de Laure Adler
Grasset (janvier 2011)
494 pages
Biographie
Résumé
Et si Françoise Giroud était encore plus grande que sa légende ? Plus riche, plus complexe, plus intéressante que l'image d'Epinal de la jeune femme talentueuse qui devint la première journaliste
de son temps ?
La trajectoire, on la connaît : engagée par Hélène Lazareff à la création de Elle puis cofondatrice de L'Express, et enfin chroniqueuse au Nouvel Observateur, l'ex script-girl de Jean Renoir
avait le sens des phrases assassines : la griffe sous le sourire enjôleur. Compagne et complice de Jean-Jacques Servan-Schreiber, farouche opposante à la guerre d'Algérie, amie fidèle de Mendès
France et de Mitterrand, celle qui "inventa" la Nouvelle Vague et roulait en décapotable fut une grande amoureuse, aimant le plaisir autant que le devoir. Femme politique, cette fille d'immigré
turcs ne passa jamais son bac, mais devint Secrétaire d'Etat à la condition féminine sous Giscard d'Estaing. Travailleuse acharnée, élégante en diable, éprise de liberté, c'était une visionnaire,
qui incarna la naissance de la femme moderne.
Mais on découvre ici que ce tempérament passionné a aussi ses zones d'ombre - expérience de la trahison, coup de folie passionnelle, tentative de suicide, mort d'un fils... Et si une phrase de sa
mère, sur son lit de mort, avait déterminé sa trajectoire et son destin ?
A travers le portrait d'une femme d'exception, c 'est une époque de feu que ressuscite ici Laure Adler : un temps, pas si lointain, où l'on savait encore se battre pour des idéaux.
Mon avis
Après celles de Marguerite Duras, Annah Arendt et Simone Veil, c'est à la vie de Françoise Giroud de passer sous la plume de Laure Adler. Françoise Giroud, née Léa France Gourdji le 21
septembre 1916 à Lausanne et qui mourut à 86 ans le 19 janvier 2003. Elle fut journaliste , écrivaine et femme politique.
La légende de François Giroud est connue: jeune dactylo surdouée, elle est engagée comme scripte par Marc Allégret pour Jean Renoir, puis rapidement devient assistante metteur en scène et
scénariste. Après la Guerre , elle est engagée par Hélène Lazareff comme directrice de rédaction pour la création de Elle, qui se veut un magazine de mode et féministe, tout en écrivant
pour d'autres journaux. Puis c'est la rencontre, décisive, avec Jean Jacques Servan Schreiber , qui devint son amant et avec qui elle créa en 1953, l'Express, à la base supplément
hebdomadaire du Journal Les Echos, et dont la raison d'être était de soutenir Pierre Mendès France et ses idées réformatrices. Françoise Giroud qui devint à deux reprises secrétaire d'état
sous la présidence de Valéry Giscard D'Estaing , tout d'abord à la Condition féminine , ensuite à la Culture, puis devint auteure prolixe et romancière à succès, tout en continuant ,
jusqu'à son dernier jour à écrire des chroniques pour le Nouvel Observateur.
Ce livre est passionnant à bien des égards.
Bien sûr, par son personnage Françoise Giroud, à la fois entière et complexe, ,donnant l'image d'une femme de poigne au caractère fort , bourreau de travail et au grand professionnalisme . Mais
derrière cette façade se cachait beaucoup de souffrance et de zones d'ombre. Elle qui dissimula sa judéité ( gommant son véritable nom (Léa France Goudji, issue d'une famille juive
ottomane, et dont le père, fondateur de l'AFP en Turquie, pour ne pas céder au pouvoir en place lui demandant de prendre position pour les allemands, abandonna famille et fortune pour s'exiler
avec sa femme, et sa fille Djénane (Françoise naquit juste après) en Suisse, puis en France. (Il les abandonna ensuite pour continuer sa lutte aux Etats-Unis et ne les revit jamais). Il est
étonnant de voir ( et c'est le point de départ de ce livre) qu'elle ne se décida à dire la vérité sur ses origines que contrainte et forcée par son petit-fils Nicolas Eliacheff (fils de sa fille
Caroline Eliacheff) qui avait décidé d"étudier dans une yashiva et pour qui la réponse à la question de savoir s'il était juif ou non était capitale . C'était en 1989. Depuis Nicolas est
devenu le Rabbin Rav AAron Eliachieff, intellectuel du Talmud et n'2 du rabbinat de Strasbourg.
Une femme en souffrance, qui on l'a vu , n'a pas connu son père, et qui perdit son fils , Alain, enfant non désiré et qu'elle n'a pas élevé, avec qui elle se réconcilia finalement mais qui
disparut peu après dans un accident de ski. Et surtout sa séparation avec Jean Jacques Servan Schreiber , qu'elle aimait inconditionnellement et qui la largua" comme une vieille chaussette"
en 1960 . Elle en ressortit démolie, morcelée, et tenta de se suicider. Ce fut Jacques Lacan, psychanalyste (pas encore connu à l'époque) qui lui permit, grâce à une analyse qu'elle
entreprit avec lui à partir de 1963, de ré-assembler les morceaux de sa vie et de se reconstruire.
Parti pris ou pas, difficile à dire pour moi car je ne connais que trop de choses sur cet homme, mais Laure Adler n'est pas tendre, c'est le moins que l'on puisse dire, avec Jean Jacques Servan
Schreiber,. Personnage central de la vie de François Giroud et donc omniprésent dans ce livre, il apparaît comme un trublion inconséquent narcissique à l'ego sur-dimensionné, sorte de
hâbleur charmeur et fantasque. J'ai été étonnée de voir comment Françoise Giroud, femme intelligente et perspicace, lui pardonnait ses frasques et le soutenait contre vents et marées
malgré les situations difficiles ou ridicules dans lesquels il se mettait, entraînant parfois la crédibilité de son journal et de ses collaborateurs. Françoise n'eut de cesse que de réparer ses
erreurs et son indulgence fut à la hauteur de son amour : inconditionnelle, et ce même après leur séparation.
Passionnant également pour son aspect historique. Celui de la politique contemporaine française des 5 dernières décennies du XXeme siècle, en particulier au travers de l'Express, journal engagé
crée par Jean Jacques Servan Schereiber et Françoise Giroud en soutien de Pierre Mendes France et qui attira des plumes célèbres telles que Albert Camus, Jean-Paul Sartre, André Malraux, François
Mauriac et Françoise Sagan. et devint par la suite le principal organe d'opposition au genéral de Gaulle avant de servir, plus discutablement, les propres ambitions politiques de JJSS. Marasme de
la IVeme République, Guerre d'Algérie , débuts de la Veme République avant que le journal ne prenne une orientation plus neutre au début des années 70.
Politique également avec les deux expériences de Françoise Giroud: tout d'abord, secrétaire d'Etat chargée de la Condition féminine, entre juillet 1974 et août 1976, et où elle fut à l'origine,
on le sait peu, de nombreuses mesures en faveur des femmes. puis , brièvement comme secrétaire d'État à la Culture jusqu'en mars 1977.
Dans la comédie du pouvoir, portrait-charge de Matignon et de l'Elysée, suite à ces expériences, Françoise Giroud dit ; " J'ai joué et vu jouer la comédie du pouvoir.
Celle que l'on donne et celle que l'on se donne. J'avoue n'avoir jamais pris part à la politique du gouvernement, mais doute qu'aucun des membres n'ait, non plus, changé le cours des
choses. Tout échappe: les rapports, les choses, et l'on ne gouverne pas des gens alphabétisés depuis quatre générations. Alors que fait-on quand on est au pouvoir? On fait semblant? Non , on fait
croire, on ment, on joue à des stratégies. Et après les six premières semaines de grâce, on se répète."
On ne peut bien sûr pas parler de Françoise Giroud sans mettre en avant son engagement pour la condition des femmes, son besoin de faire bouger les choses. Avec les début de Elle,magazine à l'époque féministe, crée par Hélène Lazareff en 1945 dont Françoise Giroud sera la rédactrice en chef jusqu'en 1953, puis tout au long de sa carrière de journaliste , elle n'aura de cesse que de donner confiance aux femmes, stigmatisant les clichés "Il n'y a pas de femmes fortes. Il n'y a que des hommes faibles". Avec des thèmes récurrents comme la nécessité de l'indépendance des femmes, le plaisir qu'il y a à ne pas se marier. Elle défendra l'autonomie intellectuelle des femmes en politique, le droit d'avoir des enfants sans passer par la case mariage, se battra en faveur de la libéralisation de l'avortement , stigmatisera l'absence massive dans les bureaux de vote lors des élections .
Il y aurait encore tant de choses à dire sur cette biographie !!
J'ai donc trouvé cette lecture passionnante. Tout d'abord surprise et une peu désarçonnée par ce que j'ai pris pour de la "froideur" qui , je trouvais, se dégageait de ce livre , appréciant
habituellement de "m'identifier" aux héroïnes de romans lors de mes pérégrinations livresques, j'ai peu à peu réalisé que cette distance, je pense volontaire, mise par Laure Adler entre elle et
son personnage, nous laissant à notre place de spectateur, était en fait une des grandes qualités de ce livre. Ici peu de faits divers ou de détails croustillants sur sa vie privée, mais un
hommage à son courage, à sa force de travail ( le travail comme une survie), à son intégrité mais aussi un regard lucide sur la tendance qu'elle avait parfois, comme nombre d'entre nous, à
réécrire ses souvenirs en arrangeant la vérité.
Une biographie fruit de sept ans de recherche, nourrie également par les souvenirs de Laure Adler lorsqu'elle eut l'occasion de rencontrer Françoise Giroud, alors qu'elle ne savait pas
encore qu'elle allait écrire ce livre.. Comme le souligne un article paru dans le Monde "Françoise est l'expression d'un regard - tour à tour amical, admiratif, perplexe, sans illusion ou
même, en une occasion, complètement écoeuré - mais aussi d'une forme de complicité."
L'auteur