En près d’une cinquantaine de publications (romans, essais, recueils de nouvelles), Roger Grenier n’a eu de cesse de collectionner ses impressions de lecture et d’écriture - et ses amitiés avec les plus grands auteurs du XXe siècle. Son dernier ouvrage , Le Palais des livres, propose neuf essais : neuf invitations à déambuler dans les allées d’une impressionnante bibliothèque mentale.
« Et si la littérature était un animal qu’on traîne à ses côtés nuit et jour, un animal familier et exigeant qui ne vous laisse jamais en paix […] ? » La métaphore que proposait l’écrivain dans Les Larmes d’Ulysse se trouve ici parfaitement illustrée. Ancien journaliste, directeur de collection chez Gallimard depuis cinquante ans, Roger Grenier a tout lu et beaucoup écrit. Disons, pour plagier Julien Gracq, qu’en lisant il écrivait, qu’en écrivant il lisait. Nombre de ses livres se font palimpsestes, depuis La Mare d’Auteuil, hantée, entre autres, par les figures d’Emma Bovary et de Frédéric Moreau, jusqu’aux Instantanés, captures littéraires émues des écrivains qu’il a connus, en passant par La Marche turque, où il laissait libre cours à ce qu’il appelait alors son « inspiration Tchekhov ». Ce Palais des livres fait plus que compléter la liste, il l’accomplit presque. Car les neuf textes qui le composent, déjà publiés dans des revues pour certains, sont autant de portes ouvertes sur les mécanismes de l’écriture.
« On n’en finirait pas de recenser ce que les écrivains doivent aux drames vécus » : on entre dans cette charmante demeure par la porte du fait divers, véritable « pays des poètes » selon l’auteur. On égrène ensuite avec lui les heures d’« attente » qui ont fait les grandes oeuvres et leurs auteurs. Mais le questionnement se fige devant « le droit de s’en aller », ou le suicide des écrivains en proie à la « tentation du silence ». La vie privée des auteurs, l’amour comme moteur de la création, le genre bref qu’il affectionne particulièrement, l’inachevé… Si Charles Dantzig se demandait il y a quelques mois Pourquoi lire ? (éd. Grasset), Roger Grenier approfondit la question « Pourquoi écrire ? » Et il y répond d’une manière oblique, prenant un grand plaisir à laisser fabuler sa plume, puisqu’il a toujours eu le don de raconter de belles histoires. Ces quelques textes valent pour autant de contes de la genèse des oeuvres et de l’existence de leurs créateurs. Regardez, ils sont tous là : ceux qu’il a connus (Camus, Pascal Pia, Romain Gary), ceux qu’il admire (Tchekhov, Dostoïevski, Flaubert), et bien d’autres. « C’est sûr, il a la maladie de la bougeotte », confiait l’écrivain au Magazine Littéraire en 1992. S’il parlait alors de Tchekhov, la remarque peut lui être retournée, tant sa phrase sautille d’un exemple à un autre, tant la fluidité le partage à la formule aiguisée, tant ce « palais » des livres fait claquer la langue littéraire. Personne sans doute ne dira mieux que l’auteur lui-même combien cet ouvrage « est une nouvelle preuve, si besoin était, que ce qu’il y a de plus privé, dans la vie privée d’un écrivain, c’est son rapport à l’écriture ».
Noémie Sudre
Source : http://www.magazine-litteraire.com/content/critique-non-fiction/article?id=18373