Passes d'armes

Publié le 10 février 2011 par Toulouseweb
Les publicitaires d’Airbus sortent de l’ombre.
C’est une situation encore inédite en Europe, courante aux Etats-Unis : les concurrents qui se disputent un marché public s’essaient ŕ la publicité comparative ou, mieux encore, polémiquent ŕ coups de grands placards publicitaires insérés dans la presse quotidienne. Le résultat est souvent étonnant, sinon efficace.
En effet, on imagine difficilement Dassault Aviation, par exemple, faisant insérer une publicité dans le Volkskrant d’Amsterdam pour affirmer que les Pays-Bas feraient bien de renoncer au JSF pour commander des Rafale. Ou achetant une page entičre ŕ un quotidien de Brasilia pour affirmer que le Brésil aurait tort de commander des F-18, de préférence ŕ l’avion français.
Aux Etats-Unis, tout est possible. Dčs lors, personne ne s’offusque, dernier exemple en date, d’une publicité de Boeing insérée dans le Washington Post, attaquant frontalement Airbus en marge du récent jugement de l’Organisation mondiale du commerce ŕ propos des accusations croisées de subventions. Le slogan est cinglant : ŤStacking the deck against American workersť, tricherie contre les travailleurs américains. Le texte réaffirme que l’avionneur européen a indűment perçu au fil des années de plantureuses subventions étatiques. Dčs lors, Ťau nom des 151.000 employés de Boeing et de ses milliers de fournisseurs dans 50 Etats, nous remercions le gouvernement américain pour la poursuite de ses efforts en vue de rétablir une concurrence honnęte, égale pour tousť.
Médisez, médisez, il en restera toujours quelque chose, ont estimé les dirigeants des représentations américaines d’EADS et Airbus. Mais, cette fois-ci, les Européens ont choisi de répondre, de rendre coup pour coup. Ils ont donc reproduit la pleine page de publicité de Boeing, dans une version annotée au feutre rouge par un professeur imaginaire. Lequel a donné ŕ Boeing l’infamante note ŤFť, la plus mauvaise de toutes, celle réservée aux cancres. Ambiance !
A l’encre rouge, les arguments archi-connus sont répétés, en insistant sur le fait que les accusations ne reposent en aucun cas sur des chiffres et des faits avérés. Au passage, il est clairement dit qu’Airbus est le plus gros client ŕ l’exportation de l’industrie aérospatiale américaine, ce qui devrait inciter les accusateurs ŕ adopter un ton plus mesuré. Mais, ici comme ailleurs, bien sűr, il n’est pire sourd que celui qui ne veut point entendre.
Il n’est pas vraiment utile d’aller plus loin dans l’analyse de cette passe d’armes. En revanche, il convient de retenir que l’Europe n’entend plus rester passive, qu’elle ne permet plus ŕ des idées reçues de se perpétuer au point d’apparaître comme de solides réalités aux yeux de l’opinion publique américaine. Reste ŕ savoir si de telles publicités font réfléchir les sacro-saints Ťpolicy makersť ou encore les puissants responsables des achats du Pentagone. Lesquels s’expriment parcimonieusement et le font surtout pour regretter que les affrontements concurrentiels débouchent de plus en plus souvent sur des différends légaux. Dans le dossier des ravitailleurs, de brűlante actualité, en cas d’échec au profit de son adversaire européen, Boeing ferait probablement appel devant le Government Accountability Office, retardant une nouvelle fois la commande du successeur trčs attendu du vénérable KC-135R.
Face ŕ cette crainte, forts de solides précédents, les Américains pourraient se résoudre ŕ opter pour une solution par l’absurde, la commande simultanée d’avions de chacun des deux prétendants. Ce serait un comble : un appel d’offres, la Ťsaineť émulation née d’une concurrence féroce entre concurrents pour en arriver ŕ ne pas choisir. Entre-temps, le service publicité du Washington Post est le seul gagnant.
Pierre Sparaco - AeroMorning