Témoigner de la réalité d’aujourd’hui pour préserver le souvenir d’une époque, d’un lieu, d’une activité, c’est le rôle qu’ont choisi de nombreux photographes « des rues ». Les Cartier Bresson, Doisneau, ou encore Ronis, ont chacun avec leur style, leur sensibilité, leurs moyens, contribué à la conservation d’un temps aujourd’hui révolu. Dans leurs photos, au-delà des petits métiers, des personnages connus ou inconnus, apparaissent des cours d’immeubles, des rues, des boutiques, des escaliers… Traces de l’activité des hommes, de leur appétit de changement qui pousse à bâtir, puis à « déconstruire » pour rebâtir à nouveau. Sans leurs photographies, quel souvenir resterait-il ?
A Rochefort, sous-préfecture de la Charente-Maritime, l’hôpital fait partie du paysage depuis la création de la cité. Qu’il soit civil ou militaire, ils ont rythmé la vie des rochefortais. En 2006, la première pierre d’un nouvel établissement de soins, plus moderne a été posée. En 2011, après quelques viscissitudes de chantier, il est prêt à recevoir ses premiers patients. La vie qui anime l’hôpital actuel va se déplacer en périphérie de la ville et l’espace ainsi libéré ne tardera pas à recevoir une nouvelle affectation.
La mission photographique
Pour mener à bien cette mission photographique (et sans comparaison avec les illustres photographes cités plus haut) , je me suis posé de nombreuses questions. Il n’existe pas de métier, ni de spécialité de photographe du patrimoine. Pas de formation spécifique, ni de protocole à respecter. Nulle institution ne veille à assurer la pérénité iconographique des sites patrimoniaux actuels ou a venir. Ne reste que des initiatives et des opportunités qu’il faut saisir avant qu’il ne soit trop tard.
L’hôpital St-Charles de Rochefort est un site établi au coeur de la ville. Une « barre hôpital » de 7 étages, un service d’urgences, une école de formations en soins infirmiers (IFSI), une crèche pour les enfants du personnel, un restaurant d’entreprise, des bureaux pour l’administration, les syndicats, des services techniques, des ateliers, des chambres pour les internes de garde… Une petite ville dont l’activité s’éteindra définitivement fin mars 2011.
Un plan d’action
Pour le photographe, il faut établir un plan de prises de vues, obtenir les nécessaires autorisations, intégrer les contraintes de chaque service, s’adapter à la météo, choisir enfin le type de photographies à réaliser. En l’absence de tout protocole sur lequel s’appuyer, le photographe doit réfléchir à la finalité de son travail. Ne pas aller trop vite et ne rien oublier d’essentiel. Une bonne « lecture » du site est un préalable indispensable. N’étant ni soignant, ni patient, je n’ai qu’une connaissance limitée de cet endroit que j’ai fréquenté à l’occasion, mais sans jamais m’arrêter à le considérer comme un « objet d’étude ». Il faut donc d’abord regarder, humer l’air ambiant, tenter de comprendre « l’esprit » du lieu. La déambulation fait partie intégrante de l’activité du photographe !
Il y a tellement de choses à photographier dans un lieu comme celui-ci que je pourrais m’installer à demeure pendant plusieurs semaines. Mais il faut aussi faire la part des choses (garder du temps pour mes autres activités) et ne pas tenter l’exhaustivité. J’écrivais plus haut qu’il n’y avait pas de formation spécifique pour devenir photographe du patrimoine, pas de protocole sur lequel s’appuyer. Chacun devra donc, avec sa sensibilité, ses compétences, son équipement aussi, tenter de couvrir un sujet aux multiples facettes. Photographier un site abandonné par exemple, permet de se concentrer sur l’architecture, les relations entre le site et son environnement… Mais lorsqu’il s’agit comme ici d’un site « habité », le travail du photographe devient plus compliqué. Au-delà de l’aspect formel des choses, de la structure des bâtiments, des circulations, des équipements, des détails architecturaux, il y a la vie qui anime le site. Dans ce cas, il est nécessaire de montrer cette vie, sans s’opposer à la préservation de l’intimité des patients, des personnels, sans gêner l’activité, sans indisposer celles et ceux qui y travaillent. J’ai choisi de travailler sur pied et en pose longue. La vie se traduit ainsi par des images floues, mais qui attestent néanmoins de l’activité qui règne en ces lieux.
Transparence et communication
Evoluer en tant que photographe, affublé d’un pied photo déplié et d’un boitier numérique dans les couloirs d’un hôpital suscite de nombreuses questions. Journaliste, espion, paparazzi ? Même muni d’une autorisation en bonne et due forme, il faut régulièrement expliquer sa démarche. Et c’est bien normal ! Les réactions sont toujours positives (enfin jusqu’à aujourd’hui…). Finalement, les personnes rencontrées voient d’un oeil favorable le fait de travailler pour la mémoire d’un lieu, pour les générations futures comme l’on dit ! Pour autant, il faut rester discret, se présenter chaque fois que c’est nécessaire aux infirmières, aux médecins, aux secrétaires des différents services. Expliquer alors ce que l’on fait, demander s’il existe des interdictions, des règles à respecter avant de faire des images, en bref, se comporter en photographe civilisé !
Les photographes sont de plus en plus perçus comme des acteurs intrusifs et aujourd’hui même le commun des mortel se préoccupe de son « droit à l’image ». L’effet « paparazzi » est passé par là et les photographes qui travaillent dans des lieux publics doivent intégrer ces difficultés dans leur approche professionnelle et s’adapter à cette nouvelle situation. Discrétion oui, mais pas au point de se cacher, communication évidemment, tellement il est indispensable aujourd’hui de bien expliquer le pourquoi de ces prises de vues à ceux qui vont croiser le chemin du photographe.
Dans un prochain billet j’évoquerai l’aspect plus technique de la photographie de patrimoine telle que je la pratique. Faire des photos c’est bien, mais quid de leur préservation ? Plus tard, j’envisagerai la question de la présentation de ce travail.
En attendant, j’ai encore quelques étages à parcourir…