L’hôpital Antoine Béclère de Clamart a aidé à mettre au monde un bébé sain qui pourra guérir sa sœur. Une nouvelle réjouissante pour la famille qui
n’est pas sans poser quelques questions d’éthique.
Les journalistes aiment bien trouver l’expression choc qui va aller droit à l’émotion des lecteurs ou auditeurs. En parlant de la naissance, le 26
janvier 2011, du premier "bébé médicament" français, on
frappe évidemment l’imagination et les peurs resurgissent, comme on avait parlé des "bébés éprouvette" (initiés par Robert
Edwards, Prix Nobel 2010) qui n’ont d’éprouvette qu’un utérus normal.
Présenté ainsi, un couple aurait fait un bébé uniquement pour venir au secours de leurs deux premiers enfants, atteints de
b-thalassémie, une maladie génétique grave rendant nécessaire des transfusions sanguines permanentes.
On évoque aussi l’origine turque de la famille, pour laisser entendre que c’est un peu exotique comme naissance, et si on n’y prenait pas
garde, on penserait presque que le bébé du 26 janvier serait dépecé pour distribuer ses organes.
En fait, l’histoire est moins parlante mais néanmoins problématique pour la bioéthique. Le bébé a été conçu in vitro, comme un "bébé
éprouvette" classique, c’est-à-dire avec un embryon conçu à l’extérieur et implanté ensuite dans l’utérus de sa mère.
Là où c’est moins commun, c’est dans le choix de l’embryon. Pour une question de probabilité élevée d’échec, on conçoit
plusieurs embryons pour réussir une naissance (d’où la naissance de jumeaux, triplés etc.).
C’est d’ailleurs le principal problème des lois de bioéthique (dont les parlementaires sont en train de réviser celle de 2004 depuis ce 8
février 2011) : que faire des embryons surnuméraires ? les éliminer au risque de supprimer une potentialité de vie ? les conserver congelés (mais pour combien de temps) ? les utiliser pour
la recherche génétique (avec risque d’instrumentalisation du vivant) ? Beaucoup de questions qui n’ont guère de réelle réponse, puisque aucune solution n’est humainement vraiment
acceptable.
Or, le choix est possible avec ce qu’on appelle le "diagnostic préimplantatoire". Ce diagnostic est très efficace avec
les progrès de la génétique : on peut en effet y déceler des maladies et même des traits humains associés à l’ADN. Le risque eugénique est donc réel quand on peut se permettre de choisir
certaines caractéristiques de l’enfant à naître, et notamment le sexe, par exemple.
C’est à cause du diagnostic préimplantatoire que Jacques Testard a arrêté ses recherches médicales. Il y voit trop de risques
eugéniques.
Dans le cas d’Umut-Talha, le prénom du bébé de trois kilogrammes six cent cinquante, c’est un double diagnostic préimplantatoire qui a eu
lieu. Le premier visait à s’assurer que l’embryon n’était pas porteur de la maladie de son grand frère et de sa grande sœur, et le second qu’il pouvait devenir un donneur compatible avec l’un de
ses deux aînés.
En tout, vingt-sept embryons ont été conçus et de ces vingt-sept, un seul était compatible avec la sœur du futur bébé. En raison des
risques d’échecs, un second embryon a cependant été implanté dans l’utérus de la mère, les parents voulaient dans tous les cas un troisième enfant, compatible ou pas. Finalement, c’est le "bon"
embryon qui s’est développé.
Le premier diagnostic préimplantatoire est réalisé assez souvent lorsqu’il y a des antécédents familiaux connus de maladie génétique. Le
second est donc une nouveauté en France, mais cela fait depuis plusieurs années que dans le monde et en Europe, cette technologie est utilisée sciemment dans un but de faire naître un bébé
donneur.
Et que donnera-t-il, le bébé ? des cellules sanguines prélevées dans le cordon ombilical qui, de toute façon, auraient été
détruites.
Des enfants ont ainsi pu être sauvés, aux États-Unis (Molly Nash, qui souffrait de l’anémie de Fanconi qui affecte le système immunitaire,
a été guérie grâce à son petit frère Adam dont l’embryon avait été sélectionné pour cela), ou encore en Espagne il y a deux ans pour la même maladie que celle du frère et de la sœur
d’Umut-Talha.
Ce que montre le cas d’Umut-Talha, c’est que ce dernier a été voulu pour lui-même et sera aimé comme n’importe quel
enfant. En revanche, quelle faute journalistique de parler de "bébé médicament" ! Quand ce bébé sera en âge de comprendre, il pourrait douter des raisons de sa naissance, de sa
propre finalité alors que la famille a bien montré qu’elle voulait un troisième enfant dans tous les cas, "compatible" ou pas.
Pour René Frydman, qui a supervisé les opérations et qui a été aussi à l’origine d’Amandine, le premier bébé français conçu in vitro, la
science médicale n’a fait que faire pencher la balance du hasard.
Le généticien Axel Kahn, président de l’Université Descartes (Paris-5) depuis le 20 décembre 2007, considère lui aussi que le terme "bébé
médicament" est très mal trouvé car il donne un aspect d’instrumentalisation de l’enfant qui ne correspond pas à la réalité.
Au contraire, invité du journal de 20 heures sur France 2 le 8 février 2011, Axel Kahn estime que dans la plupart des cas, les parents conçoivent un enfant, non seulement pour lui-même,
mais parfois en lui associant des projets ou des désirs (succéder à l’entreprise paternel, reprendre la ferme, transmettre son patronyme, avoir un héritier etc.) qui n’est pas plus éloigné que
l’intention de soigner la sœur tout en concevant un enfant désiré.
L’humain n’est pas un matériau. L’embryon est une sorte d’OVNI juridique, sans statut, ni personne humaine (sinon,
l’avortement serait considéré comme un assassinat) tout en l’étant un peu (du moins, lorsqu’il devient un fœtus et que la famille voudrait lui donner un nom d’état civil).
Les personnes qui protestent (notamment Christine Boutin et Mgr André Vingt-Trois, cardinal, archevêque de Paris et président de la
Conférence des évêques de France), alors que la France a adopté l’une des législations les plus protectrices des avancées médicales, confondent à mon sens le risque, réel,
d’eugénisme qui verrait la systématisation d’une sélection d’embryons selon des critères purement normatifs (ou esthétiques), ce qui est technologiquement possible, avec quelques cas bien
spécifiques où la famille, à la naissance de leur enfant, reçoit cette double grâce, celle d’avoir un nouvel enfant et celle de permettre la guérison d’un aîné.
Axel Kahn conclut très sagement : « Un enfant ne peut pas naître avec
un autre objectif qu’un enfant qu’on aimera, mais par ailleurs, s’il peut aider sa grande sœur, il ne faut pas, peut-être au cas par cas, se l’interdire. ».
Cette naissance devrait au contraire réunir tous les humains de bonne volonté dans la joie de cette famille qui va
trouver à la fois une nouvelle étincelle à guider et un espoir pour en sauver une autre.
Le parcours de combattant pour faire aboutir cette naissance, les autorisations nécessaires et la rareté des cas sont suffisamment de
garde-fous pour éviter toute dérive eugénique d’une société dans son ensemble.
De plus, l’ardente nécessité d’utiliser tous les moyens actuels pour soigner, tous moyens qui ne lèsent aucun autre être humain,
évidemment, est, elle aussi, un impératif moral, aussi fort que celui de rester droit dans ses convictions mais coupé des réalités médicales qui dépassent parfois de loin
l’imagination.
Alors, une seule chose à dire à cette bonne nouvelle :
Bienvenue dans ce monde, petit Umut-Talha !
Et bonne chance de guérison à ta
sœur.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (9 février 2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Trente ans de fécondation in
vitro.
Robert Edwards Prix Nobel 2010.
Le fœtus a-t-il un état civil ?
http://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/en-quoi-le-progres-medical-est-il-88541