Toutou

Par Gjouin @GilbertJouin

Théâtre Hébertot
78bis, boulevard des Batignolles
75017 Paris
Tel : 01 43 87 23 23
Métro : Rome / Villiers
Une comédie d’Agnès et Daniel Besse
Mise en scène par Anne Bourgeois
Décor de Stéphanie Jarre
Costumes de Mimi Lempika
Avec Patrick Chesnais (Alex), Josiane Stoléru (Zoé), Sam Karmann (Pavel)
Ma note : 8,5/10
Le pitch : Alex a perdu Toutou, de quoi s’attirer les foudres de Zoé. Aiment-ils tous les deux autant leur chien ? L’absence de Toutou ouvre la boîte de Pandore des griefs conjugaux. En une soirée, l’amour pour leur chien, l’amitié pour leur ami Pavel, leur passé et leur présent, tout se rejoue. Il n’est pas anodin de perdre son chien…
Mon avis : Avec la première image, le drame est dit : Alex rentre dans l’appartement tenant à la main une laisse. Une laisse toute seule avec rien au bout… La simple vision de son embarras est comique. Il se sait en faute et il s’attend à un interrogatoire en règle de la part de Zoé. Passé l’interrogatoire, les reproches vont suivre et déferler. Chacun d’eux va s’installer dans son personnage, lui flegmatique et fataliste, elle désemparée et inquiète. Leur tout premier dialogue sur la disparition de Toutou est d’une drôlerie irrésistible. Le ton de la pièce est donné, oscillant en permanence entre le cocasse, le loufoque, l’absurde et, parfois, la charge émotionnelle.
Le couple formé par Josiane Stoléru et Patrick Chesnais fonctionne à merveille. Leur jeu est parfaitement huilé. Autant elle va se montrer d’une constance à toute épreuve tout au long de la pièce, autant lui va passer par toutes sortes d’états en fonction des événements. Son désarroi va la conduire à l’inquisition, puis à la suspicion et enfin à l’accusation. Elle a trouvé un os à ronger. Mais tout cela est proféré à peu près sur le même ton, ce qui la rend encore plus agaçante et redoutable pour ce pauvre Alex. Déjà suffisamment empêtré dans sa culpabilité, il n’a pas besoin qu’on ajoute du dénigrement aux reproches.
Et puis leur confrontation va connaître un moment de trêve avec l’arrivée intempestive du meilleur ami d’Alex, Pavel, lui aussi en plein désarroi, et qui est venu chercher auprès d’eux un peu de réconfort et beaucoup d’affection. Il ne pouvait pas tomber à plus mauvais moment. Instantanément, Alex et Zoé transfèrent leur inquiétude et leur animosité sur lui. Lui qui n’aimait pas Toutou et ne s’en cachait pas. Mais au lieu de jouer à la victime expiatoire, Pavel, déjà en état de stress, ne va pas se laisser faire. Au contraire, il réagit violemment, leur sortant ses quatre vérités. Et il sort à ses amis ébahis une diatribe anti chien qui confine à l’entreprise de démolition… Du coup Alex est écartelé entre la préservation de son amitié (car il reconnaît tacitement que certains de ses arguments sont loin d’être faux) et la gestion de la douleur de sa femme. Il est un peu comme un bouchon emporté par le courant, allant bon gré, mal gré, d’une rive à l’autre. Les nerfs sont désormais à vif. L’heure est aux règlements de compte. Les langues se délient, les reproches fusent, les aigreurs remontent à la surface… Mais tout cela sans qu’on ne cesse jamais de rire de bon cœur. Nous ne quittons jamais le registre de la comédie, même si, en toile de fond, c’est le problème de la communication dans le couple qui est traité, ainsi que la place qu’occupe dans le relationnel le langage sous-jacent.
C’est une véritable performance de la part du couple d’auteurs que de réussir à nous amuser et à nous tenir en haleine avec un sujet aussi « bêtement » banal que la disparition d’un chien. Ils sont servis par un trio de comédiens particulièrement doués dans ce registre. Quels acteurs ! On les sent très proches de nous car, inévitablement, on opère un transfert. Ici le chien est prétexte à métaphore. On peut lui substituer un enfant. De même, le comportement de Pavel peut s’apparenter à celui d’un toutou qui vient quémander son lot de caresses. C’est une pièce très habile, très fine. Les caractères, masculins et féminin sont fort bien dessinés. On voit bien que Toutou a été écrit par un couple.