Le Président de la République s’était invité sur TF1 hier soir. Réflexions sur son intervention télévisée.
Atmosphère étrange durant
cette soirée du jeudi 10 février 2011 : alors que le Président
de la République française Nicolas Sarkozy s’adressait aux Français
pour les rassurer de la situation de leur pays, son homologue égyptien Hosni
Moubarak prononçait une allocution très attendue au peuple égyptien dont trois millions de personnes étaient réunies sur la place Tahrir au Caire.
S’il a annoncé une réforme constitutionnelle et qu’il a "acté" le pouvoir de la rue, et s’il a effectivement transféré tous ses pouvoirs à
son Vice-Président Omar Souleimane, Hosni Moubarak a cependant beaucoup déçu (même la CIA) car il a affirmé qu’il ne démissionnerait pas et qu’il irait jusqu’au bout de son mandat en septembre
2011. Sans doute pour refuser toute pression extérieure, notamment celle du Président américain Barack Obama qui craint
l’embrasement (la foule a conspué de nouveau les autorités égyptiennes et le mouvement semble irréversible, malgré la légère incertitude du début de la semaine).
Mais revenons à Nicolas Sarkozy.
Réformer jusqu’au bout : en faveur de la dépendance
Lui aussi ira jusqu’au bout de son mandat. Quand j’écris cela, ce n’est pas pour dire que sa démission, pourtant si souvent
réclamée par des opposants en mal de programme, était dans les possibilités de 2011, mais surtout pour rappeler que Nicolas Sarkozy veut continuer à "réformer" jusqu’au bout.
Je ne peux que saluer sa détermination, déjà affichée depuis l’été dernier, à vouloir instituer un cinquième socle de la sécurité sociale,
après la santé, les retraites, la famille et les accidents du travail, en cherchant à financer l’un des risques majeurs pour notre fin de vie ou celle de nos proches : la dépendance.
Or, c’est une réforme qui, forcément, ne sera pas populaire, puisqu’elle consiste essentiellement à trouver un financement. Toutes les
idées sont pour l’instant mises sur la table : augmentation de la CSG, assurances privées, "confiscation" d’une partie du patrimoine qui sera dans la succession, jour de travail dédié (comme
le lundi de Pentecôte de Jean-Pierre Raffarin), etc.
Évidemment, il y aura des mécontents, mais ce sera vraiment un pas décisif et historique de s’occuper de la dépendance sans attendre
l’élection présidentielle de 2012 (je rappelle comment le dossier des
retraites a été laissé de côté par le Premier Ministre Lionel
Jospin en 2000 en raison de l’élection présidentielle de 2002).
Neuf cent mille personnes sont atteintes de la maladie d’Alzheimer aujourd’hui, et la situation est catastrophique pour les "aidants", les
personnes proches, conjoints ou enfants généralement, qui se consacrent jour et nuit à ces malades, au point de s’effondrer elles-mêmes. En effet, 70% des aidants meurent avant les malades. La
fatigue physique et surtout psychologique est telle que l’épuisement est rapide.
Mais il y a en fait bien plus que neuf cent mille personnes malades et dépendantes. D’autres malades neurologiques rendent également la
situation des aidants insupportable et nécessitent aussi la mise en place de nombreux hébergements médicalisés temporaires afin de leur permettre de faire de temps en temps une "pause" pour se
regénérer, comme l’a très bien expliqué l’un des participants à l’émission, nonagénaire.
Émission "peuple"
Disons-le très nettement, je n’apprécie pas du tout ce genre d’émission pseudo-démocratique apparu lors de la campagne
présidentielle de 2007 et qui plonge le débat politique dans une démagogie à peine assumée.
En se faisant interroger par des non-professionnels de la politique (autrement dit, par des non-journalistes), Nicolas Sarkozy pouvait
faire dans la facilité oratoire. Pourtant, tous les intervenants avaient du mérite, étaient assez incisifs et directs tout en restant polis, et ne laissaient pas leurs questions sans réponse,
mais leur amateurisme médiatique laissait le champ libre à la personne qui était interrogée et qui en avait l’habitude.
Nicolas Sarkozy écoutait sans doute ces Français, mais leur apportait des réponses qu’il avaient été déjà préparées, même quand les
questions étaient sans rapport. Un jeu classique mais toujours dommageable pour la vie démocratique.
Même discours économique
Ainsi a-t-il reparlé des 35 heures comme cause principale d’écart de compétitivité avec l’Allemagne (ce qui n’a pas été
convaincant) et également d’héritage à plusieurs reprises. Héritage des mandats de Jacques Chirac ? héritage du gouvernement de
Lionel Jospin ? héritage des septennats de François
Mitterrand ? On ne le saura pas.
Il a évoqué également les cinq milliards d’euros d’allégement aux entreprises avec la suppression de la taxe professionnelle, en prenant
toutefois un exemple qui ne m’a pas convaincu : selon lui, les constructeurs automobiles payaient avant la suppression deux cent cinquante euros de taxe professionnelle par véhicule. Mais
rapportés aux dix mille euros minimum du prix d’une automobile neuve, cela ne correspond pas à une proportion démentielle (seulement 2,5% ou moins) alors que les marges commerciales sont parfois
de 30% !
Il existe pourtant une vision cohérente
Pourtant, contrairement à une idée reçue, j’ai bien perçu une vision cohérente de la politique économique de Nicolas Sarkozy qui
a compris que deux priorités devaient mobiliser l’effort national : la sécurité (est-ce si sûr ?) et le chômage (personne ne contredira), parallèlement à un désendettement massif de
l’État.
En misant la dépense publique sur les universités et la recherche, en notant en passant que l’autonomie des universités, malgré les
mécontentements initiaux, s’initie finalement bien, et sur les apprentis (cinq cents millions d’euros seront redistribués pour permettre aux jeunes de faire de l’apprentissage, gage de meilleure
employabilité, et en leur donnant le même statut que les étudiants, avec en outre un système de bonus malus pour les entreprises qui accueillent ou pas les apprentis), il a compris que l’avenir
industriel et économique devait passer par la formation, quelle qu’elle soit.
Profil bas
Sur l’affaire des vacances ministérielles, Nicolas Sarkozy a eu profil bas en disant qu’il n’y avait pas de faute, qu’aucun
denier public n’avait été dépensé mais qu’il comprenait qu’aujourd’hui, ça choquait et que c’était donc « une erreur de notre
part ». Le "notre" est intéressant à analyser puisque lui-même était en vacances au Maroc pour la fin de l’année 2010 et il avait
surtout choqué la classe politique au début de son quinquennat en mai 2007 en prenant une "retraite" sur un yacht privé au large de Malte.
Beaucoup de sujets centraux passés à la trappe
Principe conceptuel de ce genre d’émission, plusieurs problèmes de moindre importance étaient également soumis au Président de la
République. Je dis "de moindre importance" au regard d’autres enjeux cruciaux qui n’ont pas été abordés, et en particulier les enjeux européens, l’euro, et les enjeux
internationaux (il préside le G20) à part un commentaire de café du commerce sur le discours d’Hosni Moubarak.
Nicolas Sarkozy a ainsi voulu rassurer sur la désertification des médecins dans les zones rurales et a annoncé qu’il avait prévu quatre
cents bourses aux étudiants en médecine qui s’engageraient à exercer dans des départements qui manquent de médecins. Mais lui-même a reconnu que seulement deux cent cinquante bourses ont été
distribuées, si bien que cela signifie que la mesure n’est pas suffisante. Il propose également de rémunérer en partie les médecins (libéraux) qui s’installeraient en zone rurale comme étant une
mission de service public. Pourquoi pas.
Rien de très nouveau
Globalement, l’émission a été beaucoup trop longue, trop touche-à-tout et avait pour but de désamorcer un climat politique qui
s’est beaucoup dégradé à cause de deux polémiques, celle qui stigmatisait les juges (en pleine grève d’audience, fait sans précédent) et celle des vacances ministérielles.
Sur le principal sujet, qui est le chômage, je trouve qu’il n’a pas beaucoup convaincu. Il a bien compris qu’il fallait réindustrialiser
la France mais il n’a pas donné une seule piste sur le comment. Car ce n’est pas un problème de coût du travail ou de taxation. C’est aussi un problème de stratégie d’entreprise,
d’innovation.
Or, le problème n’est pas la recherche qui est excellente en France. Le problème, c’est l’incapacité française à transformer des résultats
scientifiques de grande excellence en projets industriels rentables. Chose que savent très bien faire les Américains, par exemple. Je n’ai ainsi rien entendu sur le financement de
l’internationalisation des brevets, ni sur le besoin en capitaux propres
des entreprises qui innovent.
Le point très positif de cette intervention présidentielle est la détermination, déjà connue mais réaffirmée, de mettre en place
l’assurance dépendance, une réforme urgente et essentielle qui sera, à mon sens, l’œuvre majeure du quinquennat. 20% seulement des ménages sont capables aujourd’hui de financer l’hébergement médicalisé d’un parent dépendant. La solidarité
nationale doit donc entièrement s’impliquer.
Les partis d’opposition auront évidemment beau jeu de critiquer la légèreté des propose présidentiels. J’attends toujours avec impatience
leur programme pour sortir la France de la crise et du chômage massif.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (11 février 2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Nicolas Sarkozy, Président avant
tout.
Nicolas Sarkozy s’occupe de la santé de Jacques Chirac.
Valoriser le potentiel national.
Un rapport sur la dépendance.
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/sur-tf1-nicolas-sarkozy-ira-jusqu-88689