Les petits pains de la pleine lune - Byeong-mo GU

Par Emmyne

Comme dans toute bonne boulangerie-pâtisserie, il y en a pour tous les goûts dans ce petit livre : du mystère, des choses graves, de l'humour (noir), de la tendresse (cachée).
Le héros est un jeune garçon coréen, sa mère s'est suicidée quand il était enfant et sa belle-mère le harcèle moralement. Un jour, il s'enfuit de chez lui et trouve refuge dans une pâtisserie, lui qui n'était pourtant pas fan de gâteaux !
Là il fera la connaissance d'une fille pas comme les autres, Oiseau-Bleu, et d'un pâtissier un peu sorcier.
Car dans cette boutique vraiment banale en apparence, on confectionne des gâteaux aux pouvoirs étonnants, qui sont vendus sur Internet. Mais attention ! N'oubliez pas que la magie peut toujours se retourner contre vous.

- Editions Piquier Jeunesse -

J'apprécie beaucoup cette quatrième de couverture - au moins autant que j'ai aimé cette lecture -  parce qu'elle dit tout de l'esprit du récit sans le raconter vraiment. Ce roman porte bien son titre original Wizard Bakery.

Le plus remarquable dans cette histoire, c'est avec quelle fluidité se mêlent le contexte magique à l'environnement contemporain et réaliste comme s'emmêlent les scènes passées au présent. Les univers se croisent et s'enroulent, dressant un portrait en creux d'une société coréenne dure, encore machiste. Un conte moderne - le merveilleux, la violence des sentiments et la cruauté - dans lequel, justement, le héros adolescent fait régulièrement référence aux contes classiques pour souligner à quel point sa vie n'en est pas un. L'effet miroir et l'ironie du récit sont savoureux.

" En affirmant que les belles-mères des contes n'existaient absolument pas, il n'avait pas semblé se rendre compte qu'il n'y avait pas de mot plus violent que absolument. Un conte a beau n'être qu'une fiction, il ne manque pas de cohérence. Les temps changent, mais la nature humaine ne connaît pas de transformation radicale. "

Un conte sans la morale édifiante ou clémente. Une fin ouverte, deux alternatives, des possibles qui évitent l'écueil du positivisme juvénile. Une histoire humaine de fuite et de choix. Et l'évidence de l'existence : comprendre et assumer le passé pour pouvoir se tourner vers l'avenir. Quel qu'il soit.

Le jeune narrateur de ce roman - dont nous ne saurons jamais le nom - est lui-même un personnage de conte. Il peut être considéré comme orphelin, sa mère étant décédée, son père totalement démissionnaire -" Mon père était à lui seul l'incarnation du système patriarcal. Ses manifestations de tendresse étaient aussi rares à mon égard que pour le reste de la famille. " - sa belle-mère incarnant parfaitement le rôle de la marâtre jalouse et maltraitante. Il fuit le domicile familial pour ne pas être sacrifié, accusé du viol de sa demi-soeur. Traumatismes. Pédophilie et prohibition de l'inceste. Accueilli dans la pâtisserie du quartier, il prend en charge la gestion des commandes du site web wizardbakery.com où se vend en ligne des gâteaux magiques, filtre d'amour, poupée vaudou, biscuit du diable à la cannelle...

" Dans cette pâtisserie pour l'heure plongée dans l'obscurité et où flottaient en permanence des odeurs chaudes et savoureuses, on préparait des gâteaux capables à la fois d'aider les gens et de les détruire. "

" Et malgré tout, dans un monde où l'on pouvait tout vendre, y compris son âme, ils ne surprenaient personne. "

L'atmosphère de ce roman est sévère - âpre, devrais-je écrire - à peine tempérée par la féminité délicate du personnage Oiseau Bleu. Le réalisme l'emporte, la magie n'y est pas celle des histoires de fées. Elle est une force en équilibre, une responsabilité, à l'image de la vie. La pâtisserie n'est pas un lieu enchanteur hors du monde - plaintes et intervention policière derrière la vitrine et arrière-cuisine relevant plutôt du cabinet gothique - comme en témoigne la personnalité originale et complexe de ce sorcier bourru et fataliste, prisonnier volontaire et solitaire de ses pouvoirs. Une mission plus qu'une vocation.

" Il aidait les gens à réaliser leurs souhaits - c'était stupide, mais il n'avait pas le choix - mais lui-même n'en avait aucun. "

Scènes et émotions brutes, rythme soutenu et prenant, un roman au goût doux-amer, magique et désenchanté, une belle découverte, un coup de coeur.

" Un humain qui rejette le présent ne peut rien changer, même avec un coup de pouce magique. N'oublie pas, si ce n'est pas maintenant, ce ne sera jamais.

En commande :

" Moka éternel au café : A offrir à l'ami qui part au loin, pour qu'il ne vous oublie jamais et vous fasse partager toutes ses joies et ses peines. "

J'en prendrais deux s'il vous plaît. Et pour changer du chocolat :

" Flan porte-bonheur : A consommer en cas de stress important ( examen, voyage d'affaires...). Ce gâteau chassera les mauvais esprits, un peu à la façon d'une amulette comestible. "

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- Roman traduit du coréen par Lim Yeong-hee & Françoise Nagel - 195 pages - 2010 -

- Pour lire un extrait, c'est ICI -

- Le billet de Virginie que je remercie pour le prêt - Ceux de Tiphanya  et de Fantasia -

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