Vent de panique chez les doyens
En effet, l’auteur de l’amendement, le centriste Olivier Jardé (Somme), a expliqué que ce texte interdisait l’exercice de la biologie médicale à des chercheurs non diplômés de biologie médicale, notamment dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation (AMP), exemple astucieusement pris afin de mieux coller avec l’objet de la loi, c’est à dire la Bioéthique. Afin de justifier son amendement, Olivier Jardé a déclaré, « Cette Ordonnance contient des contradictions et des incompréhensions qui interdisent à d’éminents professeurs de continuer d’occuper une chaire faute d’avoir fait des études qui mènent directement à la biologie« .
Il ne s’agissait pas de la 1ère tentative pour ce député professeur de chirurgie et de droit de la santé, fer de lance de la conférence des doyens, d’introduire un cavalier législatif afin de rétablir pour les doyens la possibilité de nommer des scientifiques ou cliniciens n’ayant aucune formation de biologiste sur des postes universitaires de biologistes médicaux (cf article 3, loi sur les activités immobilières des établissements d’enseignement supérieur), faisant fi de la possibilité de qualification ordinale sous réserve d’une preuve de compétence. Ainsi, il était fréquent de rencontrer des chefs de service de spécialités aussi diverses que pneumologue ou gastro entérologue à la tête de laboratoires de biologie médicale, en toute légalité. Inversement, un biologiste ne pouvait évidemment pas prendre la tête d’un service de chirurgie…
L’Ordonnance, consacrant la spécialité de biologiste médical, au même titre que n’importe quelle autre spécialité médicale en France, avait mis fin à ces dérogations en prohibant cette 3ème voie de qualification. Ce choix apportait la légitimité nécessaire aux nouvelles exigences en matière de qualité prouvée et de médicalisation de la profession. Par voie de conséquence, et dans l’intérêt des patients, le biologiste médical devait à présent et quel que soit son lieu d’exercice avoir bénéficié de la formation nécessaire à cet exercice professionnel. Le DES de biologie médicale était qualifiant pour l’exercice de la profession de biologiste médical en libéral mais également dans les CHU. Il avait été néanmoins proposé que des dispositions transitoires exceptionnelles puissent être prises pour les médecins et pharmaciens d’autres spécialités, déjà engagés dans la préparation de la carrière universitaire en biologie afin de ne pas oblitérer leur perspectives professionnelles à court terme.
Gronde des infirmières
Autre critique émise à l’encontre de l’Ordonnance et justifiant son abrogation, la perspective pour des infirmières de ne plus pouvoir librement prélever dans leur cabinets libéraux et apporter les prélèvements au laboratoire de leur choix. Cette restriction se justifiait pour des raisons de liberté de choix du LBM par le patient, mais surtout de réorganisation pour la biologie de ville, soumise à des contraintes très strictes en terme de qualité (accréditation sous la norme ISO15189 obligatoire à compter de 2016) et à une restructuration à grande échelle autour de plateaux techniques, devant co-exister avec une biologie de proximité, médicalisée, sous la pleine et entière responsabilité du biologiste médical.
Le ministre du travail, de l’emploi et de la santé, Xavier Bertrand, initialement peu favorable à l’adoption de cet amendement, a préféré s’en remettre à la sagesse du Parlement, reconnaissant les difficultés induites par ce texte et assurant que ses services allaient travailler sur un nouveau cadre réglementaire, assurant que ce projet se ferait dans un esprit de « totale concertation » avec le ministère de l’enseignement et de la recherche.
Le PPL du sénateur Jean-Pierre Fourcade (Hauts-de-Seine) devait être l’occasion d’intégrer la semaine prochaine des modifications au texte de l’Ordonnance mais Xavier Bertrand a préféré renoncer à cette idée, ne souhaitant pas que ce texte soit un « fourre-tout » à doléances.
Il s’agit donc d’un superbe coup d’état mené de main de maitre par tous les opposants à une biologie médicalisée et de qualité, profitant de toute évidence du changement du ministre de tutelle et de la confusion régnant autour des réclamations -mineures- émanant de ces différentes corporations. Car ne nous leurrons pas, malgré toute l’énergie déployée par le SJBM et les syndicats attachés à défendre la maitrise de notre outil de travail, l’Ordonnance n’a pas été abrogée pour la question du capital de sociétés exploitant un laboratoire dont la détention à 100% par un fond d’investissement est toujours rendue possible via le 5.1, ni sur la situation des jeunes biologistes en position subordonnée ultra-minoritaire, ni sur le calendrier de l’accréditation particulièrement serré et la toute puissance du COFRAC sur les LBM français. Ce sont des sujets qui n’ont à aucun moment été évoqués dans l’hémicycle et qui sont l’objet de toutes les appréhensions des professionnels en exercice.
Alors à qui profite réellement le crime?
Au pouvoir népotique des doyens, qui recouvre leur pouvoir de nomination?
Aux financiers, qui ont de nouveau les mains libres pour espérer faire modifier les dispositions de l’Ordonnance apparaissant défavorables à leur activité?
Difficile de le dire à ce stade.
La biologie française, euromotrice avez vous dit?
D’un point de vue professionnel, enfin, on ne peut être que très circonspect devant cette décision parfaitement arbitraire et déraisonnable à ce stade de la réorganisation de notre discipline, faisant courir de graves risques à l’organisation des soins en France, sur laquelle s’était appuyé la CJCE pour rendre son verdict favorable. Il est également particulièrement désolant de prendre connaissance de la teneur des débats ayant entouré le vote de ces amendements, tant les approximations et contresens étaient flagrants (voir ici le compte rendu des débats). A noter par ailleurs l’absence totale de cohérence (et d’efficience…) d’un gouvernement qui décide, semble t-il à la dernière minute de détruire d’une main en une soirée ce qu’il a battit de l’autre en quatre ans.
Reste le passage devant le Sénat pour avaliser l’abrogation en maintenant (ou non) cet amendement de suppression. A moins que -sous la pression de cet amendement de suppression- le gouvernement décide d’arbitrer en copiant-collant le texte de l’Ordonnance, mais en prenant le soin, contraint forcé, d’ôter toute notion de la valeur qualifiante de notre DES et confiant la phase pré-analytique aux cabinets d’infirmières. La boucle serait alors bouclée…
Pour les jeunes biologistes, dont nous rappelons que près d’un quart sont titulaires d’un master 2, de maigres perspectives d’avenir dans le public en pleine restructuration et soumis à la concurrence des scientifiques chercheurs pistonnés et autres spécialités médicales en quête de poste et un avenir en libéral oblitéré par une réorganisation contrainte en plateau technique autour de cabinets de prélèvements, où les (trop?) nombreux jeunes arrivants seront en concurrence avec des IDE pour exercer la biologie « médicalisée »?
Nul doute que l’Ordonnance pose encore de nombreux problèmes d’applicabilité mais n’aurait il pas été justice de porter une écoute attentive aux attentes des professionnels biologistes exerçants plutôt qu’à d’autres corporations défendant des dispositions annexes à leur corps de métier…
Combattre pour exercer dans des conditions décentes est malheureusement devenu le quotidien des biologistes, mobilisant de belles énergies qui seraient autrement plus utiles à leurs patients et à leurs laboratoires. On ne peut que déplorer cet état de fait.
NDA : cet article sera amené à être mis à jour/complété en fonction de l’actualité à venir, n’hésitez pas à le commenter.