De plus en plus, les clients des maquis, bars et cabarets sont surpris par la présence d’artistes ambulants qui proposent leur titre en échange d’une pièce de monnaie.
Samedi 14 janvier. Il est 20h. Dans un des maquis du quartier ‘’Koweit’’ où nous sommes assis, un homme s’approche. Une guitare de fortune en main, l’homme entonne ‘’ goût dans goût’’, une ancienne chanson de l’artiste N’guess Bon Sens. Après une dizaine de minutes passée à notre table, ce ‘’chanteur’’ nous tend une petite gourde servant à recueillir des pièces d’argent. « Il faut lui donner un peu d’argent », marmonne discrètement à nos oreilles, l’une des serveuses du maquis. Une pièce de 100 CFA a suffi au sexagénaire pour nous couvrir de bénédictions. Les autres clients du lieu ont eu droit à ce temps de chant. Ceux qui avaient été pris de compassion ou d’admiration ont fait «le geste qui sauve». Ce décor, les habitués du maquis le vivent au quotidien. Il ne se passe pas une soirée sans que des chansonniers ne promènent leur bosse dans les lieux. Pourquoi font-ils cela ? Et combien gagnent ces artistes qui ont préféré les ‘’spectacles privés’’ ou ‘’grand public’’ sans ticket. Selon ‘’Guédé la star de la guitare’’ (nom que nous donne l’artiste), il est issue d’une famille de chansonnier. « Dans ma famille tout le monde chante au village… Mais comme je n’ai pas encore de producteur, je me débrouille », explique notre interlocuteur. A en croire, cet ancien maçon, la musique est sa passion et il vit de cette activité depuis belle lurette. « Si ça marche, le soir je peut rentrer avec 1000 fcfa et nourrir mes deux enfants », confie-t-il, le sourire en coin. Dans l’une de nos démarches, nous parvenons non loin de la pharmacie Kenya. A peine assis qu’un groupe de ‘’Wôyô’’ (ambiance facile) nous accueille. Munis de grelots, bouteilles vides et autres objets servant d’instruments de musique, ce groupe surnommé ‘’les bonvieux du zouglou’’ entonnent un des titres de leur répertoire zouglou ponctués d’éloges à notre égard. Là encore, il a fallu mettre la main à la poche pour avoir droit à des titres inédits et spéciaux. L’un des artistes nous confient qu’ils agissent ainsi pour pouvoir un jour mettre sur le marché un album. « Depuis plus de deux ans, nous parcourons les maquis, bars, funérailles pour avoir de quoi devenir grand un jour. Aide-toi et le ciel d’aidera », fait savoir Enfant Gazeur. Selon des sources, des groupes comme ‘’Ceki’sa’’, les Côcôs, etc. auraient pareillement flané dans les espaces de ce genre avant de connaître le succès. Suivre les traces de leurs prédécesseurs. Voilà donc l’idée que se font certains artistes ambulants. Pour les vieux routiers, c’est surtout dans les espaces de funérailles et de gbêlêdrômes (liqueur frélâté communément appelé koutoukou ) qu’on les trouve le plus souvent. Nous en rencontrons à la place ‘’CP2 du lavage’’. A cet endroit fort réputé pour les célébrations funéraires, nous faisons la connaissance de chansonniers. Assis devant des tables de fortune où sont entassées d’innombrables bouteilles de liqueurs, ces derniers s’égosillent. La seule tournée de 100f leur aura suffi pour se montrer en spectacle et entonner subitement une chanson. Le cri strident de l’artiste d’une quarantaine d’année visiblement amaigri par l’insomnie, donnera d’un coup l’ultime force à certains de ses amis qui paraissaient déjà mourir dans les bras de morphés. « Mon frère, chacun à sa chance dans le show-biz. Y a des gens qui chantent bien comme nous et qui ne sont pas connus. D’autres ne chantent rien mais ont le succès. Tout est dans la main de Dié… », lâche Laguer John, un autre parolier, les yeux à peine écarquillé. C’est sur ces propos tristes mais teintés d’espoir que nous quittons les lieux .
Jean Marc Futhey