Six mois après la conférence de Paris, la crise au Darfour perdure

Publié le 24 janvier 2008 par Willy
Après 5 ans de conflit, 20 résolutions de l’ONU, 2,5 millions de déplacés, 250 000 réfugiés au Tchad et 200 000 morts, la crise du Darfour s’installe dans la durée. Selon l’émissaire de l’ONU, M.Eliasson, «l’escalade militaire se poursuit sur le terrain au Darfour et à l’extérieur du Darfour, ainsi que hors du Soudan. Nous avons des confrontations et nous avons une situation humanitaire très très fragile». L’impasse est diplomatique, politique et militaire. Depuis le début de la crise du Darfour, la junte soudanaise est passée maîtresse dans l’art d’éviter les sanctions, ce qui lui a permis de continuer de soutenir les exactions en toute impunité. Les 14 000 humanitaires présents ne peuvent, quant à eux, que tenter de panser au mieux les plaies de cette tragédie.

Certains camps sont devenus de véritables villes. De l’avis de tous, les conditions de vie dans de nombreux camps et zones rurales se sont détériorées, l’aide humanitaire a en particulier beaucoup de mal à atteindre le Sud Darfour. Le seuil critique de la malnutrition est lui aussi de retour.
Les combats sont, certes, moins intenses qu’en 2003-2004, mais la situation demeure complexe. 10 000 rebelles aux groupes fragmentés et 20 000 miliciens Janjawids se font face, tandis que la force de l’Union africaine demeure cantonnée avec ses 7 000 soldats à un rôle d’observateur. Un habitant sur trois a quitté sa terre et un retour apparaît compromis. Et chaque jour, 75 enfants meurent au Darfour.

Certaines des victimes appartiennent désormais également à des tribus arabisées ayant simplement refusé de participer aux exactions à l’encontre des tribus sédentarisées. « Selon les sources des Nations unies, entre le 20 juin et la mi-novembre 2007 au moins quinze attaques aériennes et terrestres ont visé des centres civils dans les trois Etats du Darfour ».

Six mois après la conférence de Paris du 25 juin 2007 et la création du groupe de contact élargi, cette première initiative diplomatique sérieuse (les conférences organisées en Libye sont vouées à l’échec) a été marquée par la mobilisation d‘un front uni de la communauté internationale (la conférence intégrait des puissances comme les Etats-Unis et la Chine) pour faire pression sur les belligérants.

Cette conférence a été menée tambour battant par le ministre des Affaires étrangères français, Bernard Kouchner. À cette réunion et de manière multilatérale fut confirmée la décision d’envoyer une force militaire mixte ONU-Union africaine d’interposition, afin de protéger les populations civiles du Darfour.

Constatons, à ce jour, qu’il n’y a toujours pas de force d’interposition dissuasive. L’Union africaine n’a toujours pas trouvé un accord entre les nations africaines participantes pour la formation et l’envoi d’un tel contingent. La seule force militaire parvenue au Darfour est un contingent du Génie chinois...

Constatons toujours, que sur un plan diplomatique un certain art du statu quo prudent est observé à propos de la question du Darfour. Entre l’inaction et l’intervention militaire, il existe un grand de nombre de mesures potentiellement efficaces, or celles-ci sont évoquées sans mise en application ; pourtant une « diplomatie musclée » serait sans aucun doute la stratégie de sortie de guerre la plus efficace.

Les déclarations se succèdent, les sonnettes d’alarme sont tirées, mais le prochain sommet UE-Afrique de Lisbonne n’évoquera pas la crise du Darfour. Le déploiement de cette force mixte est une nouvelle fois reporté sine die.

A l’Est du Tchad aussi le déploiement de l’Eufor est reporté ; pire, une tribu nomade vient de déclarer la guerre à l’armée française et par-là même à toute force d’interposition. Il s’agit peut-être là d’un micro-engrenage, mais la multiplication des incidents aura inévitablement pour effet de retarder le déploiement d’une force militaire.

Pourtant, personne n’ignore que l’Union européenne est le premier contributeur à l’aide humanitaire et au financement de la force de l’Union africaine. La jeune Union africaine inefficace jusqu’ici ne pourra pas seule relever le défi de la restauration de la paix.

Il est temps de fournir les moyens nécessaires à cette opération, d’obtenir des hélicoptères, de mettre en œuvre une zone d’exclusion aérienne sur le Darfour et d’instaurer des sanctions économiques à l’encontre du régime de Khartoum. A défaut, le « Munich tropical » sera au rendez-vous de l’Histoire.
Incontestablement, la conférence de Paris a représenté « une avancée diplomatique », elle pourra être analysée comme une réussite si elle s’accompagne de nouveaux efforts en ce sens et surtout d’une nouvelle conférence réunissant les belligérants en pays neutre.

Aujourd’hui, il y a urgence humanitaire, ainsi qu’urgence géopolitique, car c’est bien l’ensemble de la Corne de l’Afrique qui pourrait s’embraser en l’absence de solutions diplomatiques. En ce sens, les tensions perceptibles à nouveau entre le Sud Soudan et le Nord risque bien de rallumer les braises de la guerre.

Paradoxalement, c’est ici et maintenant que les « minimalistes de l’ignominie » refont surface. Ils sont plus experts que la mission Williams ! Ils affirment le caractère non génocidaire des crimes commis au Darfour en feignant d‘oublier qu’aux termes de la Convention de 1948 sur la répression des crimes de génocide est constitutif de génocide du simple fait d’« infliger délibérément à un groupe des conditions de vie calculées pour amener sa destruction en totalité ou en partie ». Eh oui, en droit : génocide ne signifie pas forcément Auschwitz.

Veine querelle de mots ? Pseudo-débat intellectuel oubliant toute référence au droit international. Politiquement correct quand tu nous tiens...
Pour Jimmy Carter, « la situation au Darfour est l’une des pires situations de violations des droits de l’homme ». Pour Sauver Le Darfour, il est plus que temps d’œuvrer à la solution politique du conflit. Nos pays démocratiques ont des arguments de poids pour mettre en place un agenda de sortie de crise et de continuer l’impulsion diplomatique donnée par la conférence de Paris.

Le régime de Khartoum est arrivé au pouvoir par un coup d’Etat [en 1989], c’est un régime illégitime qui n’a d’ailleurs jamais tenu sa parole lorsqu’il s’est engagé dans des négociations. La communauté internationale devra organiser d’autres conférences, avec les belligérants par exemple, afin de trouver des solutions pour le Darfour. La solution diplomatique est la plus efficace pour un conflit comme celui-ci. Rappelez-vous que, en 2004 à Haïti, c’est une conférence internationale qui avait permis de débarrasser les Haïtiens du pouvoir en place ».

Par Jérôme L. J. di Costanzo,
correspondant de « Sauver Le Darfour » à Londres

  Par Jérôme L.J di Costanzo (son site) - http://agoravox.fr/