Editeur :LGF
Publication :1975
Pages :224
Un livre peut-il changer une vie ?
La première question que je souhaiterais soulever dans ce premier article depuis longue date est la suivante : un livre peut-il changer le cours d'une existence ? Inutile ici de rentrer dans un débat littéraire ou pseudo-spirituel, je vais tout simplement apporter une réponse affirmative à la question. Oui, un livre, un roman peut changer le cours d'une existence. C'est d'ailleurs le cas de nombreux livres, de nombreux romans. Premier exemple : lors d'une soirée, deux personnes s'échangent leurs impressions à froid sur un roman lu quelques mois auparavant et s'enthousiasment pour les mêmes passages. Une amitié naît sur cette simple discussion et les cours des deux existences s'en trouvent modifiés. Vous ne discutez jamais des romans lus lors de vos soirées, m'objecterez-vous (ou m'objecterais-je si j'étais schizo) ? Certes… Second exemple : vous découvrez une histoire formidable, un roman qui fait admirablement écho à votre être intérieur, à vos quêtes personnelles, qui soulève des souvenirs d'enfances, réveille les atermoiements de votre vie quotidienne, vous projette dans un univers où vous aimeriez vivre. En refermant le roman, vous poussez un soupir de satisfaction, vous fermez les yeux et cherchez à comprendre comment ce livre va changer votre vie, a changé votre vie. Vous ne savez pas quelle infime portion de vous-même a été bouleversée par les mots de cet auteur, mais vous sentez en vous-même que dans l'horloge imperturbable qui vous constitue, dans cette mécanique aléatoire et biologique qui détermine votre être le plus profond, un grain de sable s'est glissé. Impossible d'en imaginer les conséquences sur l'instant. Peut-être que ce grain de sable s'est immiscé dans un interstice du rouage et ne gêne en rien pour le moment. Pour le moment… Car il est parfaitement envisageable qu'un jour, un autre grain de sable cherche à se coincer dans le même interstice, mais là, la place étant déjà prise par l'ancien grain de sable, le nouveau grain risque d'abîmer le rouage. Il n'est jamais possible de savoir quel grain aura été déterminant dans les grands bouleversements d'une vie.
Et s'il fallait retenir une leçon de cela, il faudrait choisir : ne jamais rien lire, regarder, s'imprégner, ainsi aucune poussière ne viendra vous perturber ; ou bien, plonger dans l'immensité du désert pour habituer ses rouages à fonctionner dans l'enlisement de l'existence.
Un roman à lire absolument
Siddhartha a conscience de ces grands changements de l'âme. Il est à la recherche de la Sagesse. Il est entouré de sages, mais ils les considèrent comme des savants et non des sages. Ce qu'il cherche, lui le jeune Siddhartha : le sens de la vie, de l'existence. Il n'a que faire des savoir-être, savoir-faire qui lui sont enseignés. Aussi l'affirme-t-il à son ami dès les premières pages de ce petit roman :
« […] ils savaient une infinité de choses - mais que valait tout ce savoir, quand on ignore la seule chose qui importe le plus au monde ? »
Le débat est lancé : Hermann Hesse, avec le formidable talent de conteur qu'il met au service de ce court roman d'apprentissage, oppose d'emblée savoir et sagesse. Son personnage, Siddhartha poursuit une quête formidable, la quête d'une vie, qui doit le conduire vers la sagesse. Siddhartha en a le potentiel, mais à aucun moment, nous ne distinguons quelques méandres de ses expériences le conduira vers le vrai savoir, la sagesse. Car, si l'objectif de Siddhartha est clairement identifié, il ne sait comment s'y rendre. Il poursuit donc sa route avec des compagnons réputés plus sages et entame un long et douloureux apprentissage. Siddhartha est discipliné, mais il ne reste pas bloqué dans un schéma de pensée lorsqu'il estime que celui-ci ne lui permet pas d'atteindre son objectif. Il est déterminé et n'hésite pas à remettre en cause un système qui lui paraît bon.
« Et voilà pourquoi je commence à croire qu'il n'est pas de plus grand ennemi du vrai savoir que de vouloir savoir à tout prix, d'apprendre. »
Je ne vous raconterai pas dans ces quelques notes de lecture le cheminement de Siddhartha, l'histoire de sa vie, l'histoire du roman. Si vous ne deviez retenir qu'une seule chose, c'est qu'il faut le lire absolument. Vous découvrirez ainsi un court roman d'apprentissage, écrit très simplement et qui pose des questionnements profonds sur nos existences. C'est également un beau récit, qui s'apparente par bien des aspects à un conte des Mille et une nuit.
Avant d'aller plus loin…
En revanche, - et arrêtez de lire si vous n'aimez pas connaître la fin d'un roman (merci de votre lecture et à bientôt sur ce blog pour ceux qui nous quittent ici !) -, je vous dévoilerai le final, absolument génial. Quelques pages, pas plus de dix, pendant lesquels Hesse révèle la sagesse à son héros, Siddhartha. Tout cela tient en quelques citations, copiées ci-dessous. Au final, un chef d'oeuvre à lire et très certainement à relire régulièrement dans sa vie pour accumuler ces grains de sable ou déplacer celui qui ne s'est pas bien positionné quelques années auparavant…
« Quand on cherche, reprit Siddhartha, il arrive facilement que nos yeux ne voient que l'objet de nos recherches, on ne trouve rien parce qu'ils sont inaccessibles à autre chose, parce qu'on ne songe toujours qu'à cet objet, parce qu'on s'est fixé un but à atteindre et qu'on est entièrement possédé par ce but. Qui dit chercher dit avoir un but. Mais trouver, c'est être libre, c'est être ouvert à tout, c'est n'avoir aucun but déterminé »
« la sagesse ne se communique pas. La sagesse qu'un sage cherche à communiquer a toujours un air de folie. »
« Le Savoir peut se communiquer, mais pas la Sagesse »
« Les paroles servent mal le sens mystérieux des choses, elles déforment toujours plus ou moins ce qu'on dit »
« Ce n'est pas dans les discours ni dans le penser que réside sa grandeur ; mais dans ses actes, dans sa vie. »
Et sur cette note finale, on comprend également que le véritable changement dans une vie est dans l'action, pas dans la contemplation. Camus lui-même écrivait ceci dans le Mythe de Sisyphe :« Il vient toujours un temps où il faut choisir entre la contemplation et l’action. Cela s’appelle devenir un homme. »Hermann Hesse l'avait très bien compris.
Source : http://lecturesdejulien.over-blog.com/article-hermann-hesse-siddhartha-52186428.html