Je lis toujours le journal La Décroissance tout simplement parce que c’est provocateur. D’ailleurs, le dernier numéro propose comme action du mois « refuser le consensus« . Evidemment, ce genre d’impératif, dans nos sociétés policées, n’est pas très consensuel.
Dans le dernier numéro, un certain Christophe Catsaros, rapporte de Grèce des clichés de panneaux publicitaires vierges avec un commentaire.
Celui-ci figure à l’origine dans la revue d’architecture Archistorm.
« Le blanc des panneaux désaffectés démasque également une imposture: celle qui s’obstine à voir dans la joyeuse anarchie graphique des réclames un indice de liberté. Blancs, les panneaux émergent comme un système centralisé détraqué, une machine totalitaire défectueuse.»
Belle citation, sur le fond comme sur la forme. Auparavant, quand d’aventure, certaines stations du métropolitain parisien arboraient des panneaux vierges, je ne retenais que la sensation d’apaisement. Je fais partie de ces gens qui sont comme obligés de lire tout ce qui présente à leurs yeux. Avec la publicité dans les lieux publics, on est sans cesse sollicité mais on ne s’en souvient plus. D’une certaine manière, comme la lecture de la Décroissance, cela stimule le cerveau… mais pas les neurones !
Mais voici qu’effectivement, la photo de cette Athènes avec d’immenses rectangles blancs me saisit. Coïncidence, je viens de finir une nouvelle de J.G. Ballard écrite en 1963 et intitulée « L’homme subliminal» . Un type suspecte des panneaux géants et complètements noirs d’influencer de manière subliminale les comportements d’achat des passants. Tout le monde le prend pour un fou jusqu’à ce qu’il aille saboter un de ces panneaux géants. Il y laisse sa vie mais son compère, jusque là sceptique, voit les messages subliminaux injonctant à consommer.
Bref, c’est le même phénomène mais comme inversé. A savoir que la manipulation paraît évidente quand un panneau se dérègle…
Et je m’imagine seul, arpentant les boulevards d’Athènes, m’interrogeant sur ces étranges surfaces immaculées qui, ôtées de leur contenu, trahissent leur véritable fonction: la propagande !
Je m’imagine aussi à São Paulo, première grande ville à avoir interdit la publicité. Je m’imagine aussi à Forcalquier, où je déambulais il n’y a pas si longtemps et où, effectivement, il me sembla naturel de n’y apercevoir aucune réclame.
Et c’est du coup en reprenant le métropolitain de la capitale que la vérité de cette débauche graphique m’apparaît limpide. Entre deux secousses, je récolte sur un siège un journal dit gratuit. Ou plutôt un « gratuit» dit journal.
Il est ouvert sur les pages 2 et 3 qui forment une publicité immense que voici.
Je me suis du coup demandé s’il s’agissait vraiment du journal. En voyant ces deux ours dévorer des sandwiches, j’ai repensé à cette propagande, dernière en date, d’un célèbre fast-food ici épinglé. Leur spot promotionnel montre papa ours et fiston ours en train de fêter le bulletin de note du petit en mangeant un BigMac.
Je me suis demandé si ce genre de coïncidence, cette obsession de montrer un animal menacé pour l’écologiste, mais aux airs débonnaires pour le marketeur, se repaître d’une nourriture infecte, n’avait pas un sens secret pour nos inconscients collectifs…
Finalement, j’ai réussi, à trouver au milieu des publicités la une du journal gratuit. La voici.
Cette dame, qui annonçait sans rire au moment de la crise, cette devise sibylline si on s’y arrête un peu, à savoir qu’il fallait « financer l’économie« , cette dame retrouve donc le sourire à l’annonce d’une phrase aussi creuse qu’hypothétique.
En lisant l’article, je crois lire le bulletin météorologique.
« L’environnement international est bon» [...] « La France bénéficie notamment de l’appel d’air créé par la reprise de la croissance mondiale» [...] A condition que cette éclaircie soit possible.»
Etc etc
Croissance croissance croissance.
Je tourne la page et retombe, j’avais oublié, sur les deux ours.
Sens ? Sens ? Sens ?
J’y ai fait une croix dessus.