08 février 2011
Pointillés dans l'arc antillais
Enfin! Nous naviguons sur un Galapiat blanc dessus comme dessous. C'est très esthetique avec cet alizé permanent que nous goutons au près serré en remontant l'arc antillais. Voiles au profil encore tout à fait satisfaisant, carène impeccable, nous tenons un bel angle au vent et affolons le speedo.
J'ai eu du mal à faire mon deuil d'un parcours îles vénézueliennes, Colombie, San Blas et Amérique centrale, mais j'ai rendez-vous avec les enfants dans moins de 3 semaines et les rapatrie à bord pour un mois. Le plus simple à tout point de vue reste les Antilles Françaises. J'ai arbitré au plus simple: remonter tranquillement l'arc antillais jusqu'en Guadeloupe. Programme peu ambitieux donc: courtes navigations rapides d'île en île. Inconvénient: C'est sur ce court tronçon que se massent 99% des plaisanciers auxquels s'ajoutent les flotilles de location. On les reconnaît facilement ces catas trapus qui tiennent plus de la bétaillère ou du ponton flottant que du voilier: toujours au moteur, voiles dans le sac, même dans un belle brise portante sur mer plate.
Nombreux à chaque mouillage donc, trop à mon goût. La pose de la pioche tient presque d'un créneau de bagnole à Paris. Du monde mais pas nécessairement beaucoup d'ambiance pour autant. Les yachties restent à bord. C'est calme sur le plan d'eau comme à terre. Une atmosphère résidence de retraite en bord de mer plane sur chaque mouillage des îles Grenadines. Union, Mayreau, Bequia se ressemblent: un ou deux mouillages bondés, un bled peu animé qui fait la sieste le jour et se couche tôt la nuit, un dieu unique, Bob Marley, et le même niveau d'inoccupation local. Sur l'eau, les locaux passent en hors bord vendre des langoustes, des poissons ou des fruits dont les prix vertigineux nous font préférer les conserves du bord. A terre, ils proposent un tour de l'île en taxi, des breloques peu inspirées, ou de l'herbe. C'est finalement assez simple, pas désagréable mais pas ultra stimulant non plus.
Bernard et moi nous laissons gagner par une molle léthargie. On ne s'éternise jamais plus de 48h à chaque escale. Unrapide tour à terre, glander, lire sur le canot, un coup de snorkeling parfois. De ces îles Grenadines, c'est finalement encore Carriacou la plus agréable car à l'écart. Les fameux Tobago Cayes, 4 îlots déserts entouré d'un reef, méritent aussi une arrêt pour leur eau claire et l'inhabituel mouillage devant l'Atlantique et les brisant. Nous croisons le Cata d'Avril, où se balladent pendant un an ses copros et passons une agréable soirée chez eux.
Naviguer est en définitive ce qu'il y a de plus passionnant aux Grenadines. Bonne brise, au près, sous le vent des îles, mer peu agitée, ça pousse toujours fort. En route vers Bequia, notre rattrapons, Idei, notre camarade japonais de Grenade, pour un petit shooting de nos canots respectifs en action.
St Vincent, terminus des Grenadine, est nettement plus intéressante, à commencer par l'inhabituel mouillage de Walliabou, encaissé et entouré de cathédrales végétales. A terre subsistent des décors plus vrais que nature du tournage de « Pirate des Caraïbes ». Moins de monde aussi car l'ile à la réputation d'être un peu plus « wild » que ses voisines. Il est vrai que les premiers contacts avec les boatmen qui vous interceptent un mille avant le mouillage pour « vous aider » à tirer une ligne à terre contre dollars EC énervent d'abord un peu. Mais ensuite, à terre, les échanges sont plus vivants qu'ailleurs. Le soir, la mama du restaurant évoque avec émotion le tournage du film et le si sympathique Johnny Deep. Le lendemain, « Lorry Bongo » nous invite gracieusement dans la benne de son camion pour nous emmener au départ de l'ascension de La Souffrière. Là-bas, les ganjamen qui se rendent en forêt pour s'occuper des plantations de Majiruana à flanc de Volcan, nous guident gentiement, plaisantent, et répondent de bonne grâce aux questions directes et curieuses concernant l'économie du Cannabis des 4 excellents écossais que nous rencontrons ce jour là.
St Vincent est le centre régional de la culture d'herbe. Sa production alimente l'ensemble des Petites Antilles et au delà. Dans son interventions à la radio de la veille, Le ministre de l'agriculture dissuade bien les jeunes de « se rendre en forêt » en précisant que « la culture de la banane est moins dangereuse ». Le coma économique de l'île n'offre pourtant guère d'autre moyen de substistance correct aux familles. Les autorités ferment les yeux. Tout cela semble très tranquille mais parfois, lorsque la récolte approche, les ganjamen doivent faire face à un raid des bandits de la Barbade ou d'autres îles environnantes, qui préfèrent voler la dope que de la payer.
Véhiculés sur les routes étroites, vertigineuses et escarpées, ou en se rapprochant de la lèvre du volcan après quelques heures de marche, l'île accidentée offre des perspectives spectaculaires. Nous avons de la chance car le sommet de la Souffrière est dégagé. Pour le première fois depuis plusieurs jours, pas un seul grain n'est venu nous tremper. Cette année est en effet anormalement perturbée et violente: Cyclone tardif fin octobre centré sur Ste Lucie, des grains presque tous les jours et parfois si serrés qu 'au mouillage précédent à Bequia, nous avons passé une journée entière, terrés dans le bateau, sous des seaux d'eau et des rafales à 40 noeuds.
Nous quittons St Vincent le 28/01 au fin de journée pour la Martinique. 80 petits milles et une première navigation de nuit depuis notre remontée du Brésil nous en séparent. Nous mouillons à Fort de France tôt après une belle cavalcade nocturne. Plaisant de parler Français dans la rue. A part la courte escale guyanaise et deux passages à Paris en Août, ce ne m'était plus arrivé depuis le Sénégal. Agenda typique bateau en quelques heures: clearance, shipchandler, courses. On trouve tout rapidement à Fort de France. Réputation oblige, nous nous attendions à des rapports semi-désagréables avec les locaux mais ceux que nous rencontrons sont adorables. Cette serveuse à la beauté renversante est en plus gentille et attentionnée; cette dame volubile nous indique le chemin, nous questionne et se désole d'une si courte escale car elle avait des clients qui auraient aimé faire des ballades en mer. Je n'aurais pas été opposé à une brève période d'amélioration des finances en balladant des loutes topless sur le pont désormais rutilant mais l'agenda est serré, tant pis.
A 15 milles au nord-ouest de la Martinique, nous mouillons à St-Pierre le lendemain. St Pierre comptait 30 000 habitants en 1902, soit 6 fois plus qu'aujourd'hui. Elle rayonnait commercialement et culturellement sur l'ensemble des Antilles avant d'être rasée de la carte par la montagne Pelée. A l'exception d'un miraculé, l'ensemble de la population fut anéantie en quelques minutes par le souffle de l'explosion et ses gaz toxiques. Des bombes volcaniques ainsi qu'un ras de marée terminèrent le boulot. Dans l'intéressant petit musée, la grosse cloche de bronze de l'église déformée sous l'effet de la chaleur tel un vulgaire gobelet en plastique sous la flamme d'un briquet attestent de la violence du cataclysme. Les photos avant/après de St Pierre sont saisissantes. L'energie dégagée aurait été équivallente à celle d'une bombe atomique. Etonnante nature quand elle s'y met, insignifiante vanité humaine : malgré les signes avant coureurs -villages proches et usine sucrière voisine détruits les jours précédents- les notables n'avaient pas voulu évacuer la ville car ce jour là se tenait le deuxième tour des élections législatives.....
Aujourd'hui, St-Pierre est un joli village endormi de 5000 habitants qui rappelle un peu Cassis. On s'y plait. Retour à des habitudes françaises: baguette, rosette, express. Epargnée des boutiques à touristes, on flane dans ses ruelles, visite le musée et les ruines. Une plongée sur l'épave de l'Amélie, sistership du Belem coulé avec une vingtaine d'autres navires ce jour là achève notre session culturelle. Après plus d'un siècle dans 15 mètres d'eau, il ne reste plus grand chose de la carcasse.
Nous quittons St Pierre la nuit du 2/02 pour rejoindre les Saintes à 70 milles au nord. Nous n'y arrivons qu'en fin de matinée après un trajet lent car pour moitié déventé par la Dominique. Belles îles que les Saintes mais beaucoup de monde toujours. Quant au Bourg des Saintes, nul doute qu'il devait être plein de charme dans le passé. Il l'est encore le matin tôt, quand on grimpe vers le Fort Napoleon avant que les ferries arrivent. Ensuite, le vrombissement des scooters de location qui pullulent, l'enchainement restaus, boutique de souvenir, boutique de fringue, atelier «d'artiste » et rebelote dans un ordre différent, rappellent la côte d'azur en plein été. Les fameuses traditions saintoises: pêche, construction nautique, semblent désormais releguées au musée du fort. Le soir, le Coconut café est noir de monde à 19h, le ti-punch est bon marché mais une overdose de Franky Vincent et de Compagnie créole nous en éloignent rapidement. A l'usage, il semble que l'endroit soit apprécié et constitue une bonne base avec les enfants. C'est l'avis de cette famille croisée en Décembre à Carriacou à qui je demande conseil. Ils y stationnent depuis un mois.
Point à Pitre le lendemain. Idéal pour réparer car ces 300 petits milles en deux semaines ont été riches en petites avaries ou usures arrivées à terme: batterie moteur HS, génois déchiré, barbotin du guindeau usé, crochet de suspension de l'annexe cassé, verrin de pilote de rechange à trouver. Bernard part en effet à Dubai pour deux mois le 11 février et ne me rejoindra que mi-avril à Cuba. Un mois avec les enfants ne me laissera guère le loisir de m'occuper du bateau et il faut qu'il soit en ordre de marche pour ces prochains 1000 milles solo vers Santiago de Cuba, après le retour des enfants en France, vers mi-mars.
Arrivé à Orly ce matin, je vais chercher les enfants à l'école à 16h30 et nous redécollons demain à 15h.