Lundi 28 janvier il est à peu près 18h30 lorsque je suis sur le point de me l'avouer : je suis un peu perdue. Rien de très original, ça m'arrive fréquemment mais là ça m'ennuie parce que je suis attendue. Et pas par n'importe qui. Louis Bertignac. Chez lui. Rien que de l'écrire ici j'y crois à peine moi-même. Oui : Louis Bertignac. LE Louis Bertignac.
Alors que le navigateur de mon smartphone semble m'avoir définitivement abandonnée à mon triste sort, j'aperçois un garage d'où me parviennent des voix. J'ose m'y aventurer.
Moi : "Bonjour, excusez moi de vous déranger mais pourriez vous m'indiquer l'impasse -bip- s'il vous plait"
Le garagiste, souriant de toutes ses dents : "Ah mais vous allez chez Bertignac alors?"
Moi, incrédule : "Ca se peut, effectivement...Et donc pour m'y rendre, je passe par où?"
Lui : "Vous êtes presqu'arrivée" et il m'indique le chemin.
Puis il ajoute, hilare : "Ah et dites lui en arrivant que sa voiture est prête et qu'il peut venir la chercher dès qu'il a un moment, on l'attend" et il termine en s'esclaffant.
Je pars sur un hochement de tête approbateur en le remerciant et en me faisant la réflexion qu'il est un peu culotté de se moquer de moi avec son histoire de voiture tout juste réparée. Quand j'arrive à destination je me garde bien de raconter mes péripéties et je fais connaissance avec les 5 autres blogueurs conviés et Louis, désarmant de naturel.
Au bout d'une demi-heure environ, le téléphone sonne. Louis prend la communication et nous annonce qu'il va s'absenter un peu pour aller chercher sa voiture chez le garagiste. "C'est à deux pas, j'en ai pour 5 minutes, commencez sans moi".
Donc le garagiste ne plaisantait pas. Et je n'ai pas transmis une information qui aurait pu faire gagner un temps précieux à tout le monde. Je me sens bête d'un coup. Léger malaise. Je décide de raconter mon aventure à Louis qui s'en amuse franchement avec la plus grande indulgence. Désarmant. C'est tout Louis ça, j'en aurais la confirmation avec le reste de cette soirée: sympa, accessible et gentil au possible.
Pendant son absence, nous nous installons dans son home studio. C'est ici que nous allons écouter son nouvel album, à paraitre le 14 mars 2011 : Grizzly. J'ai tout loisir d'admirer sa somptueuse collection de guitares, suspendues aux murs. Dans son repaire, ce sont des petits morceaux de la vie de Louis qui sont dispersés un peu partout : Ici une échographie, là des câbles, au sol des magazines, sur les étagères des réalisations de ses filles, parmi des photos, des instruments, des disques,...Je sais à peine où donner des yeux pour réussir à embrasser en un regard qui se voudrait panoramique tout le petit monde de Louis.
Quand vient le moment d'attaquer l'écoute de Grizzly, c'est avec une légère angoisse mêlée d'excitation que Louis Bertignac lance les morceaux. 13 titres que l'on découvre avec surprise car le son est résolument rock.
Il l'avouera plus tard, cet album c'est "un album de guitariste", alors rien de surprenant à ce que l'album s'ouvre sur 22 m2, titre dévoilé il y a peu sur son site, où les riffs de guitare sont à l'honneur, et se termine sur deux morceaux (Fais pas mes malles, Frayer) qui sonnent aussi très rock et s'autorisent des ruptures de rythme vigoureuses.
Si Grizzly fait la part belle aux solos de guitare qui hérissent le poil, l'album ne manque pas pour autant de relief et on y trouve même de la pop un peu sucrée où la voix retrouve sa fragilité et se mêle à des choeurs féminins qui viennent habiller le refrain (4. Tes Bonnes choses) ou encore un morceau au tempo plus doux (Bloody Mary Tabasco) qui rompt nettement avec l'ensemble : la fragilité de la voix y est rejointe par une mélodie plus douce et confère au titre un ton mélancolique qui lui va bien.
Sur l'album les textes souvent introspectifs et toujours très imagés, intégralement signés Boris Bergman, racontent avec poésie le quotidien. La couleur générale de Grizzly est celle d'un rock énervé, energique, souvent teinté de blues. Les lignes de basse obsédantes y cotoient des riffs de guitare assassins : Louis renoue avec ses premières amours et c'est une bonne nouvelle.
Ses dernières collaborations (avec Joyce Jonathan et Carla Bruni) étaient en effet d'un tout autre registre. Alors que l'on s'en étonne, Louis explique "Quand je travaille pour les autres, je fais ça ici, dans mon home studio. Alors la fille vient avec sa guitare folk, simplement, on ne cherche pas la difficulté. Là j'ai voulu me faire plaisir et pour ça il fallait sortir de ce studio, faire appel à d'autres musiciens, c'était un projet différent..."
On comprend vite que l'histoire de Grizzly, au fond, c'est une histoire de rencontres : Celle de Martin Messonnier d'abord, qu'il croise alors que son album est prêt et qui lui confie que ce qu'il attend de lui, c'est un "album de guitariste", qui lui ressemble, un album plein de riffs et de solos de guitare. L'idée fait son chemin tranquillement et finit par s'imposer comme une évidence. A tel point que Louis décide d'abandonner l'album qui est déjà prêt pour se lancer dans l'aventure qui débouchera sur la production de Grizzly, tel qu'on a pu l'entendre en avant première ce soir là.
Que deviendra cet album, abandonné avant d'être présenté au public? "Il paraitra après ma mort, ce sera l'héritage de mes filles" lance Louis, péremptoire.
Une fois sa décision de réaliser SON album de guitariste prise, Louis est submergé par les riffs de guitare qui viennent sans effort. L'album est enregistré en deux jours en studio avec des musiciens qu'il a choisis (et qui ne sont pas ceux qui l'accompagneront sur scène, faute de disponibilité). Sans se mettre une pression particulière, Louis souhaite que la plupart des morceaux soient enregistrés en première prise pour capter l'émotion incomparable qui s'en dégage. Il reconnait n'avoir jamais de sa vie travaillé si vite sur un album et s'en étonne. Une fois enregistré, l'album est ensuite masterisé à New York (Studio Sterling).
Alors que devient Louis Bertignac maintenant que l'album est finalisé?
Il se lance dans une tournée de chauffe, avant la sortie de l'album (planifiée pour le 14 mars) pour préparer l'Olympia prévu le 18 juin puis il enchainera avec les festivals de l'été et de grosses dates à la rentrée. L'aventure de Grizzly ne fait que commencer car Louis reconnait que le live pour lui, c'est un vrai besoin. "Un mois sans monter sur scène et je redeviens le Louis de merde que je suis hors studio". La scène, c'est l'endroit où il se révèle "Plus ça va, plus je suis moi sur scène, un moi plus éclaté, plus joyeux, moins timide. Sur scène je suis moi, en mieux". Et de conclure "La scène pour moi, c'est une thérapie".
C'est aussi l'occasion de retrouver ses fans dont il s'attendrit de voir que leur nombre ne cesse d'augmenter et leur profil d'évoluer, mêlant les générations et les milieux, même s'il y a bien sûr les fans de toujours, les irréductibles qui pour certains l'ont suivi jusqu'à Shangaï ou Katmandou.
Avant de partir, nous aurons aussi la primeur de la première mouture du clip de 22 m2, tout en images de synthèse. Louis y partage la vedette avec une jolie blonde et évolue sur une chaine de montage de figurines à son effigie. Un clip soigné et un peu fou à découvrir très bientôt. Quand on lui demande s'il a déjà une idée de la couverture de l'album, il répond que oui. Qu'il s'agira d'une photo de lui, retravaillée "Il faut en profiter tant que j'ai pas une gueule trop affreuse". "Qui réalisera l'artwork?"Là encore c'est une rencontre qui guide son choix. Il s'agit d'un photographe croisé sur un shooting pour Rolling Stones dont Louis a aimé le travail et à qui il a décidé de confier la réalisation du visuel de la pochette.Comme un cadeau pour clore la soirée, Louis finit par nous présenter sa guitare fétiche, jusque là bien cachée dans sa housse. Une gibson SG qui a vécu et dont l'histoire a tout d'une légende : récupérée pour 40 dollars auprès de musiciens occasionnels tout juste sortis de taule avec qui il avait fait un boeuf après qu'ils l'aient pris en stop (encore une histoire de rencontre fortuite et bien tombée), il raconte les yeux brillants le coup de foudre pour cet objet qui ne l'a plus jamais quitté.
La rencontre s'achève sur des discussions qui partent un peu dans tous les sens, dans une atmosphère détendue où sont évoquées les rencontres mythiques, les grandes réussites et quelques ratés (comme la grande fête du rock'n'roll programmée avec les Stones). Louis discute gaiement, toujours avec beaucoup d'humour et une humilité qui n'est pas feinte; Evoque les icônes qu'il a croisées, les belles surprises et s'amuse des rendez vous manqués; plaisante à propos de sa collaboration avec l'effigie blonde très sexy du clip.
L'homme est définitivement sincère et touchant. Comme on aimerait en rencontrer plus souvent.
Grizzly est un album qui sent bon le retour aux sources du rock pour Louis Bertignac. Un album pour lequel l'inspiration est venue seule, avec facilité, au gré des rencontres providentielles qui ont débouché sur les collaborations fructueuses qui lui ont permis de voir le jour.
Retrouvez les billets de B. Darcy sur Zdar.net, Swann sur ORAF et A. Dubuquoy sur le Dubuc's Blog.
Les dates de la tournée de Louis Bertignac sont à retrouver ici.
Tracklist de Grizzly :
1. 22 mètres carrès/ 2. Pro / 3. Costards/ 4. Tes Bonnes Choses/ 5. Grand Ordinateur/ 6. Tziganes et Grizzly/ 7.Mouettes et Rhinos/ 8. Chaud/ 9. Bloody Mary Tabasco/ 10. Simulations/ 11. Les filles comme toi/ 12. Fais pas mes malles/ 13. Frayer.