Sur le continent africain, la démocratie a cruellement besoin d’être approfondie au-delà d’élections multipartites périodiques. La crise post électorale en Côte d’Ivoire enseigne, une nouvelle fois, que le suffrage universel n’est qu’une forme superficielle de la démocratie. En effet, les élections attendues depuis 6 ans, présentées comme le sésame de la paix n’ont conduit qu’à la confusion d’une situation inédite au monde réunissant deux présidents de la république qui s’affrontent. Chacun ayant à son actif des irrégularités. Chacun ayant des raisons de croire qu’il est sorti vainqueur des urnes. Aucun n’ayant la mesure de sa responsabilité dans une situation qui est avant tout préjudiciable aux populations. Les orgueils figent le dialogue à demain, lorsque le nombre croissant de morts pourra susciter un flash d’humilité de la part de ces dirigeants qui oublient qu’ils ne sont que les serviteurs des populations qu’ils oppriment.
D’évidence, la Côte d’ivoire est totalement asphyxiée par un État trop puissant qui se renforce en côtoyant sans complexe les forces religieuses pour puiser dans leur soutien une légitimité alors même que la constitution du pays proclame le principe de la laïcité. La corruption étouffe le pays, en décourageant l’investissement. Elle emprisonne les pauvres dans une dépendance à des dirigeants défaillants, incapables de créer le cadre institutionnel qui leur permettrait de faire fructifier leur formidable créativité et les terres endormies, stériles, délaissées sans titres fonciers.
Les Ivoiriens, face à cette décrépitude avaient placé leur confiance en l’ONU, ces « gardiens » de la démocratie, chargés de superviser et de certifier les élections. Cette institution internationale s’est pourtant dévoyée en outrepassant sa mission et en ancrant la confusion. Cette voie de la démocratie s’est également fermée. Et que dire lorsque la communauté internationale prend position pour un camp, sans tenir compte du fait que, dans ce dossier électoral, les responsabilités sont partagées entre les deux camps qui s’affrontent.
Prisonnier de leur propre État, manipulés par l’ONU, infantilisés par la communauté internationale, quelle voie reste t-il aux Ivoiriens à part celle de prendre leur destin en main dans un combat pour les libertés ?
Les responsables politiques aiment invoquer la complexité du monde pour expliquer qu’il serait fou de vouloir le transformer pourtant aujourd’hui l’histoire s’accélère. Partout le continent s’enflamme, criant sa soif de liberté. Si le choc est si brutal, c’est surement dû à une histoire douloureuse. De la privation totale de la liberté en période d’esclavage, puis sous la colonisation, l’Afrique est aujourd’hui en recul total dans le classement des libertés économiques par rapport au reste du monde. L’exemple des pays riches et des pays en voie du développement ne peut qu’interpeller les populations enserrées dans la pauvreté et privées des libertés qui leur permettraient de créer leur propre richesse, condamnées à attendre le progrès d’États défaillants et corrompus transis de peur face au démon des libertés individuelles. En effet, un secteur privé indépendant de l’État crée des pouvoirs concurrents et donc un contrepoids qui inquiète les dirigeants. Les libertés individuelles sont susceptibles d’affaiblir leur toute puissance, pourtant, s’ils n’y prennent garde c’est le manque de liberté qui construira le socle de leur déchéance.
Analysons les formidables mutations. Ouvrons donc les yeux sur le continent. On y voit un monde arabe en train d’arracher sa liberté enserrées dans des dictatures protégées par les puissances internationales qui en tirent profit. Contrairement aux idées reçues, les sociétés du Sud, notamment musulmanes, sont compatibles avec la modernité, et nombre d’entre elles sont mûres pour la démocratie. Il y a des raisons structurelles à cela : la progression de l’alphabétisation, les progrès de l’éducation, la circulation de plus en plus intense de l’information via les diasporas, la télévision satellitaire et Internet.
Pourquoi donc se voiler la face ? L’avenir tend inexorablement vers les libertés. Nombre de travaux de recherches montrent d’ailleurs que les pays d’Afrique les plus riches sont parallèlement les plus libres. Les deux démocraties libérales les plus avancées en Afrique, l’Afrique du Sud et le Botswana, ont des revenus par habitant beaucoup plus élevés que la moyenne africaine. En 2008, par exemple, la moyenne du revenu national brut par habitant en Afrique du sud et au Botswana était de $5.820 et $6.470, respectivement. La moyenne des pays africains était de $1.082 (1).
De plus, une étude menée par le professeur Mamadou Koulibaly, président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, sur d’une part l’indice de la liberté économique et, d’autre part l’importance des conflits en Afrique, montre clairement une corrélation entre le manque de liberté et l’importance des conflits. La paix et la justice ne peuvent donc s’obtenir sans contexte de liberté pour les populations, sans propriété privée et sans libre échange. La paix et l’économie se supportent mutuellement. Mais, au commencement ce sont les libertés économiques qui, par la reconnaissance des droits de la propriété et du libre échange créent les conditions d’une interaction sociale paisible et juste. Cette vie sociale, à son tour, stimule les libertés politiques et les stabilisent pour en faire le socle de la pérennité de la paix. Les libertés économiques et politiques construisent la paix des nations (2). Toutes les démocraties matures au monde reposent sur une économie de marché .
L’Afrique est-elle condamnée à la liberté ? Sur le continent, d’évidence, tous les chemins, même les plus chaotiques, mènent à cette liberté. Ceci laisse présager des lendemains intéressants pour ce continent jeune qui a face à lui un occident vieillissant, endormi sur ses acquis, épuisé par un État providence qui détruit peu à peu sa cohésion sociale et freine sa réactivité face au changement.
Notes :
(1) L’état de la démocratie libérale en Afrique : résurgence ou recul ?, Tony Leon
(2) Economie et Paix : Conférence prononcée le 11 décembre 2009 pour la rentrée solennelle de l’Académie des Sciences des Arts, des Cultures d’Afrique et des Diasporas africaines (ASCAD)