Les tarifs du fret maritime se noient. Le BDI est-il un bon indicateur ?

Publié le 09 février 2011 par Apprendrelabourse.org

Le Baltic Dry Index (BDI), indice de prix pour le transport maritime chute sans répit depuis plusieurs semaines. A près de 1 000, il est au plus bas depuis un peu plus de 2 ans et semble rechuter dangereusement en direction de ses records de faiblesses atteints au plus fort de la crise.

Représentant jour après jour la moyenne des prix sur les 24 plus importantes routes maritimes du transport en vrac de matières sèches (Charbon, ciment, métaux, minerais, céréales …), il est communément regardé comme l'un des baromètres de l'activité économique planétaire et du commerce mondial. L'idée maîtresse est la suivante : plus on achemine de matières premières sur le globe, plus les tarifs de transport vont augmenter, ces matières servant de base à des productions futures, cela indique des carnets de commandes en croissance faisant donc du BDI un indicateur précurseur de l'activité et du commerce. En réalité, le lien existe effectivement il mais n'est pas nécessairement toujours celui là, ce qui est tout particulièrement le cas actuellement.

La demande de matières premières est forte depuis des mois, les prix de très nombreuses matières premières ont progressé depuis lors jusqu'à atteindre de nouveaux records et les tous derniers indicateurs avancés au niveau mondial montrent que la croissance semble accélérer, mais les prix du transport maritime selon le BDI continuent de plonger.

Indicateur de cycle économique ? (récession / expansion)

Entre 1985 et 2007, la variation annuelle du BDI a annoncé 7 récessions mais seulement 2 se sont réellement produites. Qui plus est la variation du BDI lors de ces phases récessives est positive dans un cas et négative dans le second.

Indicateur de l'état de santé du commerce mondial ?

En comparant les variations du BDI produit par la compagnie Baltic Exchange à Londres (en bleu ci-dessous- échelle de gauche) et l'évolution du commerce mondial (en gris – échelle de droite) selon les données du CPB (Centraal Planbureau) de La Haye, il apparaît également assez difficile d'établir un lien très fiable entre les deux.

En terme de données économiques, le BDI est donc assez éloigné, ce qui montre une nouvelle fois que les données macro-économiques ou les données dites 'fondamentales' ne sont pas toujours en en lien avec les prix de marché.

Le commerce mondial est une mesure passée en «dur» ou dite «réelle» comme l'est la croissance ou la récession exprimées par une variation en dollar du PIB sur une période antérieure donnée.

A l'inverse, le BDI reflète aussi en partie le sentiment de marché, la psychologie des investisseurs à un instant 't'. Le sentiment de marché est fait d'oscillations perpétuelles plus ou moins marquées entre peur et cupidité générant en continu des sur-réactions ou des sous-réactions vis à vis des informations fondamentales dont disposent les intervenants à chaque instant.

Corrélation avec les autres mesures de marché ?

 

On retrouve donc à ce niveau des corrélations beaucoup plus nettes avec les indices actions comme le S&P 500 (en vert ci-dessus) ou l'indice CRB des matières premières (en noir) ou encore le pétrole, le cuivre et la bourse de Shanghai (non repris)

Ce sentiment de marché peut rebondir ou se dégonfler néanmoins en fonction d'une kyrielle de variables propres à la détermination du prix de location d'un bateau qui ne sont pas forcément en lien avec les données fondamentales ni les autres variables des marchés cités plus haut. C'est à dire concrètement, en fonction, entre autres, des prix du carburant pour l'exploitation des bateaux, de l'engorgement des ports, les investissements de capacité étant très longs à réaliser, des saisons et conditions climatiques ou encore des capacités à passer des points névralgiques (détroit d'Ormuz, canal de Suez et Panama par ex) pour raison géopolitique ou tout simplement marchande en raison d'engorgements. Les principales décorrélations de ces dernières années sont dues à ce type de facteurs.

- En 2003 et 2004, la production d'acier chinois a commencé à s'envoler créant une demande frénétique d'importations en minerais de fer qui tourna rapidement à l'engorgement et au sur-stockage, ce qui provoqua une première chute des prix en 2004. La baisse des importations et des stocks finirent par créer une pénurie suivie d'un second pic qui se retourna de la même manière et même plus profondément en raison de l'imposition d'une taxe chinoise de 17% sur l'acier fini destiné à l'export (les prix de l'acier et du minerai de fer avaient été multipliés entre temps par 3 à 4 depuis 2001)

- En 2010, le BDI a commencé à évoluer à l'inverse des marchés actions (noté 1 sur la courbe ci-dessus) et des matières premières (point 2) en raison d'une très importante surcapacité de bateaux. Commandés en 2008 lors de la flambée des matières premières, la surcapacité du tonnage disponible est devenue chronique malgré les annulations de commandes de bâtiments et le désarmement. La croissance de l'offre disponible atteint le double de la croissance de la demande. La flotte après une hausse de 9,5 % en 2009 a cru de 15 % en 2010 et devrait encore croître de 14 % cette année alors que les carnets de commandes atteignent des chiffres de plus de 50 % pour le vrac sec et de plus de 100 % pour les très gros vraquiers destinés aux minerais.

A cet effet structurel, s'ajoutent depuis quelques semaines les conditions climatiques très exceptionnelles vécues par l'Australie où sont figés des trains de minerai incapables de rejoindre les ports à destination de la Chine portant un rude coût au transport maritime en vrac. Les ¾ du transport maritime mondial portent sur 2 matières : le minerai de fer et le charbon. Les 2/3 du minerai de fer sont à destination de la Chine (650 Mt) principalement en provenance d'Australie (420 Mt)

Dans ces conditions, l'indice Harpex du prix du transport des navires porte-conteneurs reflète mieux l'orientation de l'activité mondiale notamment de produits manufacturés en phase avec l'orientation des indicateurs avancés de l'économie. Les prix sont néanmoins toujours bas pour les mêmes raisons de surcapacités. Les commandes ont été totalement annulées après la chute de Lehman Brothers jusqu'à l'été 2010, ce qui constitue la première grande crise des porte-conteneurs mais elles représentent toujours 30 % environ de la flotte.

En conclusion, on se méfiera du BDI vis à vis des données économiques pour l'utiliser de préférence avec d'autres indices comme le cuivre, l'indice de la bourse de Shanghai ou l'indice CRB afin d'obtenir un bon faisceau de données pour cerner et confirmer l'orientation générale des marchés mondiaux. Le BDI nécessite enfin un certain nombre de précautions sur les données fondamentales du fret maritime pour pouvoir être exploité correctement, particulièrement s'il est destiné à être utilisé seul comme indice précurseur de l'évolution des marchés.