Cet abrégé est idéal pour connaître l'essentiel des idées du livre 1 du Capital de Karl Marx. Le livre de Marx décode un à un les rouages du système capitalisme. Très long et assez complexe, il n'était pas destiné à tout le monde. Devant ce constat, Carlo Cafiero, militant libertaire - sa biographie est faite dans l'avant-propos -, a décidé d'en proposer une version plus simple afin de diffuser les idées de l'oeuvre de façon plus large. Il a pour cela repris contact avec Marx dont la correspondance est incluse en annexe, malgré certaines divergences. En effet, Carlo Cafiero va suivre Bakounine lorsque celui-ci est exclu de l'Assemblée internationale des travailleurs (AIT) en 1872. L'internationale socialiste devait se muer en entité politique. Marx voulait un centre de décision, basé à Londres. Bakounine voyait en cette idée un "socialisme autoritaire". Il va préférer un « socialisme libertaire" qui s'affranchirait du capitalisme et des instances étatiques. Cafiero a rédigé cet abrégé en prison après une tentative d'insurrection pendant l'hiver 1877-1878.
Quatrième de couverture :
« Le
capitalisme n’est et ne sera pas là de toute éternité. »
Cet Abrégé, rédigé en 1878 nous livre l’essentiel de l’analyse
contenue dans le Livre I du Capital de Karl Marx.
Ce compendium de la critique du système capitaliste – « où ce ne sont
pas les moyens de production qui sont au service du travailleur, mais
bien le travailleur qui se trouve au service des moyens de production » –
a été rédigé à destination d’un public populaire.
Écrit dans un style simple et sans l’appareil scientifique qui rend
parfois ardue l’approche de l’œuvre originale, ce résumé a d’ailleurs
été approuvé par Marx en personne.
L’auteur, Carlo Cafiero (1846-1892), communiste libertaire italien,
n’était pourtant pas un disciple du théoricien allemand auquel il
s’était opposé lors de la scission de la Première Internationale en
1872.
L’avant-propos de James Guillaume nous rappelle le parcours de
Cafiero et les tendances qui s’affrontèrent à l’époque au sein du
mouvement ouvrier.
En Annexe, la correspondance entre Carlo Cafiero et Karl Marx.
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Quelques extraits :
I. Marchandise, monnaie, richesse et capital
« La marchandise est un objet qui a deux sortes de valeur : la valeur
d'usage, et la valeur d'échange ou valeur proprement dite ».
« La valeur
d'usage de la marchandise est fondée sur les qualités propres de cette
marchandise, laquelle est, en vertu de ses qualités, destinée à satisfaire tel
de nos besoins, et non tel autre ».
« La base de la valeur d'échange, ou
valeur proprement dite, c'est le travail humain nécessaire pour la production
».
« La substance de la valeur est donc le travail humain, et la grandeur de
la valeur est déterminée par la grandeur de ce travail est humain. La substance
de la valeur est la même dans toutes les marchandises : il n'y a donc qu'à en
égaliser la grandeur, pour que les marchandisent soient, comme expression de la
valeur, toutes égales entre elles, c'est-à-dire toutes échangeables les unes
contre les autres ».
« Les marchandises, donc, s'échangent entre elles ;
c'est-à-dire que l'une se présente comme l'équivalent de l'autre. Pour la plus
grande commodité des échanges, on convient de se servir toujours, comme
équivalent, d'une certaine marchandise donnée : celle-ci sort, par là, du rang
de toutes les autres pour se placer en face d'elles comme équivalent général,
c'est-à-dire comme monnaie ».
« Quand nous nous trouvons en
possession d'une certaine accumulation de marchandises, ou de monnaie, ce qui
est la même chose, nous sommes possesseurs d'une certaine richesse. Si à cette
richesse nous pouvons faire prendre un corps, c'est-à-dire un organisme capable
de se développer, nous aurons le capital ».
II. Comment naît le capital
« [...] On constate qu'en dernière analyse la question de la naissance du
capital revient à ceci : trouver une marchandise qui rapporte plus qu'elle n'a
coûté ; trouver une marchandise qui, entre nos mains, puisse croître en valeur,
de façon qu'en la vendant nous recevions plus d'argent que nous en avions
dépensé pour l'acheter. Il faut que ce soit en un mot, une marchandise
élastique, qui, entre nos mains, étirées quelque peu, puisse agrandir le volume
de sa valeur. Cette marchandise si singulière existe réellement, et elle
s'appelle puissance de travail, ou force de travail ».
« Le prix de la force
de travail se calcule de la manière suivante. Qu'on prenne le prix des aliments,
des vêtements, du logement et de tout ce qui est nécessaire au travailleur, en
une année, pour maintenir constamment sa force de travail dans son état normal ;
qu'on ajoute à cette première somme le prix de tout ce dont le travailleur
a besoin en une année pour procréer, entretenir et élever, selon sa condition,
ses enfants ; qu'on divise le total par 365, nombres de jours de l'année, et on
aura le chiffre de ce qui est nécessaire, chaque jour de l'année, et on aura le
chiffre de ce qui est nécessaire, chaque jour, pour maintenir la force de
travail : on en aura le prix journalier, qui est le salaire journalier du
travailleur ».
« Les éléments du travail sont au nombre de trois : 1° la
force de travail ; 2° la matière première de travail ; 3° le moyen de travail.
Notre possesseur d'argent, après avoir acheté sur le marché la force de travail,
y a acheté aussi la matière première du travail, à savoir du coton ; le moyen de
travail, c'est-à-dire l'atelier avec tous les outils, est tout préparé ; et par
conséquent et il ne lui reste plus qu'à se mettre en route pour faire commencer
tout de suite la besogne ».
« Il [le bourgeois] sait très bien qu'il existe
une grande différence entre le prix de la force de travail et le produit de
cette force de travail. Le salaire d'une journée de travail ne représente pas du
tout ce que l'ouvrier produit en une journée de travail. Notre possesseur
d'argent sait très bien que les 3 francs de salaire payés par lui représentent
l'entretien de son ouvrier pendant vingt-quatre heures, mais non pas que
celui-ci a produit pendant les douze heures qu'il a travaillé dans son atelier
».
III. La journée de travail
« Le temps pendant lequel l'ouvrier travaille est le temps pendant lequel
le capitaliste consomme la force de travail qu'il a acheté. Si le salarié
consomme pour lui même son temps disponible, il vole le capitaliste ».
« Le
capitaliste ne f'ait qu'exercer son droit d'acheteur, lorsqu'il cherche à
prolonger le plus possible la journée de travail, lorsque d'une journée de
travail il en fait deux ».
IV. La plus-value relative
« Quelque minime, en effet, que soit le temps laissé par le capitaliste à
l'ouvrier pour la satisfaction de ses plus indispensables besoins, la journée de
travail sera toujours inférieur à vingt-quatre heures ».
« Représentons une
journée de travail par la ligne AB :
A-----------------------D-----C
-----------------------B
La lettre A indiquera le commencement, la lettre B
la fin, c'est-à-dire ce terme naturel au-delà duquel il n'est pas possible
d'aller. Soit AC la partie de la journée pendant laquelle l'ouvrier produit la
valeur équivalente au salaire reçu, et CB la partie de la journée pendant
laquelle il produit la plus-value.[...] Le travail AC, par lequel on reproduit
la valeur du salaire, est dit travail nécessaire, tandis que le travail CB, qui
produit la plus-value, s'appelle surtravail. Le capital est altéré de
surtravail, parce que c'est le surtravail qui engendre la plus-value. Le
surtravail prolonge la journée de travail ; et celle-ci finit par rencontrer sa
limite naturelle B qui présente un obstacle insurmontable au surtravail et à la
plus-value.
Que faire alors ? Le capitaliste a vite trouvé le remède. Il
observe que le travail à deux limites : l'une B, terme de la journée de travail
; l'autre, C, terme du travail nécessaire ; or, si la limite B est immuable, il
n'est pas ainsi de la limite C. Si on réussit à transporter la limite C au point
D, on aura accru le surtravail CB de la longueur DC, et en même temps diminué
d'autant le travail nécessaire AC. La plus-value aura trouvé ainsi le moyen de
continuer à croître, non plus de façon absolue comme précédemment, c'est-à-dire
en prolongeant toujours davantage la longueur de la journée de travail, mais en
accroissant le surtravail par une diminution correspondante de temps de travail
nécessaire. La première était la plus-value absolue, la seconde est la
plus-value relative. La plus-value relative se fonde sur la diminution du
travail nécessaire ; la diminution du travail nécessaire se fonde sur la
diminution du salaire ; la diminution du salaire se fonde sur la diminution du
prix des choses nécessaires à l'ouvrier : donc la plus-value relative est fondée
sur l'abaissement de la valeur des marchandises dont l'ouvrier a besoin ».
«
Le capitalisme a besoin de faire naître une raison pour que ses articles se
vendent au marché en quantité double de sa marchandise ; et cette raison il la
fournit à l'acheteur par une baisse de prix ».
« Mais le capitaliste, s'il
n'a plus le gain provenant de la différence entre la valeur de la marchandise et
le prix de vente, conserve toujours l'intégrité de la plus-value : celle-ci est
répartie sur douze articles, au lieu de l'être sur six seulement ; mais comme
les douze articles sont produits dans le même temps que l'étaient les six,
c'est-à-dire en douze heures de travail, la plus-value est restée la même [...]
».
V. Coopération
« Le capital s'est énormément accru, et pour satisfaire à ses nouveaux
besoins, le capitaliste a établi le travail coopératif, qui est le travail
exécuté par l'union des forces ».
« Premièrement, c'est dans la coopération
que le capital réalise la notion de travail social. La force sociale du travail
étant la moyenne prise dans un centre donné de production, sur un nombre
d'ouvriers qui travaillent avec un degré moyen d'habileté [...] ».
« Le
second avantage est l'économie des moyens de travail. Le même atelier, les mêmes
calorifères, etc., qui ne servaient qu'à un seul, servent maintenant à beaucoup
d'ouvriers ».
« Le troisième avantage de la coopération est l'augmentation de
la force du travail ».
« Le quatrième avantage est la possibilité de combiner
les forces de façon à pouvoir exécuter des travaux qu'avec des forces isolées il
eût été impossible d'accomplir, ou qui n'eussent été accomplis que d'une manière
très imparfaite ».
« La coopération est le mode fondamental de la production
capitaliste ».
VI. Division du travail et manufacture
« Quand le capitaliste réunit dans son atelier les ouvriers qui exécutent les
diverses parties du travail nécessaire à la fabrication d'une marchandise, il
donne alors à la coopération un caractère spécial : il établit la division du
travail et la manufacture, laquelle n'est autre chose qu'un organisme de
production dont les membres sont des hommes ».
Bien que la manufacture soit
toujours fondée sur la division du travail, elle a néanmoins une double origine.
En effet, dans quelques cas, la manufacture a réuni dans le même atelier les
diverses opérations requises pour la confection d'une marchandise, opérations
qui, à L'origine, restaient distinctes et séparées L'une de L'autre, comme étant
des métiers différents ; dans d'autres cas, elle a divisé, mais en les
conservant dans le même atelier, les diverses opérations du travail, qui
autrefois formaient un tout dans la confection d'une marchandise ».
« La
manufacture multiplie les forces et les instruments de travail, mais les rend
éminemment techniques et simples, en les appliquant constamment à une seule et
unique opération élémentaire ».
« Storch dit : L'ouvrier qui porte dans ses
mains tout un métier peut aller partout exercer son industrie et trouver des
moyens de subsister ; L'autre (celui des manufactures) n'est qu'un accessoire
qui, séparé de ses confrères, n'a plus ni capacité ni indépendance, et qui se
trouve forcé d'accepter la loi qu'on juge à propos de lui imposer ».
«
L'ignorance dit Ferguson est la mère de L'industrie comme de la superstition. La
réflexion et L'imagination sont sujettes à s'égarer ; mais L'habitude de mouvoir
le pied ou la main ne dépend ni de L'une ni de L'autre. Aussi pourrait-on dire
que la perfection, en ce qui concerne les manufactures, consiste à pouvoir se
passer de L'esprit, de manière que L'atelier puisse être considéré comme une
machine dont les parties sont les hommes ».
« Adam Smith dit : L'esprit de la
plupart des hommes se développe nécessairement en conformité de leurs
occupations de chaque jour. Un homme dont toute la vie se passe à exécuter un
petit nombre d'opérations simples n'a aucune occasion d'exercer son
intelligence. Il devient en général aussi stupide et ignorant qu'il est possible
à une créature humaine de L'être. Après avoir dépeint L'abêtissement de
L'ouvrier parcellaire, Smith continue ainsi : L'uniformité de sa vie
stationnaire porte aussi atteinte, naturellement, à sa hardiesse d'esprit ; elle
détruit même L'énergie de son corps et le rend incapable d'appliquer sa force
avec vigueur et persévérance à autre chose qu'à L'opération accessoire qu'il a
appris à exécuter. Sa dextérité dans L'occupation spéciale à laquelle il est
voué paraît ainsi avoir été acquise aux dépens de ses vertus intellectuelles,
sociales et guerrières. Et dans toute société industrielle et civilisée, c'est
là L'état où doit tomber nécessairement le pauvre, c'est-à-dire la grande masse
du peuple ».
« La division du travail, dans sa forme capitaliste, n'est
qu'une méthode particulière de produire de la plus-value relative, c'est-à-dire
d'accroître aux dépens du travailleur le rendement du capital, ce qu'on appelle
richesse nationale. Aux dépens du travailleur, elle développe la force
productive sociale du travail au profit exclusif du capitaliste. Elle crée des
conditions nouvelles pour la domination du capital sur le travail. Si, d'une
part, elle apparaît comme un progrès historique et comme une phase de
développement économique de la société, elle est en même temps, d'autre part, un
moyen civilisé et raffiné d'exploitation ».
VII. Machines et grandes industries
« Le but des applications capitaliste des machines, d'ailleurs, n'était pas
de soulager la fatigue des travailleurs. Comme tous les autres développements de
la force productive du travail, leur emploi est simplement destiné à diminuer le
prix des marchandises, de façon à raccourcir la portion de la journée de travail
dont l'ouvrier a besoin pour payer son entretien, et à allonger l'autre partie
de cette journée, celle qu'il donne pour rien au capitaliste. C'est un moyen de
produire de la plus-value ».
« Il [le capitaliste] voit maintenant que, par
les machines, il peut obtenir dans le même temps un produit deux fois, quatre
fois, dix fois plus grand qu'auparavant ; et il adopte les machines. La
coopération, la manufacture, se transforment ainsi pour devenir la grande
industrie, et l'atelier devient la fabrique ».
« Le capital se distingue en
capital constant et en capital variable. On nome capital constant celui qui est
représenté par les moyens de travail et les matières premières. Les bâtiments,
les calorifères, les outils, les matières auxiliaires, comme le suif, le
charbon, l'huile, etc., les matières premières, comme le fer, le coton, la soie,
l'argent, le bois, etc. ».
« Le capital variable est celui qui est représenté
par le salaire, c'est-à-dire par le prix de la force de travail ».
« Le
premier est appelé constant, parce que sa valeur reste constante dans la valeur
de la marchandise dont elle fait partie ; tandis que le second est appelé
variable, parce que sa valeur augmente en entrant comme partie composante dans
la valeur d'une marchandise. C'est le capital variable qui seul crée de la
plus-value ; et la machine ne peut faire partie que du capital constant ».
«
L'usure matérielle des machines se présente sous un double aspect. Elles
s'usent, d'une part, en raison de leur emploi, comme les pièces de monnaie par
la circulation ; et, d'autre part, par le non-emploi, comme une épée qui se
rouille dans le fourreau ; ceci est la destruction par les éléments. Le premier
genre d'usure est plus ou moins en raison directe, et le dernier, à un certain
degré, en raison inverse de leur emploi. La machine est en outre sujette à ce
qu'on pourrait appeler l'usure morale. Elle perd de sa valeur d'échange à mesure
que des machines de même construction peuvent être fabriquées à meilleur marché
ou que des machines perfectionnées viennent lui faire concurrence ».
« Pour
réparer ce dernier dommage, le capitaliste a besoin de faire travailler sa
machine le plus possible, et il commence, avant tout, par prolonger le travail
quotidien, en introduisant le travail de nuit et le système des relais. [...] le
système de relais consiste à faire exécuter le travail par deux équipes de
travailleurs qui se rechangent toutes les douze heures, ou par trois équipes qui
se rechangent toutes les huit heures, de façon que le travail soit continué sans
aucune interruption pendant la totalité des vingt-quatre heures ».
« Le
capitaliste, donc, supprime grâce aux machines tous les obstacles de temps,
toutes les limites de la journée, qui dans la manufacture étaient imposés au
travail. Et quand il est arrivé aux limites de la journée naturelle,
c'est-à-dire, à l'absorption intégrale des vingt-quatre heures de celle-ci, il
trouve le moyen de faire, d'une seule journée, deux, trois, quatre jours et
davantage, en intensifiant le travail deux, trois, ou quatre fois ».
« Les
machines du maître représentent en réalité un facteur bien plus important de la
production que le travail et l'habileté de l'ouvrier, que six mois
d'apprentissage peuvent enseigner, et que le moindre travailleur peut apprendre
(Rapport du Comité du Fonds de défense des maîtres filateurs et manufacturiers,
Manchester, 1854.) ».
« Le fouet du conducteur d'esclaves est remplacé par le
livret de punitions du contre-maître, punitions qui se résolvent naturellement
en amendes et en retenues sur salaire ».
VIII. Le salaire
« Le travailleur ne peut pas vendre le travail déjà sorti de lui,
c'est-à-dire la chose qu'il a produite, la marchandise, car elle appartient au
capitaliste, et non à lui ».
« Les deux formes principales du salaire sont le
salaire au temps et le salaire aux pièces ».
« Le salaire au temps est celui
qui est payé pour un temps donné : pour une journée, pour une semaine, pour un
mois, etc., de travail ».
« Le salaire aux pièces n'est pas autre chose
qu'une transformation du salaire au temps ».
« Dans le travail aux pièces, la
qualité du travail est contrôlée par l'ouvrage même, qui doit être d'une bonté
moyenne pour que la pièce soit payée au prix convenu. Sous ce rapport, le
salaire aux pièces devient une source inépuisable de prétextes pour faire des
retenues sur le paiement de l'ouvrier. Il fournit en même temps au capitaliste
une mesure exacte de l'intensité du travail ».
« La qualité et l'intensité du
travail étant ainsi contrôlées par la force même du salaire, une grande partie
du travail de surveillance devient superflue. Cette forme constitue ainsi la
base du travail à domicile moderne, et de tout un système hiérarchiquement
organisé d'exploitation et d'oppression ».
« Le salaire aux pièces une fois
établi, l'intérêt personnel pousse naturellement l'ouvrier à intensifier le plus
possible son effort de travail, ce qui facilite au capitaliste une élévation du
degré normal de l'intensité ».
« L'augmentation de la production est suivie
de la diminution proportionnelle du salaire. Quand l'ouvrier produisait douze
pièces en douze heures, le capitaliste lui payait, par exemple, un salaire de 25
centimes par pièce. Si la production est doublée, l'ouvrier produit vingt-quatre
pièces au lieu de douze, et le capitaliste abaisse le salaire de moitié, ne
payant plus que 12 centimes et demi par pièce ».
IX. L'accumulation du capital
« L'esclave, le serf et l'ouvrier travaillent, tous trois, en partie pour
produire ce qui est nécessaire à leur entretien, et en partie pour le profit de
leur maître. Ils représentent trois formes diverses de la même chaîne de
sujétion et d'exploitation humaine. C'est toujours l'assujettissement de l'homme
dépourvu de toute accumulation antérieur (c'est-à-dire des moyens de produire,
qui sont les moyens de vivre) à l'homme qui possède une accumulation ancienne,
les moyens de production, les sources de la vie. La conservation du capital,
c'est-à-dire, sa reproduction est précisément, dans le mode de production
capitaliste, la conservation de cette chaîne de sujétion et d'exploitation
humaine.
Mais le travail ne reproduit pas seulement le capital : il produit
en outre de la plus-value, qui forme ce qu'on appelle la rente du capital. Si le
capitaliste reporte chaque année tout ou partie de sa rente sur son capital,
nous aurons une accumulation de capital ; le capital ira en s'accroissant. Par
la reproduction simple, le travail conserve le capital ; par l'accumulation de
la plus-value, le travail grossit le capital ».
« Quand la rente s'ajoute au
capital, cette rente se trouve employée partie en moyen de travail, partie en
matières premières, et partie force de travail. C'est le surtravail passé, le
travail passé non payé, qui grossit le capital. Une partie du travail non payé
de l'année écoulée paie le travail nécessaire de l'année présente. Voilà ce que
réussit à faire le capitaliste, grâce à l'ingénieux mécanisme de la production
moderne ».
« Quand le capitaliste commence à accumuler capital sur capital,
une nouvelle vertu, qui lui appartient en propre, se développe en lui : la vertu
qu'on appelle l'abstinence qui consiste à limiter le plus possible ses dépenses,
afin d'employer la plus grande partie de sa rente pour l'accumulation ».
« À
mesure que croît l'accumulation du capital, sa partie variable diminue, tandis
que sa partie constante augmente. C'est-à-dire qu'on voit augmenter les
bâtiments, les machines avec leurs matières auxiliaires, et les matières
premières du travail, mais qu'en même temps, et à proportion de cette
augmentation, avec l'accumulation du capital diminue le besoin de la force de
travail, le besoin de bras. Le besoin de force de travail diminuant, la demande
de cette force diminue aussi. Il en résulte que plus progresse l'accumulation de
capital, plus les salaires s'abaissent ».
« L'accumulation du capital prend
de vastes proportions au moyen de la concurrence et du crédit. Le crédit porte
spontanément un grand nombre de capitaux à se fondre ensemble, ou plutôt à se
fondre avec un capital plus fort que chacun d'eux en particulier. La
concurrence, au contraire, est la guerre que se font tous les capitaux entre eux
; c'est leur lutte pour l'existence, de laquelle sortent plus fort encore ceux
qui, pour vaincre, avaient dû être déjà les plus forts ».
« L'accumulation du
capital rend donc inutile un grand nombre de bras : c'est-à-dire qu'elle crée un
excédent relatif - non absolu - de population parmi les travailleurs ».
« Et
tandis que le progrès de l'accumulation de la richesse sur la base capitaliste
produit nécessairement une surpopulation ouvrière relative, celle-ci devient à
son tour le levier le plus puissant de l'accumulation, une condition d'existence
de la production capitaliste dans son état de développement intégral. Elle forme
une armée industrielle de réserve, qui appartient au capital d'une manière aussi
absolue que s'il l'avait élevée et disciplinée à ses propres frais. Elle fournit
la matière humaine toujours exploitable et disponible pour la fabrication de la
plus-value... C'est seulement sous le régime de la grande industrie que la
production d'un superflu de population ouvrière devient un ressort régulier de
la production des richesses ».
« Cette armée industrielle de réserve, cette
surpopulation ouvrière revêt d'une manière générale trois formes, qu'on peut
appeler la forme flottante, la forme latente, et la forme stagnante. La première
forme est mieux payée, elle souffre moins que les autres du manque de travail,
tout en faisant un travail moins pénible. La dernière forme au contraire est
composée de travailleurs qui sont occupés plus rarement que tous les autres, et
toujours à un travail plus fatiguant et répugnant, qui leur est payé au plus bas
prix que puisse être rétribué le travail humain ».
« Au-dessous de ces trois
formes, il ne reste que le dernier résidu de la surpopulation relative, qui
habite l'enfer du paupérisme. Abstraction faite des vagabonds, des criminels,
des prostituées, des mendiants, et de tout ce monde qui constitue à proprement
parler le prolétariat des gueux (das Lumpenproletariat)., cette couche sociale
se compose de trois catégories. La première comprend des ouvriers capables de
travailler. [...] La seconde catégorie comprend les orphelins et les enfants
d'indigents assistés. [...] La troisième comprend les déchus, les dégradés, les
gens incapables de tout travail ».
« Le paupérisme est l'hôtel des
invalides de l'armée active du travail, et le poids mort de l'armée industrielle
de réserve. Il est produit par la cause qui engendre la surpopulation relative,
sa nécessité résulte de la nécessité de celle-ci ; il forme, comme elle, une
condition d'existence de la production capitaliste et du développement de la
richesse ».
« La loi en vertu de laquelle le développement de la force
productive sociale du travail fait diminuer progressivement la dépense de force
de travail, en raison de l'efficacité accrue et de la masse augmentée des moyens
de production, cette loi qui met l'homme social en état de produire davantage
avec moins de travail, aboutit au régime capitaliste - où ce ne sont pas les
moyens de production qui sont au service du travailleur, mais le travailleur qui
se trouve au service des moyens de production -, à cette conséquence toute
contraire : que, plus les moyens de production gagnent en ressource et en
puissance, plus le nombre des ouvriers sans emploi augmente, et plus devient
précaire par conséquent la condition d'existence du salarié, la vente de sa
force de travail ».
X. L'accumulation primitive
« À l'époque la plus reculée, des groupes de population nomade s'établirent
dans les localités les mieux situées et les plus favorisés de la nature. Ils
fondèrent des villes, se mirent à cultiver la terre, et à se livrer aux diverses
occupations qui pouvaient être nécessaires à leur bien-être. Mais au cours de
leur développement, ces groupes se rencontrèrent et s'entrechoquèrent, et il
s'en suivit des guerres, des meurtres, des incendies, des rapines et des
carnages. Tout ce que possédaient les vaincus devint la propriété des
vainqueurs, y compris les personnes des survivants qui furent tous réduits en
esclavage ».
« Dans cette seconde époque de l'histoire [le Moyen-Age], nous
ne trouvons qu'une série d'invasions : peuples conquérants faisant irruption
dans les pays plus riches occupés par d'autres peuples ; et toujours le même
refrain de massacre, de pillage, d'incendie, etc. Tout ce que possédaient les
vaincus devint la propriété des vainqueurs, avec cette différence que les
survivants ne furent pas réduits en esclavage comme dans l'antiquité, mais
eurent à subir un autre genre de servitude, et devinrent, en qualité de serfs,
la propriété des seigneurs, avec la terre à laquelle ils étaient attachés
».
« En Angleterre, le servage avait disparu en fait vers la fin du XIVe
siècle. L'immense majorité de la population se composait alors, et plus encore
au XVe siècle, de paysans libres et propriétaires, quel que fût d'ailleurs le
terme féodal sous lequel était plus ou moins dissimulé leur droit de possession
».
« Le prélude de la révolution qui créa les fondements du mode de
production capitaliste se joua dans le dernier tiers du XVe et le premier tiers
du XVIe siècle. Le licenciement des suites féodales des seigneurs jeta sur le
marché une masse de prolétaires sans feu ni lieu ; masse qui fut
considérablement accrue par l'usurpation des biens communaux, et par l'expulsion
des paysans de terres sur lesquelles ils avaient eu, dans le régime féodal,
autant de droits que les seigneurs ».
« Une nouvelle et terrible impulsion
fut donnée à l'expropriation violente des masses populaires, au XVIe siècle, par
la Réforme et le vol colossal des biens de cette Église qui en fut la suite.
L'Église catholique était, à l'époque, propriétaire, sous la forme féodale,
d'une grande partie du sol anglais. La suppression des couvents, etc. jeta les
habitants de leurs anciens domaines dans le prolétariat ».
« Au XVIIIe
siècle, la loi elle-même devint l'instrument du vol des terres du peuple. La
forme parlementaire de ce vol est celle des "lois sur la clôture des terres
communales", en d'autres termes des décrets par lesquels les landlords
s'adjugent eux-mêmes la propriété populaire comme propriété privée, des décrets
d'expropriation du peuple ».
« Les villes et les manufactures grandiront,
parce qu'un plus grand nombre de personnes se verront forcées d'y aller chercher
une occupation ».
« La création et l'accroissement d'un prolétariat sans feu
ni lieu est allé nécessairement plus vite que son absorption brusquement
arrachée à leurs conditions habituelles d'existence ne pouvait s'adapter du
premier coup d'oeil à la discipline du nouvel ordre social. Ils se
transformèrent en très grand nombre, en mendiants, en voleurs, en vagabonds,
quelquefois par un penchant naturel, le plus souvent par nécessité. De là, vers
la fin du XVe siècle et pendant tout le XVIe, dans l'Europe occidentale, une
législation sanguinaire contre le vagabondage ».
« W.Howitt [pionnier de
l'anthropologie], qui s'exprime ainsi : "Les Barbaries et les atrocités
exécrables perpétrées par les races dites chrétiennes, dans toutes les régions
du monde et contre tous les peuples qu'elles ont pu asservir, ne trouvent leur
équivalent à aucune époque de l'histoire universelle, chez aucune race, si
sauvage, si grossière, si impitoyable, si éhontée qu'elle fût" ».
« L'ouvrier a tout fait ; et l'ouvrier peut tout détruire, parce qu'il peut tout refaire ».