Un mois seulement après le lancement officiel de la télémédecine (destiné en autre à enrayer le désastre annoncé de la pénurie de professionnels de santé, voir notre précédent article), les sociétés commerciales n’ont pas perdu de temps pour trouver, en toute légalité, un très lucratif créneau. Ainsi, l’opérateur Wengo, spécialisé dans le conseil d’experts par téléphone (fiscalité, soutien scolaire, voyance, etc…), lance Wengo santé, le «premier service d’information médicale par téléphone disponible 24h/24, 7 jours/7», disposant d’une plateforme médicalisée (permanenciers régulateurs, médecins régulateurs et IDE). Coût de la prestation pour le «patient» : 2,50 euros par minute (la 1ere minute est gratuite)! Via le site internet, l’internaute indique ses coordonnées bancaires et son numéro de téléphone sur lequel il souhaite être rappelé pour s’entretenir avec un médecin qu’il aura sélectionné au vu des quelques fiches de présentation disponibles. Cinq médecins généralistes, inscrits au Tableau de l’Ordre, sont actuellement identifiés, avec leur nom et photo, ainsi que leur CV.
Et non, vous ne rêvez pas !
Contre toute attente, Wengo n’assimile pas ses services à de la télémédecine (dont l’objectif est de donner un diagnostic suivi d’une prescription). En effet, selon le décret du 19 octobre 2010, sont considérés comme des actes de télémédecine : la téléconsultation, la téléexpertise, la télésurveillance médicale, la téléassistance médicale qui doit permettre à un professionnel médical d’assister à distance un autre professionnel de santé au cours de la réalisation de l’acte. En se référant à ce récent décret selon lequel «l’information médicale délivrée par les médecins de la plateforme ne peut se substituer ni à une consultation, ni à un diagnostic, ni à une prescription médicale», la société Wengo assure que son service s’inscrit dans un cadre légal et qu’il est conforme aux préconisations de l’Ordre des Médecins. Ambigüité tout à fait dommageable pour le vice-président du Cnom. «En clair, ils disent que leur service est conforme au décret de télémédecine précisément parce qu’ils n’en font pas», explique-t-il. Selon lui, le service correspond à des conseils médicaux en ligne à l’image du centre de télé-conseil qui existe à Bâle en Suisse. Le Dr Lucas rappelle que la mise en œuvre d’un programme de télémédecine doit obéir soit à un programme national défini par le ministère, soit à des contrats avec les Agences régionales de santé. «Il y a confusion des genres, déplore-t-il. C’est tout simplement une plate-forme payante d’information médicale».« Ce n’est pas très étonnant, il y a de l’argent à se faire mais je trouve cela ubuesque », réagit Claude Leicher, président du syndicat de généralistes MG-France. «Est-ce que les consommateurs de santé se laisseront prendre ? Il faudra aussi pouvoir étudier le rapport entre le coût et le service rendu, qui ne sera que du conseil», dit-il. Pour avoir eu une expérience importante en régulation médicale, le leader de MG-France estime qu’une telle conversation téléphonique doit durer au minimum 10 à 15 minutes. Soit 25 à 37,5 euros la demande d’information médicale.
« Tout ce qui est excessif devient insignifiant », estime quant à lui Michel Chassang, président de la Confédération des syndicats médicaux français (Csmf). «Jusqu’à preuve du contraire, la médecine s’exerce dans le cadre d’un colloque singulier et doit relever de deux êtres qui se connaissent. Cela peut de loin ressembler à de la régulation médicale, bien que l’on soit en dehors d’un cadre d’urgence, sauf que c’est ici dans un cadre totalement déréglementé. C’est au-delà de la médecine foraine !»
Pour Jean-Paul Hamon, co-président d’Union Généraliste, le procédé n’est pas sécurisant. «On n’est jamais trop prudents quand il s’agit de donner des conseils à des gens que l’on ne connaît pas. J’ai déjà vu des personnes attendre tranquillement ¾ d’heures dans la salle d’attente alors qu’ils avaient une péritonite ou un infarctus», raconte-t-il. Pour lui, ce lancement d’un service commercial est «l’attestation de la dérive de ce qu’est devenu l’exercice médical». Il soupire : «La santé est un produit d’appel. On est devenus des prestataires de service».
Au delà du scandale qu’inspire cette dérive parfaitement commerciale de l’exercice de la médecine, on peut s’interroger de notre coté du respect du secret médical et de la récupération éventuelle par ces sociétés privées par une voie détournée des données médicales des patients qui imprudemment seraient amené à dévoiler dans le cadre de leur « prise en charge ». Que nous dira la CE lorsque Wengo décidera de délocaliser les appels hors de France? Comment le CNOP gèrera t-il la distorsion de concurrence européenne ou vis à vis des sociétés commerciales si l’on peut exercer la médecine en 3615 mais que des médecins généralistes installés en cabinet doive respecter une déontologie interdisant de pratiquer la médecine comme un commerce?
L’intégration des pharmaciens dans ces réseaux de soin est déjà programmée avec l’installation de cabines de télémédecine au sein des officines financée par des groupes financiers.
Très bientot, Labcompagnie va y songer : un petit numéro surtaxé pour le conseil en prescription et commentaires de résultats biologiques, jusqu’ici partie intégrante des missions de soin de biologiste médical ? Ben quoi, il y a de l’argent à se faire, non?…
Sources : Egora.fr, Le quotidien du Médecin