Le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt. Si Facebook et Twitter ont joué un rôle indéniable de vecteurs de ce printemps arabe avant l’heure qui ne finit pas de fasciner le vieil Occident, les éléments déclencheurs sont d’une facture plus classique. La mise en avant d’une aspiration légitime à plus de liberté, ne doit pas occulter le rôle central joué par la misère et la faim.
Avec pertinence, François Chérèque relevait dimanche sur Europe 1, que les dictateurs ou les régimes autoritaires peuvent faire ce qu’ils veulent, face a une population qui a faim, on ne peut pas résister. Une situation résumée dans le vieil adage “ventre affamé n’a point d’oreilles“.
De tout temps, le prix du pain a été l’élément déclencheur des grands bouleversements. Tous les dirigeants du monde le savent bien. Ce n’est pas un hasard si à la suite des événements survenus en Tunisie, de nombreux pays arabes (Maroc, Algérie…) ont aussitôt constitué des stocks importants en produits de première nécessité.
Parler d’émeutes de la faim n’est plus un tabou ou une prédiction d’illuminé. A l’occasion d’une conférence de presse commune début février à Rome, Jacques Diouf, directeur général de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et Bruno Le Maire, ministre français de l’Agriculture, ont mis en garde contre des risques d’émeutes de la faim.
Leurs propos s’appuient sur le nouveau pic historique atteint quelques jours auparavant par l’indice mensuel des prix alimentaires mondiaux. N’en déplaise à Nicolas Sarkozy, il faut voir dans les raisons de cette situation plus la main de dame nature que celle de spéculateurs avides.
Le plus inquiétant est sans doute que nous entrons dans une crise qui n’est plus conjoncturelle mais qui tend à devenir structurelle (augmentation de la population, des prix des produits pétroliers, diminution des rendements et des surfaces agricoles …). L’ONU tirait en octobre 2010 le signal d’alarme face à la disparition des terres cultivées dans le monde (l’équivalent chaque année de la superficie de l’Italie).
En début d’année dans un entretien accordé au journal Les Echos, Olivier de Schutter, le rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation des Nations unis ne cachait pas son inquiétude devant un contexte dans lequel 80 pays dans le monde sont en situation de déficit alimentaire mais aussi devant le fait que la progression la plus forte des prix des produits alimentaires est observée dans les pays émergents où le pouvoir d’achat a augmenté.
La Tunisie est l’Égypte sont à leur façon deux cas d’école. La première autrefois grenier à blé de l’Empire romain est devenue dépendante des importations massives des excédents agricoles européens ou nord-américains. La priorité donnée au tourisme s’est faite au détriment de son agriculture, doublement sacrifiée avec le développement de grandes surfaces qui se fournissent sur les marchés internationaux et non locaux.
L’Égypte est quant à elle contrainte depuis des années à consacrer jusqu’à 7% de son PIB pour adoucir le prix des produits de première nécessité allant même comme en 2008 jusqu’à faire distribuer du pain par l’armée.
L’envolée du prix des produits de base constitue un risque d’instabilité qui ne se limite pas aux pays directement touchés. L’air frais qui souffle sur le bassin méditerranéen pourrait, si l’on n’y prend garde, se transformer en tempête un peu partout sur la planète.
Du pain et la liberté réclamaient les émeutiers français de 1789. La faim rend les échines moins souples et contribue à rendre insupportables les injustices. La crise alimentaire s’ajoute aux crises économiques et environnementales. Pour le pire assurément, pour le meilleur en termes démocratiques peut être. L’avenir nous le dira.
Ce qui est sûr c’est que l’Europe s’est résignée à ne plus porter plus en dehors de ses frontières la lumière de la liberté. Tétanisée par une islamisation souvent fantasmée elle regarde en spectatrice impuissante et prostrée les tourbillons qui désarçonnent des régimes que l’on pensait forts et stables. L’Europe vieillissante a peur de la jeunesse chez elle ou ailleurs et s’inquiète de voir disparaître les repères d’un monde condamné à évoluer.
Soucieuse de changer son image, la gauche française s’est rendue en masse au 11e Forum social mondial (FSM), l’évènement altermondialiste par excellence, organisé dans la capitale du Sénégal du 6 au 11 février. L’objectif assigné de s’ouvrir au monde est louable. “Notre rôle, c’est d’être à l’écoute de ce qu’il se passe dans le monde et de comprendre la réalité des mouvements sociaux” déclare ainsi José Bové, ancien éleveur de brebis. L’une de ces réalités est la crise alimentaire mondiale. Il est temps de s’en apercevoir.
Illustration : Jacques Diouf Directeur Général de la FAO (Crédit photo MEDEF)