Photos © Juergen Teller
Vous ne pouvez pas ignorer la nouvelle : le 2 février, les White Stripes ont officialisé leur séparation déjà effective depuis 2007 par un communiqué publié sur leur site internet. Si le divorce était déjà consommé depuis plus de trois ans, Jack White s’employait avec application à garder le mystère sur une possible reformation du duo de Détroit à longueur d’interviews évasives agrémentées de verbes au conditionnel. Il y a à peine deux semaines, une rumeur disait même qu’un septième album était sur le point d’être enregistré. Certains avaient même vu les ex-mari et femme sortir ensemble du QG de Third Man Records à Nashville. Manifestement, c’était plus pour organiser un pot de départ que pour évoquer des projets communs.
A peine la nouvelle annoncée, des milliers de fans y sont allés de leur commentaire larmoyant, tandis que quelques uns sortaient ouvertement le champagne. Quelques plumes éclairées se sont employées à raviver des souvenirs désormais douloureux. Pour beaucoup, les White Stripes auront marqué l’arrivée du rock dans leur vie - une révélation de jeunesse qui s’est avérée bien plus signifiante et profonde qu’un caprice d’adolescent. La découverte de la fureur du blues, celui qui prend aux tripes sans espoir de rédemption. Un chemin tortueux et électrique vers Son House et d’autres fameux collègues. Une passion esthétique pour un groupe qui, visuellement, n’aura jamais fait un faux pas vers la demi-mesure. Pour moi, les White Stripes auront aussi été tout ça. C’est pourtant sans surprise que j’ai parcouru le communiqué, même si mon sang s’est légèrement glacé. J’avais déjà fait mon deuil depuis plusieurs mois. Finalement, j’étais plutôt soulagée que le groupe mette enfin noir sur blanc cette situation que l’on réussissait à ignorer avec plus ou moins de succès, au gré des indices dispensés par Jack White dans la presse.
Une grande question, et déjà une foule d’indices que l’on préférerait oublier. Puis rapidement, une certitude : Meg White n’a plus sa place dans le bas-monde de la musique. Elle n’a jamais été une grande musicienne et s’est révélée une piètre chanteuse. Anonyme parmi les anonymes de la banlieue de Détroit, elle se met à la batterie sur le tard - à 23 ans - sur les conseils d’un certain John Anthony Gillis, son boyfriend et futur époux qui, lui, manie les baguettes depuis l’âge de cinq ans. Derrière le guitar hero en gestation, elle apprend sur le tas. Estomaqué par la puissance naïve de son jeu, le futur Jack White l’encourage à ne pas trop en apprendre. Dotée d’une régularité effrontée de métronome, Meg avance tout droit, ignorant les breaks et les fioritures. Si elle joue de la batterie, c’est grâce à Jack White ; si elle n’en a jamais très bien joué, c’est à cause de lui. Poussée par une énergie brutale, sans arrière-pensée, elle frappe les fûts avec toute la conviction de son ignorance. Elle est le rythme dans sa plus pure expression. C’est ce qui a fait, entre autres, la particularité des White Stripes, et c’est aussi la raison pour laquelle elle ne pourra probablement pas intégrer aucun autre groupe. De toute façon, elle n’en a sans doute jamais eu l’ambition.
Les White Stripes et leurs six albums auront été une parenthèse fulgurante dans la vie d’une femme qui n’en demandait pas tant. D’abord entraînée par l’enthousiasme débordant de Jack White, elle a d’ailleurs fini craquer : ce sont ses crises d’angoisse qui, en 2007, on précipité plus rapidement que prévu la fin du groupe et ont obligé son acolyte à revoir son plan de carrière. Jack White a toutes les femmes qu’il veut, mais sa plus parfaite âme soeur aura fini par lui échapper. Alors plutôt que de regretter un groupe qui n’existe plus depuis longtemps, je voudrais dire adieu à Meg White. Parce qu’il y a des chances qu’elle ne touche plus jamais à son instrument et parce qu’on ne la reverra probablement plus. On se souviendra d’une femme modeste et intègre, de l’épouse mythique d’un seul homme, de la batteuse fidèle d’un unique groupe. De la musicienne ingénue qui n’a jamais voulu en savoir trop et dont la force a été, justement, d’en connaître si peu et de s’en contenter. Pas d’exploits, pas d’éclats, simplement une grande honnêteté. Alors rendons à Meg White la place qui lui revient pour que l’autre Meg White, la vraie, puisse vivre sa vie, débarrassée du poids d’une légende trop lourde à porter. En choisissant de nous quitter maintenant, elle restera ce qu’elle a toujours été : un mystère.
Audio
The White Stripes - Passive Manipulation