Que faire maintenant ?

Publié le 09 février 2011 par Magazinenagg
Louise Labrecque
Nul n’est prophète en son pays et les traditions ont la vie dure. Notre temps salue des ruptures que l’ont dit nécessaires. Or, je préfère, et de loin, saluer l’invention, la continuité des connaissances. Il y a une zone grise qui s’exprime ainsi : Sapere aude ! , soit le message célèbre des Lumières : « ose penser par toi-même !» ou « aie le courage de te servir de ton propre entendement! » De plus, Pierre Bayle a écrit sur le déracinement, ce qu’il exige de l’homme, à savoir le droit d’ « une conscience errante ». Et de là on suppose le défi irréconciliable avec une racine identitaire. Oui les Lumières appartiennent à notre tradition, parce qu’elles sont un morceau important de notre rhétorique, mais dans le même souffle elles nous disent bien de ne plus en avoir, de traditions, afin de prétendre à l’universel (la belle utopie ?) Bref, le très célèbre « écrasons l’infâme » résonne d’outre-tombe, plus fort que jamais! Cette métaphore, cette évidence, n’est cependant pas la réponse à tous les maux de l’Humanité. Aucune certitude, nous le savons, nous tous ayant vécu un peu. Et le malaise (et c’est peu dire), devant toutes ces femmes voilées accable les esprits éclairés et demande prestement où situer la frontière entre la tolérance et l’intolérance. L’idéalisme des Lumières n’est plus de son temps et si on veut parler d’intégration, il faudra parler des préjugés. En effet, si l’on veut réellement avancer (et éviter de tourner en rond), il faudra que les idées l’emportent sur les préjugés : un gros mandat ! Pour cela, la critique de la raison moderne doit rencontrer tous les désirs, tous les efforts, toutes les réalisations, dans son vouloir le plus profond : ainsi cette raison sera devenue autonome, bref savoir reconnaître le caractère humain de cette raison. En effet, à quoi bon soulever « le voile d’Isis », qui cache l’essence des choses, si l’esprit humain, donc la raison, ne s’en trouve pas affirmée, autocritique, apte à se servir de son bon sens, et cela dans les moments les plus exigeants de la conscience humaine historique ?
En somme, Tocqueville a soulevé cette posture intérieure en son temps, et il semble que l’on consulte peu (ou devrais-je dire : pas assez) ses écrits, de nos jours. En effet, quel que soit le degré d’incertitudes de la modernité au sujet d’elle-même, nous sommes actuellement à la fin d’une époque. Comme à la fin de la guerre du Vietnam, il se forme des liens étroits, mais fortement teintés d’insécurités. Partout et en tous temps ces liens sont extrêmement difficiles à défaire et mutent dans des conditions quasi-identiques : crises économiques et traditions collectives, lesquelles font preuve d’une tolérance remarquable à l’égard des rapports violents entre citoyens, même au sein de la société civile, allant jusqu’à revendiquer la liberté de parole la plus haineuse qui soit, le droit de possession aux armes, aux taux élevés d’assassinats, à la peine de mort et aux pouvoirs dont jouit la direction dans les entreprises. Bref, l’égo humain, s’il ne dépasse pas ces pulsions, ne sera jamais doté de raison et dès lors son égoïsme naturel deviendra un principe de finalité dans une mutation répétitive et débile de son assonance profonde. Plotin conseillait de s’évertuer à « sculpter sa propre statue », ce qui inspire l’homme libre, non pas à la transcendance, mais à l’élaboration d’une nouvelle représentation, un nouveau projet de construction, bref un dépassement de son égo. Collectivement, se réformer veut dire se repenser, dans un partage mondial de valeurs : c’est un réel projet de libération. Libération de l’égo, libération des pulsions les plus primaires, et ensuite un espoir persistant à essayer de concevoir l’avenir hors des fantasmes, des dogmes, des religions. En somme, savoir proposer au monde une vision de l’homme apte à nourrir une réelle vision humaniste. Si nous ne le faisons pas, nous stagnerons dans le conflit. Le conflit radical que rien ne peut apaiser, ni dissimuler, qui divise non seulement les sociétés, mais aussi les différentes cultures entre elles. Nous ne pouvons admettre d’en être là à l’ère moderne! Il faut réconcilier chaque personne humaine avec ce qu’elle porte de bon et de meilleur en elle-même. Et cela passe par la réconciliation (le Requiem) entre la foi raisonnée, soit l’athéisme, lequel englobe avec conviction la vie humaine acceptable pour tous. Pour cela, nous devons créer un nouveau paradigme, pour cela l’Islam doit se réformer, pour cela nous devons cesser de vivre sur des hypothèses usées jusqu’à la corde, et pour cela nous devons devenir humain, et non plus un troupeau d’individus, voire animalisés lorsqu’il s’agit par exemple de masse fasciste ou consumériste.
Bref, si j’écris cet article, c’est pour ouvrir un espace à la parole, un espace à l’espoir, à toutes les situations transitoires de vide où nous manquons d’air, de repères, de symboles, afin de nous aider à évoluer, à nous représenter une nouvelle position pour un projet global de civilisation. En somme, afin de se départir du réflexe stérile de Cassandre, qui n’arrive pas à avoir un mouvement de recul face à une situation donnée, ne sachant que brandir le drapeau des menaces apocalyptiques, de la barbarie, de la transcendance noire, bref de bien puérils débats qui ne susciteront, à la longue, qu'une pathétique image de prophètes de malheur. Maintenant, ce qu’il faut faire, c’est de nous engager dans un processus d’évolution par un engagement concret, très concret, des réels enjeux, car plusieurs changements sont en train de se produire et nous devrons en prendre la mesure, c’est-à-dire travailler activement à la sauvegarde de l’espace public, lieu devant être et demeurer neutre et laïc. Pour ce faire, nous devrons regarder du côté des traditions, ses conséquences et ses tabous, en même temps qu’il faudra de plus en plus pointer du doigt la responsabilité des médias.