La grande faiblesse de l’Inde est l’insuffisance d’infrastructures : autoroutes, énergie, secteur de la santé… Dans ce domaine, la gestion de l’Etat s’est avérée défaillante et essentiellement à cause de la bureaucratie et de la corruption. C’est la raison pour laquelle l’Inde s’oriente vers les partenariats public-privé. De la même façon, l’Inde, grande consommatrice d’énergie, a fait le choix d’investir dans le nucléaire.
Un pays comme l’Inde peut-il supporter durablement d’avoir des bas salaires ? En effet en Inde, les salaires sont bas. Il y a deux mois, nous étions à Goa et un journal local passait une annonce pour le recrutement d’une assistante réceptionniste ; salaire proposé 2.500 roupies ! Le salaire du président de la principale banque indienne (State Bank of India – banque publique) ne dépasse pas 50.000 euros !
En réalité ces bas salaires actuels donnent bien évidemment un sérieux avantage compétitif aux entreprises indiennes. Et rien n’indique, à court terme, un changement significatif de la situation. Ceux qui ne connaissent pas l’Inde pourraient craindre que cette « exploitation des travailleurs » ne conduise à une révolution ? De fait, ils ne connaissent pas l’Inde. Nous ne voyons pas l’Inde s’engager dans cette voie. Récemment, un économiste indien brillant traitait le sujet en une phrase : « tant qu’ils peuvent adorer les dieux, regarder les films de Bollywood et suivre les matches de cricket, aucun problème ». C’est un peu sec certes, mais pas faux. On peut ajouter que l’Inde étant un pays de commerçants et de petits entrepreneurs, ceux-ci sont solidement enracinés dans la structure sociale et qu’on voit mal une remise en cause des éléments de cette structure sociale auxquels les Indiens sont attachés. A cet égard, rappelons que les Indiens font d’abord partie d’une communauté avant de faire partie de la nation.
Cependant la situation sociale de l’Inde n’est pas aussi rose et on peut rappeler que, au cours des dix dernières années, 150.000 agriculteurs indiens se sont suicidés. L’agriculture est un autre défi de la société indienne avec une surface moyenne des exploitations agricoles inférieure à un hectare et une mauvaise organisation des circuits de stockage et de distribution des produits alimentaires.
Sur le marché du travail, un marché qui offre peu de protection sociale, la situation est paradoxale dans la mesure où on ne sait pas très bien ce que le chômage veut dire. Il y a des chômeurs (les statistiques sont très imprécises ou peu fiables) mais tout le monde travaille. Les grandes entreprises ont du mal à recruter car il existe un déséquilibre entre les formations existantes et les formations recherchées. Et là, la formation constitue certainement un véritable défi auquel l’Inde est confronté. Mais dans le même temps, nous voyons assez clairement le réservoir de matière grise qui existe en Inde. Les capacités et les talents sont là, il manque la formation pour les faire éclore et adpater l'offre à la demande.
On peut difficilement parler de l’Inde sans parler de la Chine, désormais deuxième puissance économique mondiale après avoir surpassé le Japon l’an dernier. L’une des différences majeures réside dans la capacité des dirigeants chinois à prendre des décisions et à les mettre en œuvre rapidement. L’inverse de l’Inde ! Et là, il est vrai que le changement prendra du temps. Mais on se refuse au pessimisme lorsqu’on sait ce qu’un pays comme le Brésil a pu réaliser, malgré sa classe politique médiocre.
L’Inde est une mosaïque de cultures, de langues et de religions (mais l’hindouisme est largement dominant) et on peut craindre des tensions intérieures, sociologiques ou religieuses. Les attentats terroristes de novembre 2008 sont venus nous rappeler que la partition du Pakistan de 1947 avait laissé des séquelles. A cela s’ajoute le mouvement maoïste (les Naxalites) qui se développe. C’est une réaction réelle d’une petite partie de la société qui est laissée pour compte, mais ce n’est pas un mouvement de grande ampleur. C’est probablement un mouvement durable mais qui n’est pas de nature à entraver le développement économique. De la même façon les extrémismes hindous ou musulmans ne vont pas disparaître, mais on les voit mal faire basculer la société indienne.
Au total, l’Inde s’est bel et bien réveillée, et cela depuis 20 ans. Les chiffres le confirment et les prévisions propulsent l’Inde au rang des grandes nations économiques de demain. L’hindouisme millénaire et le caractère très polymorphe de la société indienne sont des socles de stabilité. L’attachement aux traditions n’empêche nullement le progrès technologique et la société indienne accepte les fortes contraintes qui pèsent sur le pays (bas salaires, absence d’infrastructures, corruption) en pensant qu’il faut être patient et que les choses s’amélioreront.
Dans quelques décennies, l’Inde dépassera la Chine (aujourd’hui le PIB de la Chine est quatre fois plus élevé que le PIB de l’Inde) et c’est l’une des raisons qui fait que les relations entre les deux pays resteront compliquées.
Mais comme toujours en Inde, la vraie variable est le temps ; l’Inde sait les défis auxquels elle est confrontée mais nul ne peut prédire le temps qui sera nécessaire à ce pays pour mettre en œuvre les réformes nécessaires et notamment en matière de gouvernance et d’éducation.
Pays de jeunes ancré dans des traditions millénaires, l’Inde est en passe de retrouver le rang économique qu’elle avait pendant les quatorze premiers siècles de notre ère. Mais la vie en Inde, comme ailleurs, n'est pas un long fleuve tranquille et l'Inde devra vivre encore longtemps avec ses faiblesses chroniques.