Face au tapage médiatique autour de la place At-Tahrir au centre du Caire, je me dis que nous avons la mémoire bien courte.
Telle qu’est présentée la situation, on a l’impression que les égyptiens et les égyptiennes sont été pris soudainement d’une fièvre révolutionnaire contagieuse que leur ont communiquée, comme par miracle, les tunisiens, eux même tout aussi soudainement contaminés par un virus révolutionnaire !
Fixer la naissance de la révolution égyptienne au 25 janvier 2011 et l’imputer au ras-le-bol du peuple égyptien vis-à-vis du pouvoir du président Moubarak, revient à nier le combat de ce peuple contre la tyrannie qui l’écrase depuis des décennies et surtout contre la honte qui le hante depuis la défaite de Juin 1967.
Ni la fausse victoire d’Octobre 1973, ni la politique de « infita7» n’ont éteint la double douleur née de cette double calamité.
Les « frères musulmans », au prix de la liberté et de la vie de leurs militants, ont essayé de canaliser et parfois d’exploiter la colère et surtout les espoirs des égyptiens !
Ils n’y sont pas parvenus hier, pas plus qu’ils n’y parviendront demain, parce qu’ils n’ont rien d’autre à proposer que de remplacer une tyrannie personnelle, visible et ciblée, par une autre tyrannie plus subtile mais bien plus pernicieuse.
Pourtant, le peuple égyptien, ce peuple qu’on ne voit pas sur la place At-Tahrir – ce peuple de 80 millions d’âmes, que les médias ignorent superbement – a toujours exprimé à sa manière son refus de la tyrannie et son rejet de la honte infligée par le comportement de ses dirigeants.
Et ce depuis bien longtemps …Bien avant que Internet n’existe, avec ses blogs, son FaceBook ou son Twitter, !
Depuis qu’existent les simples cassettes audio circulant sous le manteau – sous la 3abaya plutôt – les égyptiens d’en bas, ceux des quartiers pauvres, ceux des villages que les crues du Nil ou la sécheresse menacent périodiquement, ceux qui attendent l’arrivée de cars de touristes pour pouvoir nourrir leur famille, ont exprimé à leur manière leur refus de se soumettre !
Et le meilleur exemple de ce refus est personnifié par le tandem formé par le poète AHMED FOUAD NAJM et CHEKH IMAM, l’emblématique chanteur-compositeur aveugle, tous les deux persécutés et emprisonnés déjà sous les régimes de Jamal Abdel Nasser et d’Anouar Sadate.
Leurs chansons ont constitué l’une des premières manifestations contre la tyrannie des régimes en place et contre la condition du peuple égyptien.
Il est bon de se remémorer quelques unes de ces chansons qui ont traversé le monde arabe pour arriver jusqu’aux rives de l’Atlantique, à une période où la censure y sévissait de la manière la plus drastique.
Rappelons-nous de cette chanson dans laquelle il demandait à l’Egypte de se relever.
Rappelons-nous encore cette évocation, pleine d’émotion, des « ibni noukta », patients comme Job, que sont les enfants de l’Egypte éternelle.
Rappelons-nous aussi ce chant révolutionnaire qui était repris dans les meetings de nos socialistes dans les années de plomb.
Rappelons-nous que les présidents américains ont toujours été pointés du doigt par le peuple égyptien, comme le fut « Nixon Baba».
Laissons Cheikh Imam nous rappeler l’importance du « verbe » dans notre civilisation arabe.
Cela ne l’a pas empêché de chanter la gloire du « peuple arabe » et ses combats.
Rappelons-nous la terrible description qu’il avait fait de la société égyptienne, des disparités entre les riches et les puissants d’une part et le peuple de l’autre.
Rappelons-nous enfin cette chanson qui revient encore une fois sur l’importance des « mots » qui reste la seule arme des opprimés :
« Quand le soleil se noie dans une mer de brume,
Quand une vague de nuit déferle sur le monde,
Quand la vue s’est éteinte dans les yeux et les cœurs,
Quand ton chemin se perd comme dans un labyrinthe,
Toi qui erres et qui cherches et qui comprends,
Tu n’as plus d’autre guide que les yeux des mots. »
P.S. : Espérons que les événements actuels en Égypte soient en quelque sorte la réalisation du rêve de Cheikh Imam et de son ami Ahmed Fouad Najm.