La stratégie d'étouffement financier entamée par Alassane Ouattara commence à porter ses fruits. Des fruits bien amers pour le président sortant Laurent Gbagbo, qui risque de ne plus pouvoir payer fonctionnaires et militaires à très brève échéance.
À Abidjan, la question est sur toutes les lèvres :combien de temps Laurent Gbagbo pourra-t-il tenir? La décision, fin janvier, de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) d'interdire l'accès des agences ivoiriennes de la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) au président sortant lui a en effet porté un coup très rude.
Le gouvernement Gbagbo a alors répliqué en réquisitionnant les agences et leur personnel, une attitude aussitôt qualifiée de « braquage » par le camp d'Alassane Ouattara. À la suite de quoi la BCEAO a coupé son système électronique de « compensation interbancaire », qui permet aux banques de la place de travailler ensemble, ce qui a eu pour effet immédiat de désorganiser profondément le système bancaire ivoirien.
Pour tenter de faire reculer l'échéance, le camp Gbagbo a appelé les banques à recourir à la « compensation manuelle » à l'agence principale de la BCEAO à Abidjan, placée sous haute surveillance de ses forces de sécurité. « C'est le système d'il y a 15-20 ans, fastidieux et non sécurisé. Certaines banques refusent de le faire. D'ici une semaine, dix jours, tout risque de se bloquer », s'inquiète un banquier sous couvert d'anonymat.
Économie coupée de l'extérieur
Le gouvernement Gbagbo est « en train de déployer » un autre système pour le remplacer, assure son porte-parole, Ahoua Don Mello, qui ne veut parler que de simples problèmes « techniques ». Mais le malaise est réel. Pour le régime, l’enjeu est « d'alimenter le système en liquidités » alors qu'il y a « de moins en moins d’argent pour faire tourner l’économie », désormais largement coupée de l'extérieur, analyse une source proche du dossier. En clair, il y a un « risque que des banques ferment ».
La menace de paralysie du système bancaire s'ajoute aux difficultés liées au gel des avoirs par l'UE et les États-Unis de la plupart des cadres du camp Gbagbo et des entreprises ivoiriennes qu'ils contrôlent (ports, banques, pétrole...).
Conséquence de tous ces déboires : les caisses se vident. À preuve, la Côte d'Ivoire n'a pas honoré le paiement prévu fin janvier des 30 millions de dollars d'intérêts d'un emprunt à des créanciers privés. Le régime « préfère payer les fonctionnaires et les militaires », dont la fidélité lui est vitale.
Car chaque mois, Laurent Gbagbo doit trouver de 100 à 150 millions de dollars pour payer 104 000 fonctionnaires et 55 000 soldats, estime-t-on à l'ONU. En la matière, « on a au moins deux mois encore sans problème », affirme une source à la présidence Gbagbo. Peut-être moins... Et les États-Unis estiment désormais publiquement que l'armée ne suivra plus le président sortant, dès que les militaires ne seront plus payés.
Effet domino
Par un effet domino, tous les secteurs de l'économie de Côte d'ivoire, la plus puissante d'Afrique de l'Ouest sont aujourd'hui affectés par la crise. Fermeture d'entreprises, chômage technique, inflation, opérations d'import-export ralenties : « la situation socio-économique se dégrade drastiquement », selon la Confédération générale des entreprises de Côte d'Ivoire (CGECI).
Le cacao, dont la Côte d'Ivoire est premier producteur mondial, n'échappe pas au combat entre les deux rivaux. Le camp Ouattara en a ordonné l'arrêt des exportations jusqu'à fin février et des exportateurs majeurs semblent avoir obtempéré. Le président élu et reconnu par la communauté internationale a également demandé aux opérateurs de ne pas payer leurs impôts.
Par ailleurs, le carburant risque de manquer. Les difficultés d'approvisionnement de la Société ivoirienne de raffinage (SIR, sous sanctions européennes) peuvent « à brève échéance » entraîner une « pénurie en carburant et en gaz », selon une organisation professionnelle.
Au final, pour qui joue le temps sur le front économique ? Pas de réponse pour l'instant à cette question, même si la balance penche évidemment du côté Ouattara. Chaque camp veut en tout cas croire qu'il marque des points durant cette longue crise postélectorale. Si les salariés « ne peuvent pas être payés, est-ce qu’ils vont rester les bras croisés jusqu’à être affamés? Une émeute ne serait pas contre Gbagbo, mais contre Ouattara », prédit un membre de l'entourage du sortant. On pense bien sûr aux jeunes « patriotes » de Charles Blé Goudé et à ses miliciens... Qui ont effectué une démonstration de force samedi à Abidjan. Un tour de chauffe ? (Avec AFP)