Après la Tunisie, l’Egypte connaît un fort mouvement de contestation populaire qui a vu le régime du Président Moubarak répondre d’abord par la violence « télécommandée » puis par un début de pourparlers restreints qui ne donnent pas satisfaction à la majorité du peuple, laquelle exige le départ du Président et la fin de ce régime autoritaire et corrompu.
Alors que des révélations récentes dévoilent le niveau effrayant de l’enrichissement personnel de la famille Moubarak aux dépens de la population égyptienne, une des plus grandes fortunes mondiales, le Vice-Président Souleiman a entamé des négociations notamment avec les représentants du mouvement des Frères musulmans. Est-ce le signe d’une révolution achevée, ou d’une révolution détournée ? Beaucoup d’Egyptiens, une grande partie de la presse internationale, se posent la question à juste titre. Alors que le vaste mouvement populaire, riche d’une grande diversité de sensibilités politiques et sociales, porte une exigence primordiale de liberté et de démocratie, sans que les mouvements religieux y jouent un rôle remarqué, voilà que le pouvoir, comme pour contrer la révolte du peuple et conserver une large part de ses prérogatives, se tourne vers la seule fraction politique des frères musulmans.
Il est vrai que le régime, à la fois pour mieux écraser les forces démocratiques égyptiennes, notamment de gauche et laïques et contenir le mouvement islamiste, a depuis un certain temps fait acte de soumission aux religieux intégristes et à leurs valeurs. Le risque existe donc de voir la volonté profonde du peuple orientée vers une entente préservant les bases du régime actuel et l’armée, avec ou sans Moubarak, tout en limitant les ouvertures démocratiques et sociales possibles.
Il reste que les Egyptiens n’ont pas dit leur dernier mot et que tout reste faisable, pour peu aussi que les forces progressistes internationales apportent leur ferme appui au mouvement populaire en cours. Il est injuste et néfaste que certains politiques, qu’une certaine presse et certains commentateurs, continuent de faire grise mine face à ce qui est une véritable révolution, parce qu’il y aurait un risque que celle-ci soit récupérée par les islamistes et des forces obscurantistes. Bien sûr que ce risque existe, encore faut-il bien analyser les composantes du mouvement des Frères musulmans et sa capacité politique à imposer ses vues. Mais est-ce une raison de ne pas soutenir avec détermination les aspirations légitimes du peuple tunisien ?
Quand une révolution se déroule, est-on sûr qu’elle débouchera automatiquement sur un régime pleinement démocratique tel qu’on le voudrait ? Les exemples, dans le monde et en France même, avec la période révolutionnaire de la terreur, avec le coup d’Etat de 1851 suite à la révolution de 1848, montrent qu’effectivement il arrive que les conséquences soient autres que celles initialement espérées. Mais cela ne doit que nous inciter à renforcer notre soutien à la population et déjà à applaudir au courage et à l’action des Egyptiens dans cette révolution !
Préférerait-on le maintien du régime en place ? Dirait-on que les peuples arabes doivent se contenter à jamais de despotes plus ou moins « éclairés » ? La démocratie n’est bonne que pour les occidentaux ? Arrêtons ces automatismes « conservateurs ». D’autant que lorsqu’on parle de danger islamiste, on oublie trop souvent que les puissances occidentales, et notamment les Etats-Unis, depuis 1945 et le rapprochement avec le régime religieux et conservateur du roi Ibn Séoud d’Arabie Saoudite aux fins d’ intérêts pétroliers, ont permis et parfois appuyé les mouvements obscurantistes pour justement faire taire les forces progressistes dans le monde arabe. Les gouvernements conservateurs israéliens ont d’ailleurs toujours fait de même. Et voilà que ceux-là même qui ont allumé les mèches en viennent à crier au feu ?
Il est temps que les démocrates, les forces de progrès, dans le monde, chez nous, à l’image du Parti socialiste, réagissent. N. Sarkozy, le gouvernement ont à nouveau déshonoré notre pays, comme pour la Tunisie, en soutenant trop longtemps et encore récemment de tels régimes dictatoriaux, sans jamais apporter de soutien aux mouvements démocratiques tunisien, égyptien. Sans même, comme l’avait fait Laurent Fabius en voyage en Tunisie comme homme d’Etat, rencontrer les représentants des forces de progrès et d’opposition. L’Union européenne également, tout en respectant les choix du peuple égyptien, se doit d’oeuvrer pour favoriser l’essor de la démocratie en Egypte comme en Tunisie, politiquement, économiquement.
Non, les socialistes ne font pas la fine bouche, bien au contraire, devant les révolutions tunisienne et égyptienne.
André Piazza, Délégué fédéral à l’international et aux droits de l’Homme - 7/2/2011