Le grand photographe italien Mario Cresci, qui a été, avec Ugo Mulas et Franco Vaccari, un des premiers à s’interroger sur le médium photographique même, avait une exposition à Bologne, titrée ‘À travers l’art’, qui s’est terminée le 31 janvier, et va successivement en avoir deux autres, à Rome (À travers la trace’, de mars à mai) et dans l’extraordinaire ville de Matera (’À travers l’homme’, de juin à septembre), que j’espère pouvoir aller voir. Cresci travaille sur la forme et sur la déformation, celle des éléments géométriques, cercle, carré, croix (inspiré par Malevitch), mais aussi celle de la représentation. Les fragments de carrelage éclairés par le soleil ci-dessus (‘Academia slittamenti’) deviennent des formes autonomes, objectivées, révélatrices d’ambiguïtés formelles.
Il adopte un langage photographique très construit, très systématique, expérimentant les différents paramètres possibles de manière quasi scientifique. Cette décomposition physique de son appareil photographique est comme un symbole de son travail de déconstruction.
Ses photographies apparemment plus classiques, en particulier celles qu’il fait en Lucanie comme ses Portraits en triptyque, sont non seulement des représentations d’une famille, d’un couple, mais aussi une exploration du temps (de par les images qu’ils tiennent) et une expérimentation sur le cadrage.Enfin, ci-dessous, cette image d’enfant prise dans la rue devient un motif répétitif (Photogramme d’affection, Tricorino 1967), un signe, une lettre d’un alphabet
photographique.Outre les salles d’exposition à lui dédiées dans la Pinacothèque de Bologne, Cresci est aussi intervenu dans les galeries permanentes, éclairant ici une fresque, reprenant là un détail (quelques gouttes du sang du Christ, un clou de sa croix), ou superimposant
sur les sinopie de Mezzaratta des motifs géométriques changeants. Dans les salles, je remarque au passage, ce tableau vers 1650 de Gian Domenico Cerrini, un autoportrait indirect : c’est l’allégorie de la peinture qui, palette et pinceau en main, a fait le portrait du peintre et nous le présente. Sofonisba Anguissola avait déjà peint un autoportrait indirect, un siècle avant : son maître, Bernardino Campi, était représenté, dans le tableau peint par elle, peignant son portrait à elle (Pinacothèque de Sienne), mais c’était peut-être là un signe de fausse soumission rusée ou de déférence, alors que le tableau de Cerrini est bien plus audacieux et péremptoire. Et lui aussi questionne la représentation, à sa manière.Photos 1 et 4 de l’auteur.