chose qu'une transformation du salaire au temps ».
« Dans le travail aux pièces, la qualité du travail est contrôlée par l'ouvrage même, qui doit être d'une bonté moyenne pour que la pièce soit payée au prix convenu. Sous ce rapport, le salaire aux pièces devient une source inépuisable de prétextes pour faire des retenues sur le paiement de l'ouvrier. Il fournit en même temps au capitaliste une mesure exacte de l'intensité du travail ».
« La qualité et l'intensité du travail étant ainsi contrôlées par la force même du salaire, une grande partie du travail de surveillance devient superflue. Cette forme constitue ainsi la base du travail à domicile moderne, et de tout un système hiérarchiquement organisé d'exploitation et d'oppression ».
« Le salaire aux pièces une fois établi, l'intérêt personnel pousse naturellement l'ouvrier à intensifier le plus possible son effort de travail, ce qui facilite au capitaliste une élévation du degré normal de l'intensité ».
« L'augmentation de la production est suivie de la diminution proportionnelle du salaire. Quand l'ouvrier produisait douze pièces en douze heures, le capitaliste lui payait, par exemple, un salaire de 25 centimes par pièce. Si la production est doublée, l'ouvrier produit vingt-quatre pièces au lieu de douze, et le capitaliste abaisse le salaire de moitié, ne payant plus que 12 centimes et demi par pièce ».

IX. L'accumulation du capital

« L'esclave, le serf et l'ouvrier travaillent, tous trois, en partie pour produire ce qui est nécessaire à leur entretien, et en partie pour le profit de leur maître. Ils représentent trois formes diverses de la même chaîne de sujétion et d'exploitation humaine. C'est toujours l'assujettissement de l'homme dépourvu de toute accumulation antérieur (c'est-à-dire des moyens de produire, qui sont les moyens de vivre) à l'homme qui possède une accumulation ancienne, les moyens de production, les sources de la vie. La conservation du capital, c'est-à-dire, sa reproduction est précisément, dans le mode de production capitaliste, la conservation de cette chaîne de sujétion et d'exploitation humaine.
Mais le travail ne reproduit pas seulement le capital : il produit en outre de la plus-value, qui forme ce qu'on appelle la rente du capital. Si le capitaliste reporte chaque année tout ou partie de sa rente sur son capital, nous aurons une accumulation de capital ; le capital ira en s'accroissant. Par la reproduction simple, le travail conserve le capital ; par l'accumulation de la plus-value, le travail grossit le capital ».
« Quand la rente s'ajoute au capital, cette rente se trouve employée partie en moyen de travail, partie en matières premières, et partie force de travail. C'est le surtravail passé, le travail passé non payé, qui grossit le capital. Une partie du travail non payé de l'année écoulée paie le travail nécessaire de l'année présente. Voilà ce que réussit à faire le capitaliste, grâce à l'ingénieux mécanisme de la production moderne ».
« Quand le capitaliste commence à accumuler capital sur capital, une nouvelle vertu, qui lui appartient en propre, se développe en lui : la vertu qu'on appelle l'abstinence qui consiste à limiter le plus possible ses dépenses, afin d'employer la plus grande partie de sa rente pour l'accumulation ».
« À mesure que croît l'accumulation du capital, sa partie variable diminue, tandis que sa partie constante augmente. C'est-à-dire qu'on voit augmenter les bâtiments, les machines avec leurs matières auxiliaires, et les matières premières du travail, mais qu'en même temps, et à proportion de cette augmentation, avec l'accumulation du capital diminue le besoin de la force de travail, le besoin de bras. Le besoin de force de travail diminuant, la demande de cette force diminue aussi. Il en résulte que plus progresse l'accumulation de capital, plus les salaires s'abaissent ».
« L'accumulation du capital prend de vastes proportions au moyen de la concurrence et du crédit. Le crédit porte spontanément un grand nombre de capitaux à se fondre ensemble, ou plutôt à se fondre avec un capital plus fort que chacun d'eux en particulier. La concurrence, au contraire, est la guerre que se font tous les capitaux entre eux ; c'est leur lutte pour l'existence, de laquelle sortent plus fort encore ceux qui, pour vaincre, avaient dû être déjà les plus forts ».
« L'accumulation du capital rend donc inutile un grand nombre de bras : c'est-à-dire qu'elle crée un excédent relatif - non absolu - de population parmi les travailleurs ».
« Et tandis que le progrès de l'accumulation de la richesse sur la base capitaliste produit nécessairement une surpopulation ouvrière relative, celle-ci devient à son tour le levier le plus puissant de l'accumulation, une condition d'existence de la production capitaliste dans son état de développement intégral. Elle forme une armée industrielle de réserve, qui appartient au capital d'une manière aussi absolue que s'il l'avait élevée et disciplinée à ses propres frais. Elle fournit la matière humaine toujours exploitable et disponible pour la fabrication de la plus-value... C'est seulement sous le régime de la grande industrie que la production d'un superflu de population ouvrière devient un ressort régulier de la production des richesses ».
« Cette armée industrielle de réserve, cette surpopulation ouvrière revêt d'une manière générale trois formes, qu'on peut appeler la forme flottante, la forme latente, et la forme stagnante. La première forme est mieux payée, elle souffre moins que les autres du manque de travail, tout en faisant un travail moins pénible. La dernière forme au contraire est composée de travailleurs qui sont occupés plus rarement que tous les autres, et toujours à un travail plus fatiguant et répugnant, qui leur est payé au plus bas prix que puisse être rétribué le travail humain ».
« Au-dessous de ces trois formes, il ne reste que le dernier résidu de la surpopulation relative, qui habite l'enfer du paupérisme. Abstraction faite des vagabonds, des criminels, des prostituées, des mendiants, et de tout ce monde qui constitue à proprement parler le prolétariat des gueux (das Lumpenproletariat)., cette couche sociale se compose de trois catégories. La première comprend des ouvriers capables de travailler. [...] La seconde catégorie comprend les orphelins et les enfants d'indigents assistés. [...] La troisième comprend les déchus, les dégradés, les gens incapables de tout travail ».
 « Le paupérisme est l'hôtel des invalides de l'armée active du travail, et le poids mort de l'armée industrielle de réserve. Il est produit par la cause qui engendre la surpopulation relative, sa nécessité résulte de la nécessité de celle-ci ; il forme, comme elle, une condition d'existence de la production capitaliste et du développement de la richesse ».
« La loi en vertu de laquelle le développement de la force productive sociale du travail fait diminuer progressivement la dépense de force de travail, en raison de l'efficacité accrue et de la masse augmentée des moyens de production, cette loi qui met l'homme social en état de produire davantage avec moins de travail, aboutit au régime capitaliste - où ce ne sont pas les moyens de production qui sont au service du travailleur, mais le travailleur qui se trouve au service des moyens de production -, à cette conséquence toute contraire : que, plus les moyens de production gagnent en ressource et en puissance, plus le nombre des ouvriers sans emploi augmente, et plus devient précaire par conséquent la condition d'existence du salarié, la vente de sa force de travail ».

X. L'accumulation primitive

« À l'époque la plus reculée, des groupes de population nomade s'établirent dans les localités les mieux situées et les plus favorisés de la nature. Ils fondèrent des villes, se mirent à cultiver la terre, et à se livrer aux diverses occupations qui pouvaient être nécessaires à leur bien-être. Mais au cours de leur développement, ces groupes se rencontrèrent et s'entrechoquèrent, et il s'en suivit des guerres, des meurtres, des incendies, des rapines et des carnages. Tout ce que possédaient les vaincus devint la propriété des vainqueurs, y compris les personnes des survivants qui furent tous réduits en esclavage ».
« Dans cette seconde époque de l'histoire [le Moyen-Age], nous ne trouvons qu'une série d'invasions : peuples conquérants faisant irruption dans les pays plus riches occupés par d'autres peuples ; et toujours le même refrain de massacre, de pillage, d'incendie, etc. Tout ce que possédaient les vaincus devint la propriété des vainqueurs, avec cette différence que les survivants ne furent pas réduits en esclavage comme dans l'antiquité, mais eurent à subir un autre genre de servitude, et devinrent, en qualité de serfs, la propriété des seigneurs, avec la terre à laquelle ils étaient attachés ».
« En Angleterre, le servage avait disparu en fait vers la fin du XIVe siècle. L'immense majorité de la population se composait alors, et plus encore au XVe siècle, de paysans libres et propriétaires, quel que fût d'ailleurs le terme féodal sous lequel était plus ou moins dissimulé leur droit de possession ».
« Le prélude de la révolution qui créa les fondements du mode de production capitaliste se joua dans le dernier tiers du XVe et le premier tiers du XVIe siècle. Le licenciement des suites féodales des seigneurs jeta sur le marché une masse de prolétaires sans feu ni lieu ; masse qui fut considérablement accrue par l'usurpation des biens communaux, et par l'expulsion des paysans de terres sur lesquelles ils avaient eu, dans le régime féodal, autant de droits que les seigneurs ».
« Une nouvelle et terrible impulsion fut donnée à l'expropriation violente des masses populaires, au XVIe siècle, par la Réforme et le vol colossal des biens de cette Église qui en fut la suite. L'Église catholique était, à l'époque, propriétaire, sous la forme féodale, d'une grande partie du sol anglais. La suppression des couvents, etc. jeta les habitants de leurs anciens domaines dans le prolétariat ».
« Au XVIIIe siècle, la loi elle-même devint l'instrument du vol des terres du peuple. La forme parlementaire de ce vol est celle des "lois sur la clôture des terres communales", en d'autres termes des décrets par lesquels les landlords s'adjugent eux-mêmes la propriété populaire comme propriété privée, des décrets d'expropriation du peuple ».
« Les villes et les manufactures grandiront, parce qu'un plus grand nombre de personnes se verront forcées d'y aller chercher une occupation ».
« La création et l'accroissement d'un prolétariat sans feu ni lieu est allé nécessairement plus vite que son absorption brusquement arrachée à leurs conditions habituelles d'existence ne pouvait s'adapter du premier coup d'oeil à la discipline du nouvel ordre social. Ils se transformèrent en très grand nombre, en mendiants, en voleurs, en vagabonds, quelquefois par un penchant naturel, le plus souvent par nécessité. De là, vers la fin du XVe siècle et pendant tout le XVIe, dans l'Europe occidentale, une législation sanguinaire contre le vagabondage ».
« W.Howitt [pionnier de l'anthropologie], qui s'exprime ainsi : "Les Barbaries et les atrocités exécrables perpétrées par les races dites chrétiennes, dans toutes les régions du monde et contre tous les peuples qu'elles ont pu asservir, ne trouvent leur équivalent à aucune époque de l'histoire universelle, chez aucune race, si sauvage, si grossière, si impitoyable, si éhontée qu'elle fût" ».

« L'ouvrier a tout fait ; et l'ouvrier peut tout détruire, parce qu'il peut tout refaire ».

Lire le chapitre VI : Division du travail et manufacture


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