Comment un pays dans lequel les infrastructures font cruellement défaut peut-il se prévaloir d’une croissance soutenue atteignant aujourd’hui 9% ? Comment peut-on être optimiste sur l’avenir de l’Inde quand on voit le niveau de corruption, l’omniprésence d’une bureaucratie infernale et le poids des 450 millions d’indiens vivant au-dessous du seuil de pauvreté ? Alors que près de la moitié des indiens vivent avec moins de 3500 roupies par mois (50 euros), ne peut-on craindre un scénario à la tunisienne ? Voila quelques uns des paradoxes étonnants qui posent question.
L’Inde s’est réveillée au début des années 1990. Cela a commencé en 1991 avec les premières réformes économiques qui ont introduit une rupture avec les habitudes technocratiques de l’économie planifiée. A l’époque, il fallait obtenir une licence pour tout. Une entreprise qui se créait ou qui voulait se lancer dans une nouvelle activité devait solliciter une autorisation administrative. Cela a continué avec les réformes du secteur financier, les autorisations données aux capitaux étrangers pour s’investir en Inde. Puis est venu le temps des partenariats public-privé dans le secteur des services et des infrastructures. D’une manière générale, le secteur privé s’est développé en Inde et a pris le pas sur le secteur public. Par ailleurs, l’Inde est passée directement d’une économie majoritairement agricole à une économie maintenant dominée par les services.
L’Inde tire sa richesse de son très grand marché domestique. Ce marché domestique est d’autant plus important que la croissance des 20 dernières années a donné naissance à une classe moyenne importante (environ 300 millions) qui consomment davantage sans cesser d’épargner. Structurellement, l’endettement des ménages est faible et l’épargne conséquente.
Cette prépondérance du marché domestique a permis à l’Inde de bien résister aux chocs de l’économie mondiale et à la volatilité de la demande internationale. Hormis pour le pétrole, l’Inde n’est pas dépendante, dans ses importations comme dans ses exportations, de l’étranger.
Le système bancaire, très régulé et contrôlé, a très bien résisté aux crises récentes. Là encore, il n’est pas dépendant de l’étranger et ne s’est pas trouvé engagé dans des opérations à risque ; et sur son marché domestique, la régulation fait que l’Inde n’est pas dans une situation de bulles dans le crédit à la consommation ou le crédit immobilier. Autrement dit la croissance n’est pas artificiellement soutenue par un excès de crédit. Et surtout, cela donne des réserves de croissance considérables.
L’Inde est en train de tirer de son surpeuplement un avantage considérable. Et ce qui était perçu comme une menace il y a peu, apparaît davantage aujourd’hui comme un atout et cela est nommé à juste titre le dividende démographique. Tout d’abord, la croissance démographique ralentit. Mais surtout, les projections démographiques montrent qu’en 2040, l’âge médian en Inde sera de 35 ans contre 44 ans en Chine (aujourd’hui l’âge médian en Inde est de 26 ans contre 35 ans en Chine). L’Inde sera un des pays les plus jeunes de la planète et fabrique la main d’œuvre dont ses industries de service ont besoin, non seulement pour elle mais aussi pour le monde, puisque l’Inde devient un back-office pour un grand nombre de pays.
Et l’Inde tire aussi sa richesse de sa capacité de travail. C’est une donnée que les économies socialisantes européennes ont du mal à prendre en compte. Là où on a désacralisé le travail, ici le travail reste quelque chose de naturel qui fait partie de la vie. C’est du reste vrai pour l’ensemble de l’Asie.
Un autre élément à prendre en compte est l’influence croissante des dirigeants des grandes entreprises indiennes, grandes entreprises souvent d’origine et de structure familiale. Et contrairement à ce que l’on pourrait penser ces grandes entreprises se préoccupent de l’évolution de la société indienne et ont une réelle influence. Aujourd’hui, les élites économiques et une partie des élites politiques sont bien conscientes que des réformes sont nécessaires ; la réalité économique dicte sa loi et pour ne prendre qu’un seul exemple, les mauvais résultats enregistrés en matière d’investissement étranger (la Chine reçoit quatre fois plus d’investissement étranger que l’Inde) pointent du doigt la bureaucratie et la corruption décourageantes du pays.
Enfin, il n’y a pas de développement sans matière grise et en ce domaine nous ne pouvons que rappeler les aptitudes naturelles dont dispose le peuple indien pour les mathématiques et les sciences. C’est vrai en Inde mais aussi dans beaucoup de pays développés où un grand nombre de médecins ou d’ingénieurs sont d’origine indienne. Ce sujet a déjà été développé dans ce blog et nous nous contenterons de rappeler que le premier homme à avoir formulé la bonne définition du zéro (la soustraction d’un nombre par lui-même) fut Brahmagupta vers l’an 600 de notre ère, 600 ans avant que ce concept ne parvienne en Europe…
Alors quels sont les problèmes d’aujourd’hui, et qu’est-ce qui pourrait menacer cette croissance ?
A SUIVRE