Et pourtant… Dire que j’ai été déçu serait exagéré, dison que je suis plutôt resté sur ma faim… Pourtant ce bouquin me faisait déjà de l’œil depuis plusieurs mois à la librairie. Encore une fois la quatrième de couverture n’est pas étrangère à tout ça. Qu’on en juge :
C’est une bande de terre délaissée, un terrain vague. Entre le chaos de la ville et le silence de la mer. C’est un havre et une remise – le royaume des laissés-pour-compte.
Là, règnent les oubliés volontaires, ceux dont on ne veut plus, ceux qui fuient et qui chantent le bonheur d’être hors du monde : ivrognes, sans grades, clochards célestes… Ach le Borgne est leur Poète, leur philosophe, leur musicien. Ses histoires ravissent les oreilles du petit peuple venu l’écouter. Et Junior le Simplet l’accompagne, extatique. Il s’est créé ici une communauté de fortune, une famille. Ni anges, ni démons, ces réprouvés ont eu leur part de crime. Et les tentations, trop humaines, sont partout. Ici comme ailleurs, la vie suit son cours, chaotique, drôle et surprenant…
On comprend donc que j’étais assez impatient de me plonger dans ce trou de verdure où ne coule, certes, pas de rivière – la mer est toute proche, dans laquelle on se baigne et se noie sous l’œil indifférent de ses compagnons… – et où tout n’est pas qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté… Encore que ! On y découvre une certaine forme de beauté à côtoyer tous ces écorchés, et un calme surtout. Un calme stupéfiant… Un calme lassant. Car il ne se passe pratiquement rien ici! On vit sa petite vie peinard, en devisant parfois, en rêvant souvent. En se contentant d’attendre le lendemain, qui n’est pourtant pas un autre jour…
Jusqu’à ce qu’arrive Ben Adam, le fils de l’homme. Comme une cerise sur le gâteau dirons certain, une sorte de deus ex machina, qui n’a aucune autre raison d’être que de dévoiler la véritable histoire d’Ach le Borgne et de lui ouvrir les yeux – l’œil – sur son égoïsme, son égocentrisme. De quel droit décide-t-il d’empêcher Junior de connaître la Ville ? Ville qui, ici, est la représentation sinon du mal, de l’égoïsme, de la déchéance, de la perdition :
(…) alors que la ville est faite de béton et d’acier et de la morgue de ses habitants pour qui la solidarité relève de la haute voltige, la charité d’un mauvais placement et la compassion d’une fausse manœuvre. Là-bas, on n’a d’yeux que pour son propre intérêt.
Pour son bien ? Pour qu’il ne fasse pas les bêtes erreurs ? Les hommes sont-ils donc tous pareils ? N’a-t-il pas droit lui aussi à une part du bonheur qu’il a connu ? Cette courte partie est la plus intéressante de cette longue nouvelle – ou de ce court roman, on ne va pas chipoter – parce qu’elle casse le rythme de la narration, et que je me suis plu dans ces envolées poétiques, d’un autre siècle…
Une fois n’est pas coutume, voilà un livre que je ne recommande pas. Pourtant, le style de KHADRA reste agréable à lire, et on se délecte de ses pépites comme :
Ces histoires de nouvelles chances, de perspectives à la noix ou je ne sais quoi, c’est de la soupe pour forçat. Il y a que dalle, dedans, pas même un bout de chair baignant dans son jus. Juste du pipi de chat chauffé à blanc, et l’illusion d’un repas.
Ou alors pour la fin, les toutes dernières pages, qui sauvent de l’inaction pesante, même si elles ne nous révèlent rien de nouveau sous le soleil, à savoir que toute vie est tragique, et qu’il faut parfois s’abstenir de vouloir faire le bonheur des autres car tous les hommes ne sont pas innocents…