" Est-il bien sage de se balader le soir dans les rues de Versailles la
Royale ? Il est permis d'en douter à la lecture de ce thriller français
d'excellente facture.
Laurent Scalese s'impose avec discrétion dans le cercle étroit des
alchimistes du polar sanglant. Les ingrédients sont certes toujours les
mêmes mais le mélange peut ne pas prendre ou être fade, inconsistant.
C'est loin d'être le cas avec L'ombre de Janus, dont l'action se déroule principalement à Versailles et ses environs huppés.
Le prologue se veut tonitruant et machiavélique. Le Libérateur tient un
journal, le journal de ses exploits. Cette entrée en matière peut
décourager car on peut considérer que la messe est dite. Pas la moindre
velléité d'abandon mais une immersion immédiate et passionnée dans ce
roman singulièrement sobre et attachant.
Les policiers de L'ombre de Janus sont des policiers bien de chez nous,
avec leurs failles et leur univers popularisé par de très nombreux
reportages télévisuels. Le commissaire Legac dirige le Service
d'Investigation et de Recherches au commissariat de sécurité publique de
Versailles. Il est le chef d'une équipe jeune et dynamique, où les
rivalités s'exacerbent sans jamais dégénérer. Efficacité et persévérance
sont les maîtres mots, malgré quelques brebis galeuses qui tentent de
tirer la couverture à elles.
Le patron est un fervent adepte des méthodes américaines dans la traque
des tueurs en série. Ces méthodes qu'il applique dérangent les hautes
sphères de la police nationale et provoquent par leurs succès la
jalousie de ses confrères. Or, un tueur sévit dans un périmètre
restreint de la ville, qui défie les méthodes habituelles d'enquête
policière. L'homme repère ses proies, les approche et les apprivoise
avant de les exécuter. Il a toujours un temps d'avance sur la justice
qu'il nargue, qu'il provoque.
Alors, entre les chefs, les inimitiés vont exploser. Le Libérateur les
manipule à sa guise, les transforme en pantins. Le commandant Favreau,
homme fragilisé par la mort de son épouse et alcoolique, devient sa
proie et le piège se referme impitoyablement sur le rival du
commissaire. Janus n'épargne personne. Au cours des investigations, il
massacre une jeune lieutenant de police, amoureuse éperdue d'un collègue
indécis.
Ce pourrait être une énième histoire de tueur en série comme on en voit.
Mais je trouve que ce roman est différent de ceux que j'ai présentés
plus haut. Les failles de Legac, sa détermination farouche;
l'intransigeance inquiète de sa compagne enceinte m'ont infiniment plus
touchées que les déboires personnels et professionnels des policiers
américains. Ces derniers sont interchangeables d'un roman l'autre, ce
qui n'est pas le cas des Français à la personnalité dense et riche.
Laurent Scalese dépeint des hommes et femmes au caractère épais et
étrangement familier.
La fin m'a soufflée, je ne m'y attendais pas. Chapeau bas !
Je vous laisse sur ces mots de Janus.
"Jeu, set et match...
Une fois de plus, je l'ai battu. [...] Il (le commissaire Legac) est
l'un des rares flics français à comprendre comment fonctionnent les
tueurs en série.[...] Il n' a commis qu'une seule erreur : celle de me
considérer comme un meurtrier récidiviste classique et de dresser mon
profil psychologique à partir des spécificités répertoriées par les
experts du FBI.. [...]
Je suis très différent de mes "confrères". Pour la plupart, ce sont des
médiocres. Ils craignent les femmes. Avant le passage à l'acte, ils les
mettent sur le ventre ou leur bandent les yeux pour les empêcher de
regarder le "monstre" en face.[...]