Le spectre d’une « santé aux enchères » s’éloigne, un peu. La semaine dernière, les députés ont discrètement abrogé une ordonnance de l’Élysée, qui prévoyait de livrer les laboratoires d’analyses médicales en pâture aux spéculateurs financiers. Quoi que…
C’est un petit amendement de rien du tout, bien planqué au beau milieu de l’opaque pavé du projet de loi relatif à la bioéthique. Et que dit-il, cet amendement ? Que « L’ordonnance n° 2010-49 du 13 janvier 2010 relative à la biologie médicale est abrogée« . Rien de plus. C’est grave docteur ? Navrant, surtout…
Cette ordonnance a été élaborée dans le but de « réformer » la biologie médicale. Deux ans de « consultations », des dizaines de réunions mobilisant des centaines d’intervenants… et à la fin, le gouvernement a imposé ses vues, tout simplement. Résultat : un texte fourre-tout qui plaçait les petits labos dans une situation délicate, puisqu’il les obligeait à passer de contraignantes et complexes certifications. L’ordonnance les privait aussi quasiment de la possibilité de faire appel à des infirmières intérimaires ou remplaçantes, et les empêchait de fait de réaliser des prélèvements à domicile. Tout cela alors que l’État réduit les remboursements des examens sanguins. Un pur bonheur pour les géants du secteur qui obtenaient du même coup le droit de racheter tous ces bouis-bouis en difficultés financières forcées. L’ordonnance imposait aussi beaucoup d’autres mesures, censées révolutionner le secteur.
Ordonnance… de non-lieu
Fin décembre 2010, le Conseil d’État, saisi par le Conseil National de l’Ordre des Médecins (CNOM) et le Syndicat National des Médecins Biologistes (SNMB), rend son verdict : l’ordonnance est validée. Sauf sur un aspect : l’investissement dans un laboratoire d’analyses médicales est impossible dès lors qu’il peut y avoir une situation de conflit d’intérêts. Ce qui est le cas pour « une entreprise d’assurance et de capitalisation, un organisme de prévoyance, de retraite et de protection sociale obligatoire ou facultatif ». Au regard de la richesse du texte, ce n’est finalement pas grand chose. Au regard du gouvernement, c’est certainement trop.
En parallèle, durant l’année 2010, les professions concernées ont commencé à comprendre ce qui se tramait. Les infirmières libérales sont devenues blêmes. Les petits labos se sont sentis défaillir. Des professeurs reconnus ont compris qu’ils devraient laisser tomber leur chaire. Les hôpitaux ont craint de devoir se séparer de leurs laboratoires… La grogne montait. Et, le 4 février 2011, un amendement est déposé dans le cadre du projet de loi sur la bioéthique. Sans aucune discussion, il est voté, avec l’agrément préalable du ministère. A ne plus rien y comprendre, un texte présenté comme salvateur laissé à l’abandon sans l’ombre d’une grimace ?
Deux possibilités :
- Soit le texte était finalement (vraiment très) mauvais, bien que chaudement défendu par l’ensemble du gouvernement lors de sa publication, après deux longues années de rédaction ! Un gouvernement de professionnels, puisqu’on vous le dit…
- Soit l’intervention du Conseil d’État a mis à mal la principale mesure du texte. Et tout le reste ne servait qu’à faire joli. C’est à dire que les grands acteurs privés du secteur (dont un certain nombre de proches de Nicolas Sarkozy et Xavier Bertrand) ne pouvant plus spéculer sur la tête des laboratoires d’analyses médicales, l’ordonnance perdait tout son charme.
OPA sur l’analyse médicale
Problème : cet amendement n’est ni plus ni moins qu’un cavalier législatif. N’ayant rien à voir avec le projet de loi au sein duquel il a été voté, l’annulation sera certainement… annulée par le Conseil Constitutionnel, pour peu qu’elle soit contestée. Et en attendant, à pas de velours, les grands groupes de laboratoires (Novescia, Biomnis, Labco, Cerba European Lab…), possédés en grande partie par des assureurs ou des spéculateurs financiers, ont déjà commencé leur razzia. Ils ont trouvé des brèches dans la loi, qui leur permettent d’acheter les officines comme des petits pains. En France, 70% des diagnostics médicaux s’appuient sur des analyses biologiques.
Et bientôt, dans votre boîte à lettres, des publicités vous proposant des réductions sur des diagnostics sanguins ? Allez… deux cancers pour le prix d’un, ça ne se refuse pas.
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