Il y a quelques jours notre attention a été attirée par un jeune créateur Lillois, distingué par un univers unique où la mécanique devient une matière précieuse. Cela n’a pas manqué d’éveiller notre curiosité, l’occasion idéale d’une rencontre afin d’en savoir plus sur cet univers si particulier et son maître d’œuvre.
Quentin Carnaille accepte de nous recevoir dans sa boutique au cœur du quartier des modes à Lille, nous y découvrons un lieu sobre, modeste mais luxueux par les créations qui composent l’espace, le maître des lieux est chaleureux,accueillant il nous offre son temps avec sympathie. Entrevue avec un créateur de mode, peut-être pas seulement…mais assurément un artiste.
La Tendance : Bonjour Quentin, tout d’abord peux-tu nous présenter ton parcours ?
Quentin Carnaille : Bonjour, pour commencer j’ai fait un bac scientifique classique et ensuite je me suis orienté vers des études de pharmacie qui ne m’ont pas plu du tout. Finalement je suis parti dans une école d’art, Saint Luc à Tournai, où j’ai fait une formation d’architecte. Cette formation m’a passionnée, cela a changé ma vie et ouvert à tout ce qui gravite autour de l’art.
A partir de la 3ème année d’école d’architecture, j’ai ressenti une certaine lassitude car on s’approchait plus du métier que de la découverte de l’art. En quelque sorte, cela devenait de plus en plus concret. En conséquence, j’étais de moins en moins en cours et je passais plus de temps à mettre la main à la pâte, fabriquer du mobilier, bricoler etc…
Un jour, sur une braderie, je suis tombé sur un mécanisme de montre. J’ai trouvé ça sympa et comme mon père faisait des placements financiers en parallèle dans le milieu de l’horlogerie, je lui ai bricolé une paire de boutons de manchette avec ces fameux mécanismes.
Bague Quentin Carnaille
Le jour de noël, je lui offre les boutons de manchettes qu’il apprécie immédiatement. Deux mois plus tard, mon père se déplace au Louvre des antiquaires à Paris et un vendeur flashe sur les boutons de manchette. A son retour, mon père me dit « tiens il y a un vendeur qui a bien aimé tes boutons de manchette et il souhaite les mettre en vente dans sa vitrine ».
A partir de là, je fabrique quatre paires, je les envoie à Paris, et j’apprends que la boutique en vend une paire par semaine.
Depuis j’ai terminé mes études et cela fait bientôt 2 ans que je me suis mis à créer à plein temps de nouvelles pièces.
L.T. : Pourquoi cet intérêt pour l’horlogerie ?
Q.C. : A vrai dire, c’est plus ou moins un hasard. Ce jour où j’ai offert le cadeau de noël à mon père, j’ai fait une lampe Bob Dylan et une lampe avec des circuits imprimés pour mes frères. Cela aurait pu être autre chose, mais c’est surtout le prétexte pour ne pas faire architecte et me retrouver derrière un ordinateur.
L’idée est de révéler une beauté cachée, une forme de pureté. Très clairement, une montre n’a pas été pensée pour être beau. La montre a été inventée uniquement pour donner l’heure, c’est donc une réponse technique et de là née une esthétique pure. Par exemple sur certains mécanismes, il y a des rubis incrustés. On pourrait se dire « c’est une bonne idée d’avoir mis des rubis, ça fait beau… » En réalité c’est en aucun cas là pour faire beau, c’est juste que le rubis a une résistance supérieure à l’acier et donc l’axe de chaque roue est coincé systématiquement entre deux rubis. Comme le rubis est plus dur que l’acier, cela permet au mécanisme de la montre d’être valide pendant de nombreuses années.
L.T. : Tu fabriques aussi du mobilier, le mets-tu en vente ?
Q.C. : Non, je n’ai vendu qu’un seul meuble car cela me prend trop de temps et coûte trop cher, aussi bien pour la création que pour la vente. Je préfère donc les garder pour l’instant.
L.T. : Comment sélectionnes-tu ta matière première ?
Q.C. : Au fur et à mesure… mais c’est assez complexe ! J’achète mes mécanismes essentiellement à Paris, en chinant. Ca peut être un particulier, un ancien horloger qui ferme sa boutique etc…
Il m’est arrivé de faire des gros coups, j’ai déjà négocié milles mécanismes de montres d’un seul coup et à ce jour, je dois en avoir trois milles en stock.
Dès que je gagne un peu d’argent, j’achète de nouveaux mécanismes.
L.T. : Tu peux aussi avoir de bonnes surprises car une montre peut être peu esthétique à l’extérieur et joliment complexe à l’intérieur ?
Q.C. : En vérité, j’ai très peu de surprises. Au début j’obtenais les montres « pleines ». Maintenant j’arrive à les avoir déjà désossées parce que d’autres personnes avant moi on fait leur tri. Les Rolex, par exemple, il les garde et moi je récupère des modèles plus « classiques» ! (rires)
L.T. : Est-ce qu’il t’arrive de refuser des montres ?
Q.C. : Oui, dans un premier temps j’élimine les montres à Quartz et les montres à pile. Ensuite je connais des marques de montre dont le mécanisme n’est pas beau. En voyant la montre je sais quasiment ce qu’il y a derrière.
L.T. : En terme artistique, as-tu des références, des sources d’inspiration ?
Q.C. : Pendant mes études d’architecte, je n’ai jamais trop lu de livres, je n’aime pas trop. Je me sens un peu autodidacte. Je suis complètement fan de Léonard de Vinci et en ce moment je regarde un peu Armand.
L.T. : Quels sont tes projets pour l’avenir ?
Q.C. : Mon rêve est d’avoir une maison d’hôte, un lieu magique où tout serait fabriqué par mes propres soins : douche, terrasse, parasol, chaises, tables, lampes, etc.
Sinon en ce moment je suis entrain de monter une gamme luxe. L’idée c’est de pouvoir réinvestir pour recréer.
L.T. : Clairement, tu veux aller au delà de l’accessoire de mode ?
Q.C. : Complètement ! Ce à quoi j’aspire c’est de fabriquer des trucs, des petites boîtes, des présentoirs etc. C’est ce que j’aime faire, mettre la main à la pâte pour créer un environnement. Ca peut être fabriquer un poulailler comme fabriquer une bague.
L.T. : Cela fait combien de temps que ta boutique est ouverte ?
Q.C. : Je l’ai eue en Août, nous avons fait deux mois de travaux pour la personnaliser à mon image et l’ouverture a eu lieu en octobre.
L.T. : Mis à part ta boutique, où peut-on nous procurer tes créations ?
Q.C. : Chez Lepage à Lille et aux antiquaires du Louvre à Paris.
L.T. : As-tu pour objectif d’ouvrir un nouveau point de vente ?
Q.C. : Non, à la limite si je pouvais ne pas vendre ce serait tellement mieux ! Non, je préférerais avoir un atelier et être assez connu pour que les gens se déplacent pour venir chercher une création.
C’est vrai qu’être exposé dans d’autres endroits m’intéresse beaucoup mais l’acte de vente, moins. Après, j’aime bien parler de ce que je fais, je suis assez bavard, mais l’acte de vente n’est pas ce qu’il y a de mieux.
L.T. : Quentin, merci pour ton accueil, félicitations pour tes créations vraiment magnifiques et n’hésites pas à nous tenir informés de tes avancées.
Q.C. : Merci à vous pour votre visite, c’est cool ! A bientôt.
Retrouvez les créations de Quentin Carnaille sur son site : www.quentincarnaille.com
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