Une Ť mutinerie ť de jeunes passagers lourde de sens.
Voici que s’invite dans l’actualité Lanzarote, une île de l’archipel des Canaries, paisible destination touristique promue ŕ une notoriété qu’elle aurait préféré éviter. D’autant que ce sont de jeunes passagers de Ryanair, étudiants belges de leur état, qui sont ŕ l’origine d’une bien curieuse affaire.
Le vol Lanzarote-Charleroi était sur le point dé décoller quand un intolérable désordre s’est installé dans la cabine. De jeunes Ťperturbateursť refusaient d’obtempérer aux instructions du personnel de bord, une grande nervosité étant née du paiement de l’incontournable supplément bagages, source de discorde devenue incontrôlable. Le commandant de bord a alors demandé aux contrôleurs d’appeler la police, refusant ŕ juste titre de prendre le moindre risque. Finalement, le 737 a pris son envol avec 3 heures de retard, abandonnant ŕ leur sort la centaine de Belges indisciplinés. Plus tard, les 66 autres passagers ont reçu les excuses de Ryanair, constatant ainsi qu’une compagnie peut ętre tout ŕ la fois low cost et bien élevée. Ce que nous étions nombreux ŕ ignorer.
A premičre vue, cet incident sans grandes conséquences ne mériterait pas qu’on en parle. Pourtant, il est plein d’enseignements, et cela bien qu’il soit toujours risqué de tirer des conclusions générales d’un problčme particulier. Qui plus est, les commentaires ont été nombreux –et contradictoires- aussitôt arrivée la premičre dépęche d’agence relatant l’affaire. Il y avait lŕ, en effet, un symbole, une illustration de ce qu’est devenu le transport aérien.
Le nombre de voyageurs indisciplinés, de passagers de mauvaise humeur et de mauvaise foi, jeunes ou vieux, ne varie sans doute pas au fil des années. En revanche, s’ils sont proportionnellement trčs rares, ladite rareté commence ŕ poser problčme ŕ partir du moment oů les compagnies aériennes transportent deux milliards et demi de passagers par an. Et ce n’est qu’un début ! Par ailleurs, la formule du low cost, qui constitue a priori une belle avancée commerciale et sociale, induit des difficultés nouvelles. Elle implique une nouvelle maničre de considérer la démocratisation des voies aériennes en męme temps qu’elle est ŕ l’origine d’innovations tout simplement impensables il y a 20 ou 30 ans.
On finit par perdre tout recul au point de ne pas s’étonner le moins du monde qu’un avion ŕ 180 places immatriculé en Irlande assure des vols réguliers entre Charleroi (ville miničre belge pour le moins tristounette rebaptisée pour l’occasion Bruxelles-Charleroi, une vilaine tromperie ryanesque) et Lanzarote, dont personne n’avait entendu précédemment. L’autre innovation est évidemment tarifaire, un étudiant belge pouvant effectuer le voyage pour le prix d’un repas trčs quelconque dans un Resto U carolorégien.
Le personnel navigant commercial de Ryanair, ce jour-lŕ, s’est probablement pris ŕ ręver d’une autre époque, celle d’une aviation commerciale élitiste desservant des destinations qui l’étaient tout autant, et acheminant des voyageurs pétris de distinction et de bonnes maničres. Une denrée probablement trčs rare sur Lanzarote-Charleroi. Reste ŕ savoir s’il faut en rire ou en pleurer.
Oui, cette nouvelle génération prend l’avion en groupe, ŕ peine sortie du lycée, va bronzer idiot aux Canaries, découvre qu’il faut payer un supplément pour embarquer avec soi la moindre petite valise en plastique vert pomme. Le tout en anglais-irlandais dans le texte. Qui plus est, Ryanair n’est pas une PME provinciale mais une énorme machine ŕ enrichir ses heureux propriétaires : 250 avions, 160 destinations, 72,7 millions de passagers au fil de ces 12 derniers mois.
Peut-ętre le conseil municipal de Lanzarote élčvera-t-il une statue célébrant les passagers aériens méritants, ceux qui assurent la prospérité de l’économie locale. Ce monument symbolisera tout ŕ la fois la réussite de l’aviation moderne, la chute vertigineuse des tarifs, les incommensurables mérites des compagnies low cost et les effets pervers de cette profonde mutation. S’y ajoutera, sait-on jamais, un projet de jumelage de Lanzarote et Charleroi, enfin en mesure de se forger un destin commun, au moindre coűt.
Pierre Sparaco - AeroMorning