Elle s’appelle Gabrielle. Après cette initiale étouffée qui vient du fond de la gorge, son prénom sonne obstiné et tendre comme l’abricot qu’on y devine, il coule doux et doré comme le miel qui l’achève; et il s’orne surtout, ce triste prénom glacé d’archange, de la féminité triomphale de sa dernière syllabe qui lui rend toute la sève et le sang de la terre.
Il s’appelle Alexis. Sur ce début sans consonne les lèvres glissent sans prise comme sur la peau lisse d’un grain de raisin. Mais arrive le X qui craque et qui siffle; la dent crève la peau, et un jus sucré et acide vous emplit la bouche.
Dans leurs deux prénoms il y a aussi, dans le désordre peu importe, les sonorités de cette proclamation : «il est!». Les premiers jours, les premiers mois, le prénom d’un enfant veut dire d’abord cela. «Alexis dort» ne veut pas dire qu’un nourrisson vous fiche la paix, cela signifie que quelque part, pas trop loin, entre les murs qui protègent ses os encore mous, une créature minuscule mais déjà irréductible à aucune autre ni à aucun concept repose sur le dos et respire. A chaque fois qu’on le dit, on éprouve un infime gonflement des poumons, comme un hoquet d’émerveillement, à l’idée de cette existence qui est, alors et pour longtemps, le phénomène le plus étonnant que l’on puisse concevoir.
Ils dorment encore maintenant, lovés dans des rêves impénétrables, blottis dans leur infrangible nature. Sur leur front se tord une mèche un peu moite, sur leur joue élastique un baiser déclenche un soupir. Ils dorment, et je veille.