Rien n'est plus vivifiant que de traverser les beaux villages de la Côte de Nuits sous un soleil hivernal éclatant, avec seulement quelques degrés au-dessus du zéro.
On va dire bonjour aux amis; on voit s'activer les ouvriers à la taille; on récupère des commandes (trop petites, hélas) passées l'an dernier, et on prévoit éventuellement un déjeuner léger dans une de ces maisons modestes qui longent les ruelles ici et là.
Bon : vous avez compris : on est d'excellente humeur et on chantonne quelques airs de Traviata ou Stiffelio. On garde Tosca pour les soirées romaines.
La première rencontre
Dans la cour ultra-neuve du Domaine de la Romanée-Conti où ces dames qui tiennent la maison ont enfin de nouveaux locaux, particulièrement lumineux et venant certainement de la main d'un architecte qui a tout compris, on tombe sur le grand Noblet avec Michel Bettane et un de ses contacts de Hong-Kong, un garçon bien sympathique qui est convaincu que la Bourgogne ne s'apprend et se comprend qu'en arpatant sans cesse et en toutes saisons ces quelques kilomètres carrés que le monde entier nous envie.
Gageons que cette belle statue à l'intérieur de la DRC sera l'objet de beaucoup d'objectifs photos !
Immédiatement, nous décidons d'un déjeuner en commun, chacun vaquant ensuite à ses propres occupations matutinales. L'endroit du jour, la fille de Monsieur Chevalier qui tient cuisine à Ladoix est vite choisi. L'infortune du jour, (pourquoi les clochers ne sonnent plus les 12 coups de midi ?) est que la maison est fermée et in petto, le choix se porte sur l'Auberge de la Miotte de notre ami commun Dominique Rézette (03.80.26.40.75). Ouf, il est ouvert !
La deuxième rencontre
Dominique Rézette, connu comme le loup blanc de tous les professionnels de la Bourgogne, est la discrétion même. Le véritable passe-muraille, l'homme de l'ombre, mais l'homme qui connaît le mieux la Bourgogne, cette constatation venant de la bouche même de Michel Bettane dont nous savons tous ici qu'il doit être le seul à pouvoir donner les petits noms de tous les chiens importants en charge des meilleurs domaines.
Vous l'avez compris : j'avais là la chance assez dingue d'avoir ces deux garçons à table, en pleine forme, prêts à en découdre, à nous apprendre les essentiels, à confronter leurs propres opinions et à montrer très naturellement où vont leurs références et leurs passions hédonistes.
Ce furent deux heures remarquables. Figurez vous que l'un ne jure que par les vins "matures", ceux qui ont au moins 10 ans de cave sinon plus, alors que l'autre, probablement une déformation professionnelle, n'illumine son oeil que sur les belles jeunesse pétillantes, les vins "tendus", les fraîcheurs des mises récentes et ces vins que plus d'un (plus d'une) producteur (productrice) décrivent comme des " cailloux à sucer". Là où les chinois ont leur année du lapin, du rat, du cochon et autres animaux sympathiques, les bourguignonnnes ont aussi leur thème de l'année. C'est clair : 2011 sera l'année des "cailloux à sucer". Bon, ça ne touche que les blancs, mais cela en dit long sur la tendance du moment.
Comme Michel avait également fait venir Monsieur Chevalier (Ladoix-Sérigny), j'ai rencontré là un vigneron dont je dois vite aller déguster le premier cru "Bois de Grêchons". Un personnage sympa qui a de hautes fonctions dans la région.
La pratique est là : voilà les deux blancs illustrant cette discussion :
Quels beaux contrastes entre ces deux crus !
Dieu sait que les Rougeots comme les anciens "Casse-Tête" de Jean-François Coche Dury ont été mes favoris pendant des années ! Mais là, j'étais proche de la stupéfaction, tant, sur ce millésime, le vin montrait avant tout une nervosité assez dingue ! Ça crapahutait violent au palais, peut-être pas à la Bonatti, mais au moins à l'Escoffier, sûr !
Par contre, je suis tombé immédiatement amoureux du Bouchères de Roulot qui nous offrait une onctuosité magnifique, délicatement beurrée, un vrai névé de fraîche après le solide granit du Coche. J'ai adoré ce vin : tout y était plus que beau.
A eux deux, qu'attendent-ils pour écrire enfin la véritable histoire de la Bourgogne moderne ? Mr Chevalier, à droite.
Mon bourguignon avec des pommes soufflées comme au Laurent
Pour le rouge qui devait accompagner le charolais des uns et le bourguignon de bibi, Michel nous a offert un Echezeaux 1991 de la Romanée-Conti… qui me laisse encore sans voix, tant on était immédiatement dans le superlatif. Nous ne sommes qu'en début d'année, mais clairement, je vois mal comment ce cru, dans ce millésime, pourra être battu par d'autres vins que je vais pouvoir déguster cette année.
C'était une bouteille splendide. Vous êtes en contact immédiat avec la beauté pure du grand vin, là où tout vous est offert, manants que nous sommes, sans même qu'un effort nous soit demandé. La grâce personnifiée. Le vin vous enveloppe la bouche comme dieu pas permis, et Dominique Rézette a eu de l'émotion dans sa voix.
Les pisse-vinaigre vont dire que j'en fais des tonnes : m'en fout ! S'il est vrai que les circonstances jouent certainement un rôle non négligeable dans les dégustations, s'il est vrai qu'en belle convivialité et devant une belle cuisine, cela aide au schmilblick, quand un cru est de ce niveau, il impose le silence.
Ah, mes amis, quel beau vin ! Une émotion niveau 3, et immédiate en plus !
Ce fut le cas.
Les autres news
aïe, aïe, aïe : on n'entend que des vignerons qui apprennent à dire "non" dans toutes les langues, tant les commandes arrivent de partout ! Monsieur Frédéric Mugnier me calme sur mes desideratas, Arnaud Mortet sourit discrètement, Romain Taupenot tousse, et chez Faiveley, c'est tout juste si on ne met pas en vacances le personnel chargé des ventes à l'export ! Eric Rousseau est déjà parti pour la Paulée de NYC, mais papy Charles me regarde avec une belle sollicitude : ouf ! un oeil d'espoir !
Vais-je devoir faire appel à mes amis siciliens grand manteaux ? Va savoir, Charles ! ...