De l'utilité (?) du Rapport Attali

Publié le 24 janvier 2008 par Jb
Peut-on parler des rapports que l’on n’a pas lus ? Sans doute aussi sûrement (et même plus) que des livres que l’on n’a pas lus, comme dirait Pierre Bayard.
Je vais donc parler du rapport Attali : mais je me dédouane et me déculpabilisé d’emblée en disant que, par contre, j’avais lu l’ouvrage récent de Jacques Attali, Une brève histoire de l’avenir, que je l’avais par ailleurs scrupuleusement chroniqué ici puis ici.
Dans la mesure où certains des "dadas" de l’Attali écrivain, philosophe, utopiste, se retrouvent dans le rapport de l’Attali chef d’orchestre et force de propositions (pardon, de "décisions"), j’ai déjà fait la moitié du chemin.
Pour le reste, je ne m’étendrai pas sur ce qui entoure le rapport : le fait que Jacques Attali ait, au départ, fait pression pour dire que ses trois cents et quelques propositions forment un tout et qu’il n’est absolument pas possible de les traiter indépendamment les unes des autres est suffisamment grotesque pour ne pas être souligné, d’autant plus que Nicolas Sarkozy a d’emblée exclu certaines d’entre elles, et pas des moindres, et que Jacques Attali continue à se déclarer satisfait.
Revenons plutôt sur le fond du rapport et, surtout, sur la possibilité que ces préconisations soient concrètement appliquées.
Dans la mesure où je ne suis pas suffisamment brillant pour me faire une idée personnelle et précise de ce qu’il faut penser de ce rapport en termes économiques, j’avoue que ce qu’a dit ce matin Daniel Cohen sur France Q était assez intéressant. Je précise que je n’ai pu écouter la dernière partie des "Matins" (eh oui, je travaille déjà à cette heure-là, je me lève tôt comme dirait l’autre !) et que je me base donc sur les 45 premières minutes d’entretien (entrecoupées des infos mais aussi des chroniques de Slama et d’Adler).
Daniel Cohen, qui ne le connaît pas encore, lui dont les relativement récentes Trois leçons sur la société post-industrielle semblent avoir en partie inspiré (malheureusement pas suffisamment) Ségolène Royal lors de la campagne présidentielle, lui dont l’engagement plutôt à gauche (mais qu’est-ce que la gauche ?) est connu, lui qui néanmoins se déclare "pragmatique" dans son approche économique ?
Daniel Cohen, donc, avait tendance à considérer le rapport Attali comme allant, globalement, plutôt dans le bon sens. Il en partageait les grands diagnostics d’ensemble.
Plus concrètement toutefois, certains éléments attiraient son scepticisme : par exemple, concernant les dix "grands pôles" universitaires que le rapport appelle de ses vœux, il soulignait que c’est bien beau mais que, pour la mise en œuvre la commission préconise qu’ils soient largement financés par le secteur privé, ce qui ne lui semble pas réaliste (et on le comprend).
Autre exemple : les fameuses "Ecopolis" qui sonnent tellement Attali. Cohen se demandait s’il ne vaudrait pas mieux, plutôt que les créer de toutes pièces d’ici à 2012, s’attaquer à des agglomérations qui existent déjà et qui pourraient être restructurées.
Plus globalement, l’économiste posait une question des plus pertinentes : où va-t-on trouver l’argent pour de tels investissements ? Beaucoup d’argent ayant déjà été fléché pour le fameux et controversé "pack fiscal" (en l’occurrence près de 14 milliards en année pleine), il est légitime de se demander si une telle somme n’aurait pas été mieux dépensée autrement, par exemple pour ce type d’investissements.
Car (et c’est là que la quadrature du cercle se clôt) l’autre grand axe du rapport Attali est d’insister sur la maîtrise des finances publiques. Un credo qui ne semble pas être la priorité des priorités de l’actuel Président, en tous cas un credo qu’il n’est de toute évidence pas prêt à respecter à tout prix (c’est le cas de le dire ;-)
Donc comment réussir à vider encore des caisses qui sont déjà vides, que l’on a contribué à vider encore un peu plus ? Bien malin qui répondra à cette question…
Cohen précisait d’ailleurs, avec raison, que sur cette problématique de la réduction de la dette publique, le rapport restait plutôt sur des déclarations d’intention mais faisait peu de propositions concrètes. Or, la stabilisation des comptes publics étant de loin l’Eldorado qui semble le plus inaccessible, il eût été d’autant plus pertinent de fournir quelques recettes.
Tout ceci étant dit, j’en rajoute encore une couche qui n’est pas de Daniel Cohen. L’une des mesures qui, à mon avis, était très forte concernait la suppression des départements. Je ne suis pas spécialiste, je ne sais donc pas si ce sont les départements qui sont l’échelon "à abattre". Ce qui est sûr en revanche, c’est que le mille-feuilles administratif français, avec ses couches centralisatrices, ses couches semi-déconcentrées et ses couches déconcentrées, est un embrouillaminis dans lequel plus personne ne se retrouve. Qu’un grand nombre de postes de fonctionnaires, qu’un grand nombre de milliards, soient inutilement dépensés depuis des années à cause de la multiplication des structures et échelons administratifs, personne ne peut aujourd’hui le contester. Que cette multiplication nuise en outre au citoyen lambda incapable de s’y repérer, personne ne peut le contester non plus.
Et pourtant. Nicolas Sarkozy a été affirmatif : on ne touchera pas aux départements. Il est même allé plus loin : il a dit que ça coûtait peut-être de l’argent pour pas grand-chose, mais que les gens y tenaient pour des raisons "historiques" voire identitaires et que par conséquent, niet. Personne n’est dupe : les municipales approchent. Mais au-delà, il est un peu navrant de constater que les discours sont une chose, que les actes en sont une autre.
Pour toutes ces raisons, j’ai plus que des doutes sur le devenir du rapport Attali. Dont à la limite, on n’en est déjà plus à se demander s’il est bon ou mauvais.