Poésie (Rainer Maria Rilke)

Par Arbrealettres


Poésie

Mais, hélas ! les vers sont si peu de chose quand on les écrit trop tôt!
Il faudrait attendre, amasser du sens et de la douceur pendant toute une vie,
une longue vie si possible, et puis, tout à la fin, peut-être
pourrait-on alors écrire dix vers qui soient bons.
Car les vers ne sont pas, comme les gens le croient,
des sentiments (ceux-là viennent suffisamment tôt),
— ce sont des expériences.

Pour un seul vers,
il faut voir beaucoup de villes, de gens et de choses,
il faut connaître les animaux,
il faut sentir comment les oiseaux volent
et savoir les gestes avec lesquels,
le matin, s’ouvrent les petites fleurs.

Il faut pouvoir se remémorer des chemins qui conduisent dans des régions inconnues,
se souvenir de rencontres inopinées et d’adieux que l’on a vus venir de loin,
— de jours de l’enfance encore non clarifiés.

(Rainer Maria Rilke)