Les romanciers aiment les mal-aimés. L’identification semble plus naturelle, sans doute les vainqueurs, les aimés de Dieu ne suscitent-ils pas l’empathie chez le lecteur. Il faut revenir à la source : le mal-aimé de Dieu, le premier dans l’Histoire est Caïn. Il est aussi le premier pécheur (après Adam). Pour José Saramago, celui qui a commis le premier crime est aussi le plus humain. Il est celui qui apostrophe Dieu - dieu, en minuscule dans le roman de Saramago car l’auteur ne s’embarrasse d’aucune majuscule pour les noms propres tout au long du texte -, c’est dans sa bouche que le discours séditieux prend forme : j’ai tué abel parce que je ne pouvais pas te tuer toi. Le ton est donné. Caïn, premier fratricide de l’humanité, est l’homme errant, l’homme à la tâche sur le visage, le paria ; il est aussi l’homme qu’on ne peut plus tuer et fatalement, il déambule dans la Bible, tisse des liens entre les personnages. Il existe des omissions dans l’Ancien Testament qui ne signale pas sa présence près d’Abraham au moment du sacrifice d’Isaac, dans l’entourage de Noé quand il construit son arche. Il est vrai que le contentieux avec Dieu est grand et que celui-ci aura trouvé là un moyen de se venger du rebelle. Un rebelle qui reproche au seigneur son orgueil, ses contradictions et sa méchanceté : lors de la destruction de Sodome, tous les habitants de la ville maudite furent tués, y compris les enfants. Sacrifice d’âmes innocentes.
Finalement, c’est l’assassin Caïn qui est intrinsèquement honnête. A la manière d’un personnage candide de Voltaire, Caïn a pris la parole pour José Saramago, et ce qu’il a à dire est simplement révolutionnaire.
Caïn, de José Saramago. Éditions du Seuil. Janvier 2011.
Traduit du portugais par Geneviève Leibrich.
170 pages