Magazine Conso

Le Docteur Jivago

Par Anne Onyme

DocteurJivagoBoris Pasternak
Le livre de poche
702 pages

CoupdeCoeur

Résumé:

Né dans une riche famille de Moscou, orphelin de bonne heure, Iouri Andréiévitch Jivago étudie la médecine et se marie avec Antonia, une amie d'enfance. Lara est une "petite fille d'un autre milieu", qui s'arrache à l'emprise du séduisant protecteur de sa mère pour se refaire une vie droite. Parallèlement se prépare l'explosion révolutionnaire qui, avec la guerre, va orienter leur existence. Iouri et Lara s'étaient déjà croisés sans se connaître. Ils se rencontrent dans un hôpital et Iouri s'éprend de Lara. Réunis en 1917 par les hasards de la guerre civile, ils vivent un interlude de bonheur dont la fin brusquée brisera le docteur Jivago.

Mon commentaire:

Docteur Jivago est probablement l'oeuvre la plus connue de Boris Pasternak et la plus lue aujourd'hui, alors que Pasternak est d'abord et avant tout un poète. Docteur Jivago, ce pavé monumental, a été adapté au cinéma, mais aussi en mini-série et c'est souvent une image romantique - une grande histoire d'amour tragique - que l'on garde en tête lorsque l'on évoque Jivago. Pourtant, ce roman magistral est tellement plus que cela.

Boris Pasternak fit connaître Jivago à l'étranger essentiellement par l'obtention du Prix Nobel de littérature en 1958. Prix qu'il refusa par peur de l'exil. Il faut dire que son travail d'écrivain n'a pas été chose facile et qu'il fut accusé de trahison par sa patrie, qui refusa de publier son roman. Aujourd'hui, nous avons la chance de pouvoir le lire et de voir dans son personnage de Iouri Jivago, une sorte d'alter-ego de l'auteur.

Docteur Jivago est publié en 1957. L'histoire raconte essentiellement la révolution russe et le renversement du régime tsariste de Russie. On assiste à la guerre civile qui déchire les russes en différents clans. Ce roman a le souffle des grands romans classiques russes tel Guerre et Paix de Tolstoï par exemple, mais se situe un peu plus près de nous, dans une Russie très différente de celle de Tolstoï. Ici, la guerre gronde, les denrées se font rares et la vie quotidienne devient très difficile. Le contexte politique et social est merveilleusement bien rendu par Pasternak. On assiste littéralement au soulèvement et à la mise en place d'un nouveau régime. Le point de vue utilisé par Pasternak nous fait vivre aux côtés des russes, tout le drame de cette révolte au quotidien: le manque de nourriture, la pauvreté accablante, les maisons dévastées, abandonnées, envahies par les rats, les camps et la mort dans la neige, la vie des hommes dans les camps ainsi que la vie comme déserteur. Jivago, par exemple, enrôlé de force par un groupe pour être leur médecin, décide un jour de s'enfuir. Sa vie deviendra un enfer, mais c'est aussi à cette époque qu'il vivra une relation fusionnelle avec Larissa.

Le roman suit Jivago, mais aussi une panoplie de personnages. Après la mort du docteur, le roman se poursuit quand même. On suit alors la destinée de russes qui ont survécus aux camps et aux drames qui les ont accablés et on laisse la porte ouverte à l'avenir, un avenir après-révolution dont on espère le meilleur. Cette façon d'écrire l'histoire donne un sentiment de perpétuité. L'être humain étant si peu de choses face à la grandeur des bouleversements historiques... Le dernier paragraphe m'a émue. Il donne un souffle à tout le tragique de cette révolution et un peu d'espoir pour les personnages et la vie des russes en général. Docteur Jivago est un roman très touchant. C'est une grande oeuvre qui peint avec réalisme le portrait de toute une génération. C'est un roman très fort, écrit de façon très tangible. Les passages qui relatent les conséquences de la guerre sur l'humain sont écrits avec une précision journalistique qui marquent l'imaginaire du lecteur. On a l'impression de pouvoir palper l'Histoire, comme si nous y étions et c'est probablement la plus grande force de ce roman.

Le roman n'est pas seulement un portrait politique ou social. Iouri Jivago ressemble beaucoup à Boris Pasternak. On dit qu'il s'est d'ailleurs inspiré de son amour pour Olga Ivinskaïa pour créer le personnage de Larissa. Sa relation amoureuse avec Olga fait beaucoup penser à la relation entre Iouri et Larissa dans le roman. Olga avait aussi une petite fille, dont on peut supposer la transposition dans le personnage de Katia dans le roman. On peut également percevoir certains propos spirituels et philosophiques chez Jivago qui devaient puiser leur source dans les pensées profondes de Pasternak. Idem pour l'amour de l'art que l'auteur et son personnage semblent partager. On retrouve d'ailleurs dans le roman certains passages où l'art et la littérature sont très présentes, à travers l'écriture, les discussions, les lectures des personnages. Jivago est d'ailleurs un homme qui aspire à l'écriture. Il a été publié et a aussi écrit de nombreux poèmes. C'est un autre point en commun avec Pasternak. En fin de volume, deux des personnages lisent les poèmes de Jivago. Poèmes que l'on retrouve avec plaisir dans le dernier chapitre, qui est en soi un cahier de poèmes.

Docteur Jivago est un roman essentiel de la littérature, qu'il est captivant de redécouvrir aujourd'hui. C'est un roman complexe, classique, qui nous fait revivre une époque tumultueuse de la Russie. Une lecture qui m'a beaucoup apportée et qui regorge de pistes de réflexion sur la vie, la spiritualité, la politique et l'amour.

Un classique à lire et relire, dont le roman va au-delà des adaptations cinématographiques et qui gagne à être redécouvert.

Quelques extraits:

"Lara n'était pas pieuse. Elle ne croyait pas aux rites. Mais parfois, pour supporter la vie, il lui fallait l'accompagnement d'une certaine musique intérieure." p.69

"Le mois d'août passa. On était maintenant à la fin de septembre. L'inévitable était tout proche. L'hiver venait et, dans l'univers des hommes, on sentait se préparer on ne savait quoi de fatal, comme un engourdissement hivernal qui eût flotté dans l'air et dont tout le monde eût parlé. Il fallait faire face aux grands froids, faire provision de nourriture, de bois. Mais en ces jours où triomphait le matérialisme, la matière s'était transformée en notion, la nourriture, le bois n'existaient plus; on parlait de la "question alimentaire", du "problème du chauffage"." p.240

"L'époque justifiait l'antique adage: l'homme est un loup pour l'homme." p.491

"En 1922, quand je suis revenu à Moscou, j'ai trouvé la ville vidée et à moitié détruite. Telle qu'elle était sortie des épreuves des premières années de la révolution, telle elle est restée jusqu'à ce jour. Sa population s'est clairsemée. On ne construit pas de maisons nouvelles, on ne restaure pas les vieilles. Pourtant, même dans cet état elle reste une grande ville moderne, la seule grande inspiratrice d'un art vraiment neuf et moderne." p.628

En complément:

On peut trouver sur Wikipedia, un article très intéressant sur la révolution russe.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Anne Onyme 24757 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossiers Paperblog

Magazines