Ce texte a déjà été publié et se trouve dans la rubrique nostalgie énergiqe en vrac.Car la notalgie, commme la vraie mélancolie, c'est de la dynamite! ca fonde l'énergie pour aller de l'avant, ça bâtit des e^lpires quand ce n'est pas gnangnan!
Asie pas zen et parisienne.
Îlot Châlon
Il y a fort longtemps, j’habitais l’Îlot Châlon, à Paris, juste à côté de la Gare de Lyon. C’ était alors un quartier pauvre, avec des vieux immeubles souvent insalubres. On se logeait pour très peu cher.
J’habitais, en face de l’usine « Duchiron et compagnie, bois exotiques et indigènes ». C’était le fournisseur des ébénistes et autres artisans du meuble du faubourg Antoine.
Des camions, chargés de grumes, d’immenses troncs d’arbres affivaient par le côté de l’Avenue Dausmesnil. Ils ressortaient de l’autre côté, pareils. Sauf qu’en y regardant de plus près, on remarquait que le bois avait été débité en lames d’un mm. d’épaisseur, transformé en bois de placage, pour la marqueterie.
Quand les ouvriers allaient travailler, ou quand ils revenaient du boulot, on les voyait, typiques et parigots : Gauloise au bec, parlant argot, riglolant… en les examinant, on remarquait parfois des yeux bridés… Et puis, ils lisaient souvent des journaux chinois.
En 1914, la Chine était l’alliée de la France. Et pour l’aider durant cette guerre, l’Impératrice Tseu Hi avait envoyé des troupes (des sapeurs, je crois). Et c’est ainsi qu’un bon nombre de Chinois, souvent de paysans, arrivèrent par Marseille et se retrouvèrent à Paris. Employés aux « sales boulots » (nettoyage des tranchées, ramassage des cadavres, creusement, terrassement, etc) beaucoup moururent. Et souvent de la grippe espagnole, terrible épidémie de l’époque. Les bombardements en tuèrent aussi énormément. On peut visiter les cimetières chinois de Noyelles-sur-mer, dans la Somme et de Saint-Michel au-Mont, dans le Pas-de-Calais : curieux exotisme funéraire et Picard… Comme ils creusaient, nettoyaient la merde et les morts et participèrent peu au combat, on appela « pékin »,le mot désigna ensuite « planqué ». Et le mot finit par désigner un quidam, un type ordinaire en argot, par glissement de sens…
Beaucoup pratiquaient le wusu (on dit « kung fu » maintenant) le wai jai, techniques de culture physique et de combat qui servait au pays contre les oppresseurs (moines ch’an (on dit :zen au Japon), sbires de l’Impératrice, brigands employés par les « latifundistes », etc). Aucun n’aurait parlé d’ « art martiaux » !!!!!
Parmi eux se trouvaient Zhou Enlai, Deng Xiaoping, Li Shizeng, Zhang Renjie, Zheng Yu Xiu, Ren Zhuoxan, Lin Wei, Xiao Pusheng, Xiang Jingyu, Wu Zhihui, Chu Mingyi, Zhang yi. Bref, tous les futurs révolutionnaires de la Chine !!! Quelques vietnamiens furent aussi de l’affaire, comme Ho Chi Min, pratiquant le Tai Chi et futur journaliste à « l’Excelsior » sous la direction de Philippe Soupault.
Mais beaucoup de ces Chinois restèrent. Et s’installèrent, plutôt que de repartir, à côté de la Gare de Lyon.Et c’est là que j' en ai rencontrés. C'étaient évidemment des gens âgés.
La légende veut que certains avaient perdu au jeu leurs billets de retour ou les avaient revendus au marché noir. En fait beaucoup ne voulaient pas rentrer au pays, subir encore l'oppression des moines et les exactions des nervis du pouvoir impérial. Ils se souvenaient des massacres immenses et des répressions épouvantables, des tortures abominables, des massacres touchant des dizaines de milliers de personnes que subissaient les paysans, les pauvres s'ils se révoltaient. Ou s'ils ne pouvaient payer les taxes. D'ailleurs, un certain nombre devint maoïste, croyant la Chine enfin libéré& du joug bouddhiste impérial. Ils ont hélas, déchanté. Oui, ils avaient profité du séjour pour ne pas rentrer dans ce pays mystique qui plaît tant aux bourgeois d'occident!
Bien sûr, ils détestaient les Japonais: Durant l'invasion de la Madchourie, ils avaient suivi les massacres dans leurs journaux, les reportages sur les "camps de la mort", les "expériences médicales" de sectataires officiel du zen.
Ils tenaient des restaurants improbables Passage Raguinot où l’on mangeait pour vraiment pas cher. Les pâtés impériaux ne venaient pas encore de chez Tang frères : les femmes, ayant rejoint leurs maris on ne sait comment, cusinaient « comme là-bas ». Sur les tables, on trouvait des baguettes chinoise, mais aussi, parfois, de pain, des bols et inévitable bouteille de "Vin des Rochers", dit « Le velours de l’estomac » (plutôt la toile-émeri du gosier).On payait « à la ficelle », c’est-à-dire ce qu’on avait vraiment bu.
Le pastis côtoyait le Mei Kue Lu et l’on parlait avec de vieux messieurs et dames, charmants, dont le français, plus de cinquante ans après leur arrivée en France, demeurait hésitant. Les fils, de la génération des années vingt, travaillaient à l’usine Duchiron. Des femmes, telle Violette Hsu, fabriquaient des bretelles, de la passementerie, de la maroquinerie : petits ateliers du douzièmes arrondissement.
On était pauvres, mais ça allait.On étudiait, on aimait ces restaurants, parfois cradingues où les dominos de Mah Jong cliquetaient comme des machine à écrire. Le jeu est la vraie passion des Chinois. On dit que certains y perdaient leur restaurants et, solidarité oblige, devenaient serveur là où ils étaient patrons la veille…
Dans l’un de ces restos tronaît souvent une grande femme blonde, mûrissante, en robe éblouissante et fumant des cigarettes anglaise avec un long fume-cigarettes. Souvent, ele était la seule européenne dans la salle. Ancienne pute, puis maquerelle, elle évoquait les grandes heures du bordel, passage Gatbois.
Là où, durant l’Occupation « toute la Komandantur » venait se distraire. Parmi les « attractions », raconte la légende, il y avait « la Négresse », « la Mauresque » et « la Juive ». Laquelle l’était vraiment, à ce qu’on dit. Elle sauva sa peau par la prostitution (Patrick Modiano parle de cela dans Villa Triste). Je ne suis jamais allé à la fumerie d’opium qui, paraît-il continuait son négoce. Oui : c’était un peu « Le Lotus Bleu » et l’on aurait pu croire que les Dupondts, vêtus en mandarins d'opérette attendant le Picon, allaient arriver ! Je dirai même plus: Les Dupondts, eux-mêmes en mandarin-picon!
J’ai connu là un petit monde d’Asie, très éloigné du spiritualisme actuel, du bouddhisme promu par de bien louches personnes d’aujourd’hui. Des ouvriers, des restaurateurs, des poètes, des peintres… C’étaient des gens simple, souvent lettrés, qui n’hésitaient pas à s’enfiler un camembert après Les nids d’hirondelles. Sans oublier les rillettes, avant le poulet à l’impériale… le tout bien arrosé de jaja rouge, du vrai « brutal » , du reginglin bien décapant, du « bleu qui tache »… Il arrivait même qu'on boive du thé!
La nostalgie me prend souvent. Bien sûr, il doit bien y avoir le regret de ma jeunesse. Mais j’aimais ces gens autant que je méprise les « maîtres spirituels » qui donnent de l’Asie l’image d’un grand peuple fait de milliards de connards mystiques, non-violents et impassibles. C’est une image arrangeante et raciste.
Ces gens de l’Îlot Chalon vivaient, tranquilles, pas « zen » pour un sou, rigolaient, pétaient, racontaient des blagues obscènes, buvaient parfois sec et vivaient vraiment… Il y avait de la tendresse!
Grands bouleversements immobiliers parisiens : L’îlot Châlon a été démoli.Il s’écroulait tout seul. Tout est neuf, désormais…