Quelle journée inoubliable que ce 11 février 2011 pour l’Égypte! Quelle journée, belle à vivre! Quelles journées que celles des révoltes tunisienne et égyptienne ! Enfin, enfin les arabes réagissent ! Du jamais vu.
Lorsqu’on visite les pays arabes, on s’interroge sur la raison de la soumission des arabes envers leur gouvernement. On les sait pris dans l’engrenage d’un pouvoir corrompu, armé et sans pitié qui utilise la peur pour les contenir. Mais on ne peux comprendre pourquoi ces peuples intelligents, d’une grande humanité, pratiquent la politique du laisser-faire comme s’ils n’avaient pas d’autres choix. Pourquoi acceptent-ils la pauvreté du peuple, la privation des libertés, la corruption des élites, l’État répressif ? Pourtant, ils connaissent par la télé et les médias, la qualité de vie des peuples occidentaux. Ils en rêvent au point qu’un très grand nombre d’entre eux ont réussi à émigrer avec leurs familles vers les pays démocratiques afin de vivre mieux et de s’échapper de leur enfer.
Mais cela ne durera pas éternellement car « il n’y a pas de fatalité de la dictature arabe ». Pas plus qu’en Amérique du sud, comme on a vu. L’évolution technologique, la télévision avec la chaîne arabe Al-Jazeerra et le développement de réseaux sociaux d’internet leur permettent, enfin, de se renseigner, de se rallier et de réagir. Les Tunisiens leur ont montré comment faire. Les Égyptiens viennent de leur démontrer que tout est possible. Les citoyens des autres pays arabes comprennent maintenant que la révolte n’est pas nécessairement un saut dans un inconnu périlleux.
Ces journées de révolte nous ont fait comprendre, à nous Occidentaux, que les arabes sont des gens comme nous. Je crois que nous ne les regarderons plus de la même manière que par le passé.
La révolte doit continuer ailleurs jusqu’à ce que tous les pays arabes aient un gouvernement démocratique. Le prochain éclatement peut être l’Algérie. Et c’est pourquoi, je fais appel à tous les Algériens, et particulièrement aux jeunes, pour qu’ils se lèvent et contestent leur gouvernement afin de le faire fuir, comme les autres. Le président algérien Abdelaziz Bouteflika, élu par des élections truquées, dirige son pays, de 35 millions d’individus, d’une main de fer grâce à l’armée et aux services de sécurité. En fait, ce sont les indélogeables généraux sans légitimité qui sont au pouvoir. Ils se partagent le butin et sont corrompus jusqu’à la moelle. Ils ont des intérêts dans toutes les grandes compagnies qui fournissent des services ou du matériel au pays. C’est le contraire de l’armée Égyptienne.
L’Algérie a beaucoup souffert de son passé. La guerre de libération a duré huit ans et s’est terminée en 1962 par l’indépendance, suite à des centaines de milliers de morts. Puis, ce fut l’échec total du socialisme totalitaire à la soviet choisi comme modèle de développement par Boumediene et le FLN. Ensuite, en 1991, l’armée annula les résultats de l’élection après que le Front Islamiste du Salut (FIS) l’eut gagnée démocratiquement, à cause de la pauvreté envahissante qui existait au pays à ce moment-là. La majorité des dirigeants du FIS ont été mis en prison. Les islamistes-vengeurs assassinèrent plus de 200,000 innocents algériens : hommes, femmes et enfants. Les services de sécurité ont été créés et la loi des mesures d’urgence a été appliquée. Vingt ans plus tard, ces derniers et l’armée gardent toujours une main de fer sur la vie des Algériens et Algériennes et la loi d’urgence est encore en force.
Il y a cinq ans, j’ai été victime de ce contrôle sécuritaire, lors d’un voyage en Algérie. Alors que je captais des photos de ce très pittoresque pays, une voiture non identifiée, arriva à pleine vitesse, s’arrêta à angle devant la nôtre et quatre individus en civil ouvrèrent rapidement les portes pour se lancer vers moi en courant et en exigeant mon permis de photographier. J’ignorais que cela était obligatoire. Ce n’est que grâce à l’intervention des Algériens qui étaient avec moi et à leur statut dans la société, que je m’en suis sorti. Et cela persiste toujours On comprend pourquoi il n’y a pas de touristes dans ce pays alors que les pays voisins, le Maroc et la Tunisie, en débordent même si l’Algérie est de beaucoup plus intéressante et spectaculaire.
Le 22 janvier dernier, une première manifestation contre le gouvernement eut lieu alors que 300 jeunes descendirent au centre d’Alger. Elle fut vite contrôlée sous prétexte qu’ils n’avaient pas de permis. Le bilan : sept morts, 32 personnes blessées, sept arrêtées. Ailleurs, deux Algériens s’immolèrent. Hier, lors du succès des Égyptiens, il fut défendu aux Algériens de manifester publiquement leur joie.
Aujourd’hui, le 12 février 2011, alors que j’écris ces lignes, une nouvelle manifestation est en marche dans la capitale malgré que le despote Bouteflika ait défendu toute manifestation à Alger (il dit permettre les manifestations dans les autres villes). Les premiers rapports de presse indiquent qu’ils sont seulement 200 à protester alors que 30 000 policiers sont déployés dans toute la ville avec leurs équipements, camions, canon-d’eau, etc. De toute évidence, les gens ont peur de l’armée et de la prison.
Si les Algériens veulent avoir leur place au soleil, ils devront sortir plus nombreux sur la place publique pour la réclamer. Surtout la jeunesse innombrable, pauvre, moins religieuse, mieux éduquée, plus nationaliste, sans emploi, désespérée quant à son avenir qui ne supporte pas la corruption et qui refuse l’autorité en place. Pour se faire, elle doit se mobiliser et se politiser. Avec internet, elle sait mieux que ses aînés comment s’informer et traduire les sentiments de chacun en un effort collectif. Cela exigera beaucoup de leadership et de courage.
J’espère aussi que la diaspora algérienne manifestera partout dans le monde pour faire pression sur les gouvernements comme le Canada et les encourager à dire à Bouteflika et ses comparses : « Dégagez ».
Claude Dupras