Blocage égyptien

Publié le 10 février 2011 par Egea

A commenter en direct, le géopolitologue prend des risques : celui de manquer de recul, celui de perdre les fondements de sa discipline (le rapport du pouvoir à la géographie, la prise en compte du temps long,...)

Mais il est rare de vivre des moments "historiques". Au risque du ridicule (celui d'être détrompé par les faits), j'ai toutefois le sentiment qu'un tel moment est en train de se dérouler, ce soir, au Caire.

1/ En effet, on assiste à un pouvoir qui cherche une transition "ordonnée" et rationnelle. Tel est le sens du discours de H. Moubarak, qui amende cinq articles de la constitution, transfère des pouvoirs au VP Souleimane, mais ne se retire pas. Propos rationnels, politiques, transigeants. Mais propos décalés.

2/ Car à l'évidence, ils ne prennent pas en compte la force morale (au sens du moral d'une troupe, et pas au sens d'éthique, même si cette seconde acception se défend également). On est ici dans un rapport de force : entre une force établie mais en déliquescence, une force morale (we, the people), sans compter une troisième force, apparemment neutre même si elle compose et gagne du temps. Rapport de force, autre nom de la rivalité de puissance, dimension essentielle de la géopolitique (ce que, au passage, Joseph Hennrotin a oublié, dans son article intéressant du dernier DSI qu'il donne sur la géopolitique, mais selon une dimension exclusivement géographique que je regrette, car elle oublie la notion de rivalité de puissance : Joseph, acceptes-tu les droits de réponse ?).

3/ Mais ce rapport de force, tout le monde l'a vu. Qu'y a-t-il de nouveau ? Tout d'abord, un décalage d'attente : ce qui aurait été considéré il y a trois semaines comme un progrès incontestable est désormais totalement insuffisant. Le symbole de la transition, dans le story telling de la place Tahrir, est le départ de Moubarak. Peu importe que cela soit une bonne revendication, c'est celle-là qui seule peut apaiser la foule. On a donc un décalage qui est au fond temporel. Le pouvoir est "en retard"

4/ Surtout, la géographie reprend ses droits. On 'est longtemps interrogé sur la capacité de la foule à tenir "dans la durée" la place Tahrir. Hier, les choses ont basculé : tout d'abord parce que les manifestants ont commencé à investir d'autres lieux du Caire ; ensuite parce que pour la première fois, des heurts ont eu lieu dans le sud, marquant une extension (géographique !) du mouvement ; enfin parce que le mouvement s'étend "fonctionnellement", avec désormais des conflits sociaux qui ne sont plus seulement politiques (la liberté) mais qui s'articulent avec le mouvement politique. Enfin, avec des premiers mouvements de la foule vers la télévision, voire la présidence : je ne sais à l'heure où j'écris, si cela débouchera dans la nuit ou s'il faudra attendre demain, vendredi, jour de la grande prière : mais il me semble que les événements ne se "décanteront" pas mais au contraire se précipiteront

5/ En tout état de cause, j'ai l'impression que le premier mouvement de cette révolution égyptienne avait été la conquête de la place Tahrir, et du delta. L'élargissement à l'ensemble du Caire, et à l'ensemble de l'Égypte marque une deuxième étape, à mon avis décisive. C'est bien de géopolitique dont il s'agit.

Voici donc quelques réactions à chaud qui valent ce qu'elles valent.

Réf : articles de la constitution qui seront amendés (pris sur Le Monde.fr) :

  • L'article 76 porte sur l'élection du président de la république
  • L'article 77 fixe la durée du mandat présidentiel à 6 ans.
  • L'article 88 porte sur les conditions que doivent remplir les membres de l'Assemblée du Peuple, ainsi que les dispositions régissant les élections et le référendum, précisant que le scrutin doit avoir lieu sous le contrôle de membres appartenant à la magistrature.
  • L'article 93 dit que l'Assemblée est seule compétente pour juger de la validité du mandat de ses membres.
  • L'article 189 précise que le président de la République et l'Assemblée du Peuple peuvent tous les deux demander l'amendement d'un article ou plus de la Constitution.

O. Kempf