Justice : la dangereuse entreprise de démolition de Nicolas Sarkozy

Publié le 13 février 2011 par Juan
Depuis 2002, et en particulier depuis mai 2007, Nicolas Sarkozy a multiplié les lois sur la sécurité. Deux récents ouvrages rappellent combien les libertés publiques ont été affaiblies, au nom de l'intérêt des victimes et de la lutte contre la délinquance. Et pourtant, les résultats de Nicolas Sarkozy restent mauvais, comme en témoignent la hausse persistante et régulière (depuis 2002) des atteintes aux personnes. Pire, le monarque n'a pas pris - ou pas voulu prendre - la mesure du manque de moyens de l'institution judiciaire. Mal classée en Europe, la France ne consacre que 0,19% de son PIB à sa justice. Et la boulimie législative de Nicolas Sarkozy depuis 2002 n'a fait qu'aggraver la situation. Une véritable entreprise de démolition que le ras-le-bol récent du corps judiciaire n'a fait que rappeler.
Justice déstabilisée ?
L'affaire Laëtitia a joué un rôle de catalyseur. Quand Nicolas Sarkozy menaça de sanctions les responsables, policiers ou magistrats, de la liberté sans contrôle du suspect Tony Meilhon, le corps judiciaire s'est révolté. La contestation est grave. Les réponses aux attaques présidentielles sont sans appel : Tony Meilhon n'a pas été imprudemment  « libéré » par un magistrat. Il était libre, après avoir purgé ses onze ans de peines, sans réduction accordée. Il n'était pas « multi-récidiviste » de crimes sexuels ou meurtres. Le suivi obligatoire qu'il lui était imposé, à cause d'une condamnation pour outrage à magistrat (sic !), n'a pu être assuré faute d'effectifs (3 juges d'application des peines à Nantes et 17 agents de probation au lieu de 40 pour suivre 3.300 détenus), avec accords écrits validés par la hiérarchie judiciaire et administrative.  Malgré tout, le Monarque a chargé.
 
Dans son ouvrage « Le Justicier, enquête sur un président au-dessus des lois », Dorothée Moisan rappelle combien le Monarque élyséen a abusé des moindres faits divers les plus dramatiques pour sa cause sécuritaire. Il a placé les victimes au centre de sa démarche, pour mieux critiquer l'institution judiciaire. Pourquoi donc cet acharnement ? Pourquoi Sarkozy chercherait-il à déstabiliser un corps indispensable à la sanction des crimes et délits, lui qui insiste tant sur l'urgence sécuritaire depuis 2002 ? La cause est assez simple à deviner. Primo, Nicolas Sarkozy n'aime pas les contre-pouvoirs. Il l'a dit et répéter de multiples fois. L'indépendance des juges est quelque chose qui le terrifie, notamment en matière d'affaires. Il est ainsi resté extraordinairement complaisant avec la délinquance en col blanc. Il faut que le fait divers se chiffre en milliards d'euros - comme dans l'affaire Kerviel - pour que Sarkozy daigne s'emparer de l'anecdote. Sinon, silence radio.
Secundo, la lutte contre l'insécurité est une telle arme politique dans le débat électoral qu'il n'a pas l'intention d'en partager la gestion. Tertio, Sarkozy a besoin de discours binaire. La réalité des crimes et délits est souvent grise. Ses propres convictions sur les « détraqués » ou le caractère inné de la délinquance sexuelle se heurtent au principe même du processus judiciaire contradictoire.
Arsenal répressif sur-dimensionné ?
Jeudi dernier sur TF1, Nicolas Sarkozy n'a ciblé que deux formes de délinquance qui selon lui seraient mal appréhendées par notre réglementation : les mineurs et les multi-récidivistes. Concernant les premiers, il radote. En juin 2006, il écrivait déjà, en s'adressant au président du tribunal pour enfants de Bobigny : « la politique judiciaire à l'endroit des mineurs est inefficace et inadaptée. » Concernant les seconds, on ne sait pas ce qu'il manque à l'arsenal judiciaire, ... si ce n'est des moyens.
En matière de lutte contre l'insécurité, le dispositif répressif est aujourd'hui tel que si l'extrême droite parvenait au pouvoir, elle n'aurait pas grand chose à faire voter de mieux. Citons quelques mesures phares.
La rétention de sûreté est l'une des innovations amorales de Nicolas Sarkozy dès 2007: un délinquant condamné à 15 ans de réclusion, ayant purgé sa peine, peut désormais être « retenu » indéfiniment en fonction de la décision d'un collège d'experts sur sans dangerosité.
Les peines planchers ont été votées le 10 août 2007. La loi prévoit que le juge puisse y déroger sous réserves de motiver sa décision, ce qui était le cas plus d'une fois sur deux en 2008 et 2009. Le nombre de peines planchers prononcées s'élèvent à 8.000 par an, une goutte d'eau dans les 2,5 millions de crimes et délits constatées chaque année.
Le filtrage des sites internet : les fournisseurs d'accès à Internet devront empêcher l'accès « sans délai » des utilisateurs de l'Internet aux contenus illicites, sans contrôle judiciaire.
Le fichage sans contrôle : de Loppsi I en Loppsi II, le fichage des personnes a été grandement facilité. Sarkozy donne souvent l'exemple de la lutte contre la délinquance sexuelle. En fait, le périmètre autorisé des fichiers de police est beaucoup plus vaste : auteurs, victimes et suspects crimes et délits (y compris les contraventions jusqu'à la Vème catégorie), et toutes parties prenantes à toute instruction sous l'autorité d'un juge ou toute enquête préliminaire (comme celles conduites par le procureur Courroye jusqu'en novembre dernier sur les différents volets de l'affaires Woerth/Bettencourt). Les motifs de fichages sont inédits : indépendance de la Nation, intégrité du territoire, sécurité, « forme républicaine » des institutions, défense, diplomatie, « sauvegarde » de la population en France et à l'étranger, défense du « potentiel scientifique et économique »...
Le décret anti-cagoule, depuis juin 2009, permet l'interpellation de quiconque masque son visage dans une manifestation publique. La loi anti-Burqa complète le dispositif contre tout voile intégral dans les lieux publics en France.
La loi anti-bandes, au printemps 2010, qui sanctionne le délit de participation à une « bande violente », passible de un an de prison assorti de 15 000 euros d'amende, avait été précédée de la création d'une base de données « prévention sécurité publique » relative au suivi nominatif des bandes et à l'identification des auteurs de violences urbaines, depuis le 16 octobre 2009.
La videoprotection, y compris sous forme de drones, a été facilitée par la loi Loppsi II  (cf. Articles 17 et suivants), qui autorise la sous-traitance élargie à des sociétés privées agréées.
Les milices privées pourront être créées à partir de retraités et de volontaires. En langage sarkozyen, on les appelle  « réserve civile » de la police et de la gendarmerie.
Le dépistage obligatoire de maladies sexuellement transmissibles chez toute personne susceptible d'avoir contaminé un policier, magistrat ou personnel pénitentiaire est l'une des autres innovations sarkozyennes de la loi Loppsi II.
Les pouvoirs de la police municipale ont été élargis, avec l'autorisation des contrôles d'identité, des dépistages d'alcoolémie ou des fouilles des bagages sans motif.
L'espionnage informatique est possible via la captation à distance de données informatiques dans les affaires de criminalité organisée.
Que reste-t-il ?